Les enquêtes internes se trouvent au coeur de la recherche de la vérité lors du déclenchement d’une procédure d’alerte en matière notamment de harcèlement. Si elles permettent aux employeurs de limiter l’engagement de leur responsabilité, dans la pratique, elles questionnent encore quant à leur mise en oeuvre. Focus avec Sandrine Gardel, avocate associée au sein du cabinet Opleo Avocats.
Décideurs. Pourquoi connaît-on un tel essor des enquêtes internes ?
Sandrine Gardel. Les enquêtes internes ont vu le jour à la suite d’une série de jurisprudences rendues en 2002 qui ont renforcé l’obligation de sécurité de l’employeur envers ses salariés prévue par les articles L.4121-1&2 du Code du travail en une obligation de résultat – l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant ses diligences – puis en une obligation de moyens renforcée à la suite de la jurisprudence Air France de 2015 au titre de laquelle l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité s’il a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses préposés (i.e., soit s’il apporte la preuve qu’il a mis en place les dispositifs nécessaires pour répondre à une obligation préventive et une obligation curative).
Depuis l’instauration du barème Macron, le pouvoir des salariés étant réduit pour négocier les transactions financières de départ, le nombre d’enquêtes pour harcèlement a fortement grimpé. Les sommes auxquelles sont condamnés les employeurs en cas de harcèlement sont en réalité souvent faibles mais il est problématique que ce type d’enquête soit devenu un automatisme. Les plaintes souffrent de plus en plus d’atteinte dans leur crédibilité.
Que penser de la loi Waserman du 21 mars 2022 afin d’améliorer la protection des lanceurs d’alerte ?
La Loi Waserman a souhaité permettre de garantir l’impartialité de l’enquête, celle-ci posant souvent des problématiques de conflit d’intérêts. De telles situations prennent naissance notamment lorsque les personnes visées par le déclencheur de l’alerte ne sont autres que des membres de la direction des ressources humaines ou les supérieurs hiérarchiques des responsables de l’enquête. Le passage à une enquête externe est alors souvent à recommander.
Que peut-on faire pour éviter ce nombre grandissant d’enquêtes internes ?
Beaucoup de préventif. Il est bien de former davantage les salariés à ce qu’est le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel ou la lutte contre la discrimination. Il est indispensable d’en définir davantage les contours. La formation sur ces thématiques peut permettre à ce que chacun connaisse ce qui est de la responsabilité de l’employeur et ce qui ne l’est pas. Par ailleurs, nous pouvons souvent constater qu’il existe des lacunes au niveau des entretiens individuels qui pourraient éviter les cas de surcharge de travail ou de burn-out.
"Les plaintes souffrent de plus en plus d’atteinte dans leur crédibilité"
N’y a-t-il pas une problématique autour de l’obligation de preuve ?
En effet, l’employeur peut difficilement se défendre par le biais d’attestations de ses subordonnés alors qu’il est aisé pour le salarié de se défendre grâce aux attestations des salariés, y compris ceux partis de la société. De nombreuses dérives découlent de l’obligation de preuve. Récemment, l’ordre des médecins a signalé certains abus concernant les attestations médicales faisant un lien entre l’état psychique du patient et son environnement de travail sans avoir pourtant été en mesure de faire une constatation objective, d’autant que ces attestations s’écartent des règles régissant leur production et manquent d’impartialité alors qu’elles sont souvent prises en compte par les juges.