Louis Carle et Etienne Portais (Maddyness) : "La France cherche à se distinguer par sa capacité à allier innovation et éthique"

En cette période de crise des financements, créer une entreprise attractive et qui s'inscrirait dans la durée constitue un défi. Quelles sont les clés selon vous ?

Louis Carle. Dans un contexte économique où l'accès au financement devient plus complexe, la capacité à construire une entreprise résiliente et adaptable est plus critique que jamais. Nous avons vu nos modèles économiques et sociétaux se transformer en quelques années seulement. De la pandémie de Covid 19 aux avancées rapides en termes d’intelligence artificielle en passant par le rayonnement de la lutte écologique. Face à ces changements, les entreprises doivent intégrer la flexibilité et l'innovation au cœur de leur stratégie, cherchant à atteindre la rentabilité dès leurs premiers pas. Cette approche réduit la dépendance à des financements externes souvent incertains et permet une croissance organique et saine.

La crise actuelle du financement n'est que temporaire selon moi. Les fonds d'investissement disposent encore de réserves importantes de liquidités, et la correction des valorisations d'entreprises que nous observons est un signe de retour à une certaine normalisation du marché. Toutes les transformations effectuées au sein de notre écosystème durant cette crise seront le terreau d'un environnement plus viable pour la suite. Pour l’heure, il est vital d'accompagner les fonds d'investissement à trouver leurs financements. C'est avec cette vision que nous avons créé MDVC, une initiative visant à dynamiser l'écosystème entrepreneurial en connectant les meilleurs fonds avec les meilleurs investisseurs du marché. Notre objectif est de catalyser le développement de ces acteurs, indispensables à notre écosystème, en assurant une synergie entre leurs besoins et les capacités d'investissement disponibles.

"Les entreprises doivent intégrer la flexibilité et l'innovation au cœur de leur stratégie [...] afin de réduire la dépendance à des financements externes souvent incertains" 

Quelles tendances remarquez-vous dans l'éclosion de nouvelles start-up et dans les dernières innovations tech ?

Etienne Portais. Depuis plus de dix ans, la rédaction de Maddyness a pu détecter de nombreuses tendances dont certaines ne se sont pas ancrées durablement. Post Covid, nous avons vu naître de nombreux outils destinés à améliorer la gestion des ressources humaines. Depuis, il semble que les entreprises ont privilégié le bon sens associé à moins de technologie.

Concernant les tendances actuelles dans le monde des start-up et des innovations technologiques, force est de constater la forte poussée vers l'intelligence artificielle, avec un accent particulier sur les modèles génératifs (Gen AI). Le développement durable et les technologies vertes – la Climate Tech ou "tech for climat" – gagnent également du terrain avec l'émergence de nouvelles normes. Applicable depuis le 1^er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) vise à réduire l'impact environnemental et à promouvoir une économie plus durable. Par ailleurs, l'expansion de la technologie blockchain continue d'innover dans les domaines de la finance, de la sécurité et de la gouvernance.

Depuis fin 2022, l'IA s'invite dans tous les secteurs. Quels meilleurs exemples pour démontrer les synergies entre performance et éthique ?

L. C. L'intégration de l'intelligence artificielle dans le paysage modernise radicalement la manière dont nous envisageons le travail, la productivité et l'innovation. L'IA, par sa capacité à traiter rapidement de vastes quantités de données, offre un avantage compétitif indéniable, agissant comme un catalyseur de performance. Mais cette quête de l'efficacité ne saurait se faire au détriment des considérations éthiques. L'Europe, en pionnière – comme souvent sur ces éléments réglementaires –, cherche à équilibrer cette dynamique en instaurant des régulations qui encadrent le développement de l'IA, veillant à ce que son intégration respecte les valeurs humaines et sociales fondamentales.

"Une approche collective permettra de positionner l'Europe comme un leader éthique et innovant dans le domaine de l'IA"

La France cherche à se distinguer par sa capacité à allier innovation et éthique, soutenue par un écosystème de recherche et de financement dynamique. Notre pays possède un riche patrimoine industriel et une profusion de talents, qui, correctement canalisés et soutenus, pourraient propulser l'Europe au premier rang de la course mondiale à l'innovation en IA. Pour y parvenir toutefois, il me semble essentiel de développer des stratégies concertées à l'échelle européenne, en favorisant le partage des connaissances, la collaboration entre les secteurs public et privé, et l'investissement dans les technologies futures. Cette approche collective nous permettra de maximiser nos atouts et de positionner l'Europe comme un leader éthique et innovant dans le domaine de l'IA.

Après avoir posé ses valises au Royaume-Uni, Maddyness ouvrira des bureaux en Espagne et en Italie. Identifiez-vous différents élans dans ces territoires ?

L. C. L'expansion de Maddyness en Espagne et en Italie s'inscrit dans une vision stratégique visant à capter et stimuler l'innovation au sein de marchés émergents au potentiel considérable. Ces pays, bien que moins visibles sur la scène internationale comparés à des géants comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, abritent des écosystèmes entrepreneuriaux vibrants, caractérisés par une forte culture industrielle et une capacité d'innovation remarquable. L'Espagne et l'Italie représentent des terrains fertiles pour l'émergence de nouvelles entreprises technologiques, avec un accès à des talents diversifiés et une volonté croissante d'investissement dans l'innovation.

Notre présence dans ces pays nous permettra de jouer un rôle clé dans le soutien des futurs leaders du marché européen, en offrant un média pour cette génération d’entrepreneurs, pour leur croissance et leur visibilité internationale. Cette expansion est également une opportunité pour Maddyness de contribuer activement à la dynamisation de l'économie locale, en favorisant les échanges entre entrepreneurs, investisseurs, et institutions. En soutenant ces écosystèmes émergents, nous participons à la construction d'une Europe de l'innovation plus forte et plus intégrée, capable de rivaliser sur la scène mondiale.

"La Maddy Keynote pose ses valises au Palais Brongniart pour une édition baptisée « Transformation(s) »"

Y a-t-il des bonnes pratiques à tirer de certains pays en termes de développement de l'innovation ?

L. C. L'observation des écosystèmes d'innovation à travers le monde révèle une diversité de stratégies et de cultures entrepreneuriales. Le Royaume-Uni, par exemple, se distingue par une approche pragmatique et résiliente de l'innovation, soutenue par un environnement favorable aux affaires et un système de financement dynamique. Cette combinaison a permis au Royaume-Uni de se positionner comme un leader européen en termes d'investissement dans les start-up et les technologies émergentes. Leur modèle met en lumière l'importance d'un cadre réglementaire et fiscal incitatif, ainsi que le rôle crucial des universités et des centres de recherche dans le soutien à l'innovation.

Au-delà de l'Europe, des pays comme la Chine et les États-Unis offrent des leçons précieuses en matière de développement de l'innovation. La Chine, avec le soutien massif de l'État à la recherche et au développement, et les États-Unis, avec leur culture profondément ancrée du risque et de l'entrepreneuriat, illustrent l'impact significatif que peuvent avoir des politiques proactives sur l'écosystème d'innovation. Ces exemples internationaux soulignent l'importance d'une stratégie globale intégrant soutien gouvernemental, investissement privé, et collaboration internationale pour stimuler l'innovation et la croissance économique. En tirant les enseignements de ces différents modèles, nous pouvons adapter et appliquer les meilleures pratiques pour encourager le développement de l'innovation au sein de nos propres écosystèmes.

La Maddy keynote, sorte de festival de l'innovation du média, aura lieu le 28 mars prochain. Que peut-on attendre de ce rendez-vous cette année ?

E. P. Pour la 8^e édition, la Maddy Keynote pose ses valises au Palais Brongniart pour une édition baptisée "Transformation(s)". Dès la conception de l’événement, il y a quelques mois, nous avons décidé de nous entourer d’un advisory board composé des personnalités les plus connectées de notre écosystème. Nous avons ainsi créé une alchimie éditoriale très efficace, pour accoucher d’un programme mêlant inspiration et business.

Notre programme met en avant plus de 30 conférences et tables rondes, impliquant une centaine d'intervenants. Les thèmes abordés sont variés, couvrant des sujets d'innovation, de technologie et d'entrepreneuriat, avec une diversité de perspectives allant de personnalités politiques avec Marina Ferrari, secrétaire d’État chargée du numérique, Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et associé au cabinet d’avocats August Debouzy et Paul Midy, député Renaissance de l’Essonne, à des entrepreneurs de renom avec Stanislas Niox-Chateau, CEO et cofondateur de Doctolib, Éléonore Crespo, co-fondatrice et co-dirigeante de la plateforme de planification d'entreprise, Pigment, ou encore, Benjamin Gaignault, co-fondateur de la start-up Skarlett, spécialisée dans la vente occupée.

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph