Attendu que les pages Linkedin Bon Pote, Perle de greenwashing, Pour un réveil écologique, ou encore Malheurs Actuels cumulent plus de 400 000 abonnés et traquent, sans répit, le moindre échantillon d’écoblanchiment, grattent inlassablement chaque prospectus vert pour en découvrir la couleur cachée, une interrogation se présente, presque cruellement, à notre appréciation : peut-on encore greenwasher en paix ?
L’Ademe le rappelle sur son site : "Bien qu’il soit légitime et même fondamental qu’une organisation communique sur sa démarche de développement durable, elle doit néanmoins être faite avec humilité et sincérité." Si les observateurs divers, témoins infatigables des outrances publicitaires contemporaines, se sont multipliés et endurcis, ils demeurent minoritaires et les annonceurs ne s’en inquiètent pas plus que ça.
Feu vert
De nombreuses publicités en témoignent, il est encore possible de greenwasher en paix. Lorsque les avions ambitionnent de ne plus émettre de carbone d’ici à 2050 et que les bateaux de croisière prétendent compenser leur activité par le recyclage des eaux usés, c’est que les annonceurs ne sont pas trop ennuyés par la question de la cohérence entre leur promesse et leur impact. Les seuls avions qui préservent la planète transportent de l’eau et les rares bateaux qui la défendent sauvent des phoques. L’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) rappelle régulièrement à l’ordre les fautifs, établissant qu’un message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits ou appareils, en adéquation avec les éléments justificatifs dont il dispose. Malgré tout, la dernière campagne publicitaire de Mercedes, qui dévoile le logo de la marque tantôt dans les pétales d’une rose, tantôt dans les alvéoles d’une ruche, semble vouloir faire passer Ola Källenius pour Greta Thunberg. Si l’on se doute que la préoccupation première des entreprises, leur intention profonde, consiste à ne pas se faire accuser de greenwashing, certaines paraissent farouchement déterminées à en prendre le risque.
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Sens interdit
Tout dans la société moderne est carbone : alimentation, mobilité, logement… Peu de produits peuvent se vanter d’être pleinement inoffensifs pour ce qui concerne l’environnement. Il n’existe, en revanche, aucune injonction à parler de développement durable, à mobiliser l’écologie coûte que coûte, d’autant qu’une majorité de consommateurs ne semble pas y être particulièrement sensible. Il fut un temps où les publicités mettaient en avant un avantage concurrentiel, le caractère rafraîchissant d’un soda ou le goût d’un café. Aujourd’hui, le soda se félicite de sa bouteille recyclable et le café célèbre son origine équitable. Le problème n’est pas de communiquer – la Terre étant une grande salle de marché sphérique ou plate selon les convictions –, mais de romancer, broder, mystifier. Il y avait moins d’attaques contre les publicités relatives aux voitures lorsqu’elles se contentaient de souligner qu’elles roulaient vite. Peut-être trouverait-on moins à redire d’un spot qui déclarerait : "Cette voiture vous permettra de faire cent kilomètres plus rapidement que des patins à roulettes" que d’une annonce qui promet de préserver la biodiversité en vous saisissant d’un volant. Il s’agit donc de recentrer sa communication sur son produit. Les voitures n’ont pas pour finalité de sauver la planète pas plus que les vols long-courrier n’ont pour mission de préserver l’environnement. Pourquoi alors concevoir parfois des angles publicitaires aussi farfelus ?
Aujourd’hui, le soda se félicite de sa bouteille recyclable et le café célèbre son origine équitable
Jeu de lois
Parce que le droit l'autorise. La loi climat et résilience a renforcé la lutte contre le greenwashing dans les publicités utilisant les termes "neutre en carbone" en obligeant les entreprises à appuyer leurs affirmations d’arguments chiffrés et documentés. Dans le projet de décret relatif à l’interdiction de la publicité sur les énergies fossiles, l’article 7 de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets prévoit l’interdiction de la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles. Le décret précisant que le mécénat, le parrainage, la communication institutionnelle, la publicité financière sur les produits énergétiques fossiles demeurent autorisés. Plus de publicités pour de grands tonneaux de pétrole donc… Un escargot borgne et frileux, pas vraiment reconnu pour son adresse, qui se donne pour ambition de grimper l’Everest, aura plus tôt fait d’atteindre son sommet avant qu’une telle loi ne rectifie le réel.
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S'il est toujours possible de greenwasher en paix, le législateur étant encore un peu permissif, il convient de se poser la question de la démarche dans un monde partagé entre ceux qui s’en moquent et ceux qui s’en moquent.
Alban Castres