Le renvoi préjudiciel devant la CJUE : une procédure aussi utile qu’inexploitée
Chacun le constate un peu plus chaque jour, le droit de l’Union européenne connaît un important développement, et ce dans l’ensemble des domaines du droit des affaires.
Si l’application du droit de l’Union s’impose aux juges nationaux, son interprétation est en revanche réservée à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) lui permettant d’assurer une unité d’interprétation (CJUE, 5 février 1963, Van Gend et Loos, C-26/62) et une application uniforme du droit européen (CJUE, 1er décembre 1965, Firma Schwarze, C-16/65).
L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que la CJUE est compétente pour statuer, à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union européenne. Ainsi, lorsqu’une question de droit de l’Union se pose devant une juridiction nationale, celle-ci peut, ou dans certains cas doit, demander à la CJUE de statuer sur cette question. Ce faisant, en matière contentieuse, il est important pour les parties d’être en mesure de s’assurer de la bonne application du droit d’Union européenne dans le cadre des procédures françaises, tout autant qu’il apparaît indispensable aux justiciables de pouvoir faire valoir leurs positions auprès de la CJUE. La maîtrise de la technique du renvoi préjudiciel apparaît à ce titre souvent déterminante à la solution du litige.
La procédure de renvoi préjudiciel
L’application uniforme du droit de l’Union européenne permet à tout justiciable concerné par un litige nécessitant l’application de ce droit de solliciter du juge national qu’il procède à renvoi préjudiciel. Pour ce faire, deux conditions doivent être a minima remplies. En premier lieu, cette demande en renvoi préjudiciel doit être formée devant une "juridiction" nationale, notion autonome du droit de l’Union. À titre d’exemple, les juges d’instruction, les juges et conseillers de la mise en état au même titre que les tribunaux, cours d’appel ou la Cour de cassation sont des juridictions au sens de la CJUE.
En second lieu, il revient à la juridiction nationale de juger si elle a besoin de l’interprétation de la CJUE pour trancher le litige dont elle est saisie. Cependant, afin de favoriser ce dialogue entre les juges, la CJUE a renforcé l’exigence de motivation dont doit faire preuve un juge national qui refuse de renvoyer une question préjudicielle alors que l’article 267 du TFUE impose un tel renvoi lorsque la juridiction saisie rendra une décision insusceptible de recours interne.
En pratique, l’avocat d’une partie pourra à tout moment de l’instance solliciter un tel renvoi préjudiciel. Pour ce faire, les parties devront démontrer en quoi, au regard du droit français, qui comprend la jurisprudence, il est nécessaire de solliciter l’interprétation de la CJUE.
"Le renvoi préjudiciel en interprétation est un outil efficace au service de stratégies judiciaires innovantes"
Une fois le renvoi préjudiciel ordonné, s’ouvre alors une phase procédurale devant la CJUE régie par les instructions pratiques aux parties, relatives aux affaires portées devant la Cour (JOUE du 14 févr. 2020). Dans ce cadre, les parties au litige, au travers de leurs avocats, ainsi que les États membres et la Commission européenne sont appelés à formuler des observations écrites. À la suite de celles-ci, une audience peut être organisée lorsque l’affaire le nécessite. Puis vient en principe l’avis de l’avocat général avant la décision qui peut prendre la forme d’un arrêt ou d’une ordonnance selon l’importance de l’affaire. Tout cela dure en principe moins de seize mois. Une fois la décision rendue, la procédure française reprendra son cours et le droit de l’Union européenne, tel qu’interprété par la CJUE, devra être appliqué aux faits de l’espèce par le juge français.
Un outil au service de la défense des parties
Il est fréquent que la résolution d’un contentieux passe par l’application du droit de l’Union européenne. Dès lors, la maîtrise de la procédure de renvoi préjudiciel présente le double avantage pour une partie de non seulement lui permettre d’éviter une application dévoyée du droit de l’Union européenne tout autant que d’écarter l’application d’une règle nationale contraire, mais également de pouvoir faire valoir sa position directement devant la CJUE.
Or, la CJUE, notamment au travers de la procédure de renvoi préjudiciel, assure un effet utile au droit européen par l’application de principes propres tels que celui de primauté, d’effectivité ou d’équivalence. Cette affirmation de l’autonomie du droit européen et de sa spécificité permet aujourd’hui d’infléchir des positions jurisprudentielles nationales non conformes au droit de l’Union, souvent en raison de raisonnements issus d’une tradition juridique profondément différente. De nombreux exemples démontrent, s’il en était besoin, l’importance croissante du renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg. Il en va ainsi notamment de la clarification relative à la norme d’homologation Euro en matière de polluants (CJUE, 17 décembre 2020, C-693/18), le régime juridique de la transmission de la responsabilité pénale des personnes morales (Crim. 25 novembre 2020, n°18-86.955), l’application du statut d’agent commercial (CJUE, 4 juin 2020, C-828/18), l’indemnisation des passagers aériens (CJUE, 24 octobre 2019, C-756/18), ou encore la caractérisation de clauses abusives en matière bancaire (CJUE, 10 juin 2021, C-776/19 et s.).
Conclusion
Le renvoi préjudiciel constitue aujourd’hui un outil particulièrement utile et efficace entre les mains des acteurs du droit. En outre, cette procédure s’ajoute à la palette des outils à la disposition des avocats dans la mise en œuvre d’une stratégie judiciaire contentieuse. Pour autant, si cette procédure de renvoi préjudiciel est favorisée en droit de l’Union afin de garantir l’application uniforme de celui-ci au sein des États membres, elle présente, tant dans sa phase nationale, que dans sa phase européenne, de nombreuses subtilités qu’il est indispensable de maîtriser afin de lui permettre de prospérer et de donner son plein effet.
LES POINTS CLÉS
- • Le droit européen innerve l’ensemble du droit des affaires, le rendant incontournable.
- • Le renvoi préjudiciel en interprétation est une procédure permettant de s’assurer de l’application conforme du droit européen au litige.
- • Il permet de solliciter l’intervention de la CJUE et de s’opposer à l’application d’une règle de droit nationale contraire mais également de prévenir une application dévoyée du droit européen par les juridictions nationales.
- • Le renvoi préjudiciel constitue un outil innovant et efficace dans la construction de stratégies judiciaires
SUR LES AUTEURS
Le Cabinet Constantin-Vallet fondé en 2009 par Charles Constantin-Vallet compte désormais deux nouveaux associés, Hugo Delage et Paul Leyendecker. Leur pratique reconnue, axée sur le traitement de dossiers contentieux complexes touchant à tous les domaines du droit des affaires, se caractérise par une maîtrise des différentes procédures pouvant être exploitées au service de leurs clients.