Décès de Mikhaïl Gorbatchev, la fin d’une époque
Nul n’est prophète en son pays. Mikhaïl Gorbatchev, décédé le 30 août à Moscou à l’âge de 91 ans, est bien placé pour le savoir. Adulé en Occident, contesté chez lui : tel fut le destin du dernier dirigeant de l’Union soviétique, pourtant "programmé" pour faire perdurer le système.
Mikhail Gorbatchev est à l’origine la quintessence de l’homo sovieticus. Fils de kolkhoziens du Caucase, conducteur de moissonneuse durant son adolescence, il est envoyé à Moscou faire des études prestigieuses, prend sa carte du parti et monte peu à peu en grade au sein de l’appareil grâce au soutien de l’inamovible dirigeant du KGB Iouri Andropov.
Apprenti sorcier en URSS
Son arrivée au pouvoir en mars 1985 fait souffler un vent de fraîcheur sur le pays. À 54 ans, il incarne la jeunesse en succédant aux anciens Brejnev, Andropov et Tchernenko, symboles d’un communisme en pleine glaciation. Sur le fond, il se démarque de la tradition soviétique en parlant sans langue de bois, en osant mettre sur la table les sujets longtemps cachés sous le tapis (alcoolisme, baisse du PIB, poids trop important de la défense…). Pour lui, la situation est claire : "On ne peut plus continuer comme ça" pour survivre, l’URSS doit se transformer. C’est l’heure des célèbres glasnost et perestroïka soit transparence et reconstruction. Mais le système était trop sclérosé pour être réformé et la population du bloc soviétique si opprimée qu’elle a profité des premières lueurs de liberté pour faire tomber le communisme. Une tâche facilitée par la répugnance de Gorbatchev à réprimer les manifestations dans le sang en URSS ou dans les "Républiques sœurs". Jusqu’au bout, le dirigeant a cru avoir la situation en main. D’après ses proches son intelligence et sa haute idée de lui-même étaient telles qu’il a cru jusqu’au bout pouvoir sauver le communisme. En vain. Pour certains de ses concitoyens, il reste donc un "faible", un "destructeur" ou un "bradeur d’empire".
Gorbatchev a toujours refusé de faire couler le sang quitte à faire disparaître l'URSS
Messie à l’étranger
En Occident, la situation est différente. Dès les premiers jours de son mandat sévit une véritable "Gorby mania". Expert en relations publiques, il parvient à présenter un visage humain du communisme et à entretenir d’excellentes relations avec ses homologues tels que François Mitterrand, Helmut Kohl, Ronald Reagan ou Georges Bush. Sa femme, Raïssa, est, elle aussi, un atout de poids dans son opération séduction. À l’Ouest, il est et restera celui qui a mis fin à la guerre froide et laissé le rideau de fer s’effondrer.
Anti-Poutine par les faits
Reste à savoir l’image qu’il laissera aux Russes dans la postérité. L’hommage que lui accordera le régime en place sera à scruter de près. Car, dans sa manière de gouverner et de voir le monde, Vladimir Poutine est l’antithèse du natif de Privolnoïe. L’un a mis fin à l’URSS ? L’autre a qualifié cet épisode de "catastrophe". L’un a accordé toute sa confiance à l’Occident (parfois à tort ) ? L’autre prend le chemin inverse quitte à verser dans la paranoïa. L’un a accordé l’indépendance à de nombreuses Républiques soviétiques ? L’autre les considère comme une succursale de la Russie, en témoignent la guerre en Ukraine où la mise sous tutelle de la Biélorussie. "Gorbi" a refusé d’envoyer la troupe agresser des civils ? L’actuel président bombarde aveuglément les villes ukrainiennes. Mikhail Gorbatchev a soutenu l’avènement de la démocratie et mis fin à l’existence de prisonniers politiques ? Vladimir Poutine fait le chemin inverse. Derrière une célébration protocolaire obligatoire, l’actuel maître du Kremlin peut jubiler : son antithèse politique a disparu en humain et non en héros. Selon lui, il n’existe de toute manière qu’un héros : lui-même.
Lucas Jakubowicz