Pandémie, inflation, élections… La Bourse n’a eu que peu de répit ces deux dernières années. La classe d’actifs des marchés émergents n’a pas été épargnée mais reste robuste et promet de belles perspectives de croissance. Décryptage avec Michel Audeban, managing director de Gemway Assets
Décideurs. Quel état des lieux dressez-vous des marchés émergents ?
Michel Audeban. Les marchés ne sont pas si simples que cela. À la suite de la guerre en Ukraine, certains clients ont eu un sentiment de "sauve qui peut", en opposant l’axe du bien à l’axe du mal, en considérant l’ensemble des marchés émergents comme risqués, accusant l’absence de démocratie en Russie comme en Chine, alors boudée par les investisseurs. La pondération des investisseurs sur cette classe d’actifs est à 6 %, le taux le plus bas historique (contre 12 % dans l’indice MSCI EM AC).
Qu’en est-il de la Chine ?
En Chine, nous faisons face depuis deux ans à une parenthèse politique, ouverte avec l’arrêt de l’IPO de Ant Group, suivi des réformes sur l’éducation et la "Zero Covid policy". Le principal point d’attention selon nous est le congrès du parti communiste du 16 au 23 octobre.
Quelles annonces attendez-vous à la suite du Congrès ?
Nous n’attendons pas de grosses annonces. Le scénario le plus probable est que le président actuel Xi Jinping reste au pouvoir. Ce serait un cas exceptionnel car il a déjà effectué deux mandats, la limite en Chine, mais en demande le renouvellement. Cependant, il est possible que tout change si le Chine balance vers des actions plus pragmatiques. Par exemple, le taux de vaccination contre la Covid-19 est toujours en progression. L’annonce de deux prochains vaccins à ARN messager chinois et les signaux politiques récents nous poussent à être optimistes quant à un possible assouplissement de la "Zero Covid Policy". Hongkong (habituel laboratoire pour les mesures nouvelles) a récemment mis fin à la quarantaine, un signal très fort car cela signifie que, si le mois d’observation se passe bien, la Chine pourrait, au moins officieusement, assouplir sa politique Zéro Covid, ce qui entraînerait un rebond de la consommation.
Comment la Bourse s’adapte-t ’elle ?
Il faut bien comprendre que, économiquement parlant, la Chine n’est pas un pays communiste. Ce n’est certes pas du tout une démocratie au regard des libertés individuelles ou des élections, cependant ils sont totalement libéraux, bien davantage que la France. Il nous semble qu’une très grande partie des mauvaises nouvelles qui pourraient tomber soient déjà prises en compte par les gérants. Le pire n’est jamais certain, ce qui nous laisse optimistes.
Et l’Inde ?
Le pays connaît la plus forte croissance des principaux pays développés ou non avec un taux à 7 %, malgré un passage compliqué de la pandémie. Le principal problème des gérants sur cette zone est que les titres y sont très chers. Il y a eu un phénomène de bascule de la Chine vers l’Inde de la part des investisseurs internationaux. Mais nous n’excluons pas un retour de la balance en sens inverse dans les mois à venir.
Les élections brésiliennes sont-elles une menace pour les investisseurs exposés ?
Il y a du bon et du moins bon. Les élections actuelles ne présentent pas de belles perspectives pour l’économie nationale. La relative bonne nouvelle du premier tour est que Lula est arrivé en tête mais pourrait se retrouver avec un Sénat ayant une majorité à droite, donc il n’aurait pas les pleins pouvoirs. Un scénario, malheureusement possible, serait l’élection de Lula comme président, Jaïr Bolsonaro refusant le résultat et, à la clé, une guerre institutionnelle. La vraie question est de savoir qui sera nommé ministre des Finances.
Le contexte inflationniste représente-t-il une menace pour les actifs émergents ?
Le côté très positif des pays émergents est qu’ils ont été "above the curve".
"Dans cette crise, les mauvais élèves sont les pays développés"
Le Brésil a remonté ses taux courts neuf mois avant la Fed, ce qui était la bonne attitude à adopter. Résultat, cela fait un mois et demi que l’inflation baisse au Brésil et sur l’ensemble des pays émergents dans une moindre mesure. Ils sont en taux réels positifs alors que l’Europe est à -5 %. Nous sommes terriblement en retard. Dans cette crise, les mauvais élèves sont les pays développés. Tout cela nous rend plus positifs sur les marchés émergents.
Vous avez lancé le fonds GemBond cette année, pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous aimons investir sur des pays en croissance et dans l’obligataire, car il est plus facile de rembourser de la dette avec une croissance positive. Ensuite, l’ensemble des émergents (en moyenne et rapporté au PIB) est endetté à 60 %, soit deux fois moins que les pays développés. Côté gestion tactique, ils sont en bien meilleure position sur l’inflation et les taux. Enfin, GemBond est un fonds de dettes émergentes souveraines en dollar. Il y a une corrélation avec la dette euro de 0,46 %, ce qui signifie que se positionner sur cette stratégie à hauteur de 20 % réduit le risque d’une allocation obligataire globale.
Propos recueillis par Marine Fleury