Une affaire qui n'en finira jamais ! Mercredi 28 février 2024, un nouveau match s’est joué entre les murs de la Cour de cassation pour les époux Fillon. En jeu : les peines de prison, d’amende et d’inéligibilité prononcées par la cour d’appel de Paris en 2022 à l’encontre de François et Pénélope Fillon.

Dernière chance pour les époux Fillon et le député suppléant Marc Joulaud. Après une victoire devant le Conseil constitutionnel en septembre dernier, les avocats du trio ont plaidé leur cause devant la Cour de cassation. L’enjeu : obtenir la cassation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de mai 2022. Les juges avaient condamné François Fillon à une peine de quatre ans d’emprisonnement dont un an ferme, à 375 000 euros d’amende et à dix ans d’inéligibilité. Son épouse, Pénélope Fillon, avait écopé de deux ans de prison avec sursis, de 375 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité, et l’ancien député suppléant de François Fillon dans la Sarthe, Marc Joulaud, de trois ans de prison avec sursis et de cinq ans d’inéligibilité. Le tout pour détournement de biens publics, abus de biens sociaux, complicité et recel.

Enquête expéditive

C’est une enquête du Canard enchaîné qui avait mis le feu aux poudres en février 2017, quelques mois avant la présidentielle. On lisait alors dans les colonnes du palmipède que Pénélope Fillon aurait touché 500 000 euros au titre de ses fonctions d’attachée parlementaire de François Fillon entre 1998 et 2007, puis de son suppléant Marc Soulaud entre 2002 et 2007, un emploi fictif selon l’enquête. A partir de 2012, elle aurait poursuivi ses activités fictives en qualité de conseiller littéraire à la Revue des deux mondes, appartenant à un ami de François Fillon, Marc Ladreit de Lacharrière.

À l’audience du 28 février 2024, l'avocat François-Henri Briard rappelle la rapidité des investigations qu’Antonin Lévy, avocat des époux au premier et second degré, avait surnommé "enquête folle" : l’ouverture d’une enquête préliminaire "quelques heures" après la publication de l’article du Canard enchaîné, sa clôture moins d’un mois plus tard, la bascule rapide en information judiciaire confiée au Parquet national financier (PNF) à la fin du mois de février, la mise en examen des époux Fillon et de Marc Joulaud dès la mi-mars. Une efficacité remarquable quand on la compare aux délais moyens habituels de douze à dix-huit mois nécessaires à une enquête de police, d’environ trente mois pour une information pénale. L’avocat analyse : il fallait aller vite, la présidentielle arrivait. Il revient sur les propos d’Éliane Houlette, alors procureur de la République du Parquet national financier (PNF), relatifs à "l’énorme pression" qu’elle aurait subie lors de l’instruction de l’affaire Fillon. Pression des journalistes, du parquet général avec ses demandes de transmission rapide sur les actes d'investigation ou les auditions, "parfois deux ou trois demandes dans la même journée". Ces confidences datent de son audience de juin 2020 devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Le cadre est posé, et il y a de quoi, selon François-Henri Briard, s’interroger sur l’impartialité de la justice rendue dans ce dossier. Ne serait-elle que subjective, quoique l’impartialité subjective soit fondamentale dans le rendu de la justice. "La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit donner l’impression d’avoir été rendue", explique l’avocat. Comment le pourrait-elle si les juges de cassation sauvaient l’arrêt d’appel dont les fondements ont été "lézardés" par la décision du Conseil constitutionnel de septembre dernier, questionne l’avocat. C’est aussi (et surtout)le moment de tirer les conclusions de la censure constitutionnelle de septembre 2023 – invocable dans les instances en cours ou à venir selon les vœux du conseil n’oublie-t-on pas de souligner – de l’alinéa 1 de l’article 385 du Code de procédure pénale, qui empêchait un prévenu de faire valoir des nullités dont il n’avait eu connaissance qu’après leur purge. François-Henri Briard avait décrypté dans une interview pour Décideurs Magazine: "Il [François Fillon] n’a pas pu soulever la nullité alors qu’il venait d’apprendre au cours de l’audition devant une commission parlementaire de madame Éliane Houlette, procureure financière chargée du dossier, qu’elle avait fait, selon elle, l’objet de pressions." L’arrêt de mai 2022 qui prive François Fillon, son épouse et Marc Joulaud de leurs moyens de défense (les irrégularités de l’enquête) mérite selon lui la cassation totale. "Ce sera une cassation pour l’impartialité et pour le doute, poison de la justice".

"Ce sera une cassation pour l'impartialité et pour le doute, poison de la justice"

Mauvais juge

Pour Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui plaidait également à l’instance, les "conditions rocambolesques des poursuites des Fillon et de Marc Joulaud" rendent cette affaire exceptionnelle. Et “à affaire exceptionnelle, motivations exceptionnelles”. La Cour de cassation n’a pas tout son temps et il faudra se contenter de l’exposé de cinq moyens de cassation sur la trentaine préparée par les deux avocats pour sortir leurs clients de cette mauvaise passe judiciaire. Selon eux, il y a erreur sur le juge. Ce n’est pas au juge répressif de connaître de cette affaire, mais au juge administratif. La Cour de cassation l’aurait déjà jugé à l’encontre d’élus locaux : pour arriver devant le juge pénal, les faits doivent avoir été commis de façon détachable des fonctions publiques de leur auteur. En face, on plaide l’inverse. Pour l’avocat général Pascal Bougy, inutile de chercher la faute détachable quand l’infraction a été commise dans l’intérêt personnel : "Les Fillon ont agi dans le but de financer leur train de vie, à l’instar de Marc Joulaud". Il brandit une décision de juin 2018 rendue à l’encontre d’un sénateur, dont Patrice Spinosi soutiendra à la fin de l’audience qu’elle n’est plus de première fraîcheur.

Autres griefs portés par le pourvoi : la violation du principe non bis in idem qui interdit de juger deux fois une personne pour les mêmes faits par la cour d’appel de Paris – qui a vu dans la signature du contrat de travail avec la Revue des deux mondes à la fois la complicité et le recel ; l’absence de prise en compte de la personnalité et de la situation de François Fillon pour fixer sa peine, et la question de la réparation intégrale du préjudice de l’Assemblée nationale. Les trois prévenus avaient été condamnés à verser près de 800 000 euros de dommages et intérêts à l’Assemblée nationale (679 989,32 euros pour Marc Joulaud et Pénélope Fillon et 126 167,10 euros pour les époux Fillon). La défense, les avocats Pierre Cornut-Gentille et Antonin Levy, avait plaidé devant les juges du fond la jurisprudence Kerviel. Une thèse qui exclut la réparation intégrale pour le cas d’un contrôle défaillant de la part de l’Assemblée nationale. Affaire à suivre, les juges de la Cour de cassation rendront leur décision le 24 avril prochain.

Anne-Laure Blouin

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