Construction : imprime-moi une maison
L’impression 3D, ou fabrication additive, a connu ces dernières années un développement industriel et multisectoriel concret, notamment dans l’automobile ou l’aéronautique. Bien qu’encore relativement marginale, la technologie devrait constituer l’une des pierres angulaires de l’industrie 4.0, tout en irriguant d’autres secteurs comme le médical, la joaillerie, la mode et le design ou aujourd’hui le bâtiment.
Plus qu'une impression
L’impression 3D dans la construction a fait l’objet, ces dernières années, de nombreuses avancées, tant pour construire des pièces ou des éléments spécifiques que pour imprimer des bâtiments entiers. Comment ça marche ? On distingue communément trois grandes techniques : l’extrusion, ou "contour crafting" où le béton est coulé en couches successives ; le collage de poudre, où la machine dépose une couche de matériaux granulaires – le plus souvent du sable – avant d’introduire un polymère liant ; et le soudage additif pour la production de pièces métalliques. Et il ne s’agit pas de science-fiction : en 2019, la société S-Squared 3D printers (SQ3D) est parvenue, grâce à une imprimante 3D XXL, à bâtir une maison de 46 m2 en une douzaine d’heures. En 2020, le danois Cobod a réalisé en Allemagne un immeuble résidentiel de trois étages. En France, dans l’écoquartier Réma’Vert, près de Reims, cinq maisons seront imprimées en 3D grâce à la start-up XtreeE.
Des promesses…
Les quelques premières expérimentations de cette technologie ouvrent de belles perspectives. Tout d’abord pour ce qui est de la réduction du temps de construction. C’est ainsi que la société Mighty Buildings, en imprimant en 3D des éléments d’une maison avant de les transporter sur le lieu de construction, a pu finaliser le chantier en seulement 5 % de la durée d’un chantier classique. Une rapidité éclair qui permet de fournir une réponse concrète et abordable à la question de la pénurie de logements, notamment dans les pays pauvres ou en développement. Gain environnemental également avec une meilleure rationalisation des ressources. À titre d’exemple : sur un projet d’immeuble de bureaux de 640 m2 et deux étages, intégralement conçus en impression 3D, Dubaï serait parvenu à réduire les déchets de chantier de 60 %. Autres points saillants : l’amélioration de la sécurité et baisse de la pénibilité sur les chantiers, et la grande souplesse de cette technologie qui permet de réaliser des formes et gestes architecturaux innovants, à coût maîtrisé. Des imprimantes 3D participent ainsi à l’achèvement de l’interminable et extravagant chantier de la Sagrada Familia de Barcelone.
… et des limites
Alors faut-il imaginer le chantier de demain avec pour tout outil et pour tout ouvrier que d’immenses imprimantes 3D ? Certains, à l’image de Dubaï, y croient. L’émirat envisage même d’imprimer 25 % de ses nouveaux bâtiments d’ici à 2030. Mais la réalité est plus contrastée. Il reste en effet de nombreux verrous technologiques à lever. Ainsi, pour le moment, l’impression 3D ne peut produire que des maisons individuelles ou des petits bâtiments. De plus, comme le souligne Jean-Daniel Kuhn, fondateur de XtreeE, l’impression 3D n’est pas toujours la solution la plus pertinente : "Si tous les murs et cloisons sont imprimés, vous rigidifiez le bâtiment, avec des cloisons qui ne sont pas amovibles, et cela consomme davantage de béton." Frédéric Gaurat, directeur technique chez Spie Batignolles est sur la même longueur d’onde, plaidant pour un usage ciblé : "Nous sommes persuadés de l’intérêt de l’impression 3D pour développer de petits éléments en béton, dont la réalisation traditionnelle est généralement chronophage sur le chantier." Enfin, pour que la technologie vienne à se généraliser, il faudra mener d’importantes réflexions sur la place de l’ouvrier et son éventuelle requalification, l’emploi de matériaux biosourcés ou décarbonés pour se substituer au ciment ou au béton, ou encore bâtir un cadre réglementaire précis et exigeant.
Antoine Morlighem