Arrivée dans le droit français avec la transposition de la directive européenne dite "restructuration et insolvabilité", la notion de classes de parties affectées a fait ses premières preuves lors du dossier Orpea, l’une des plus grandes restructurations financières de l’année 2023. L’occasion d’observer les conséquences de son introduction dans les procédures collectives alors que ces dernières explosent en France.

Depuis 2021, dans le cadre d’une procédure collective, il n’est plus question de "comités de créanciers" mais de "classes de parties affectées", une petite révolution. Concrètement, lorsqu’une entreprise qui rencontre des difficultés est concernée par l’ouverture d’une procédure, ses créanciers sont réunis au sein de classes dès lors qu’ils constituent une "communauté d’intérêt économique suffisante". Le dispositif a pour vocation d’unifier les droits de la faillite en Europe et de rééquilibrer le droit français auparavant plus favorable aux débiteurs qu’aux créanciers.

Ceux qui sont affectés par les classes

La notion de "parties affectées" a élargi la base des parties prenantes concernées par le droit des entreprises en difficulté. Aujourd’hui, ces classes hiérarchisent les créanciers (banques, fournisseurs et obligataires), et les détenteurs du capital : les actionnaires de l’entreprise en difficulté et ceux qui détiennent des unités de valeurs mobilières. Dès lors qu’une participation au capital peut être affectée par le plan de redressement, son détenteur est considéré comme une "partie affectée" aussi bien lors d’une procédure de sauvegarde que d’une procédure de redressement judiciaire. À noter, ceux qui sont "dans la monnaie" bénéficient d’un rang de classe supérieur à ceux qui ne sont "pas dans la monnaie", les détenteurs de capital qui n’auraient droit à rien en cas de liquidation ou de cession de l’entreprise. 

"Les CPA ont permis d’ouvrir plus de perspectives de redressement pour les débiteurs et les repreneurs pour qui le plan de cession n’est plus nécessairement la solution à privilégier" Emmanuel Drai, Simon Associés

Fin des blocages entre créanciers

L’introduction de ces classes de parties affectées (CPA) a redéfini les rôles de toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse des créanciers, des conseils ou des organes de la procédure. Les créanciers, d’abord, du fait qu’ils soient regroupés en classes et que le plan devra avoir été adopté soit par la majorité des classes (avec la présence d’au moins un groupe de créanciers supérieur à celui des créanciers chirographaires) soit par au moins une classe de créanciers dits "dans la monnaie", ont vu leurs places redistribuées. Pour Emmanuel Drai, associé du cabinet Simon Associés, et spécialiste des restructurations industrielles et financières, le mécanisme de CPA a permis d’ "optimiser le traitement du passif pour se concentrer uniquement sur les créanciers qui sont dans la monnaie, les autres n’ayant plus la possibilité de bloquer la définition et la mise en place d’une solution de pérennité." Une évolution bénéfique à l’entreprise qui peut plus facilement coordonner le redéploiement de son activité avec le remboursement de ses dettes. "Les CPA ont permis d’ouvrir plus de perspectives de redressement pour les débiteurs et les repreneurs pour qui le plan de cession n’est plus nécessairement la solution à privilégier", confirme Emmanuel Drai.

"le juge continue d’être central dans la procédure car il contrôle sa légalité et le respect des intérêts en présence, mais l’administrateur judiciaire en constituant les classes, a une influence déterminante" Michel Teytu, TC de Paris

Constitution des classes, le nouveau nerf de la guerre

 Dans un contexte où les classes ont un rôle décisif, en se partageant des droits de vote, le rôle de l’administrateur judiciaire devient plus important. Depuis la réforme, c’est à lui qu’incombe la lourde tâche de constituer ces classes. Serge Préville, administrateur judiciaire, témoigne : "Désormais les administrateurs doivent constituer de manière indépendante les classes amenées à voter le plan, une répartition préalable qui contribue à mieux travailler le plan". Pour Michel Teytu, président de chambre rattaché à la Chambre de sauvegarde du tribunal de commerce de Paris, "le juge continue d’être central dans la procédure car il contrôle sa légalité et le respect des intérêts en présence, mais l’administrateur judiciaire en constituant les classes, a une influence déterminante". Une prérogative qui repositionne sa place parmi les organes de la procédure.

Orpéa, cas d’école pour les classes de créanciers et actionnaires

La restructuration financière du groupe Orpéa, endetté à plus de 9 milliards d’euros, est à date, le plus grand théâtre de mise en application du mécanisme de CPA. À l’occasion du vote du plan de sauvegarde du groupe, sur les dix classes constituées, six ont approuvé le projet de plan à la majorité des deux tiers, trois à la majorité simple et une classe, les porteurs d’Oceane, l’ayant rejeté. Depuis la transposition de la directive, les renégociations financières dans le cadre de la restructuration lèsent les actionnaires au profit des créanciers, la simple détention de capital positionnant les actionnaires à un rang inférieur. Dans le cas Orpea, faute de majorité requise pour l’ensemble des classes concernées, le contentieux engagé par les porteurs d’Océane a donné lieu à un arrêt de la cour d’appel de Versailles le 22 juin dernier. Mauvaise nouvelle, en dépit de la valeur de leurs titres et de leur refus de voter le plan, celui-ci leur a été imposé. Un passage en force qui remet en question la sacralisation de la propriété dans le droit français, les titres des actionnaires potentiels (car détenteurs d'obligations convertibles en actions) n’étant plus systématiquement considérés comme ayant un intérêt économique suffisant par rapport à ceux des créanciers dits "dans la monnaie". En définitive, le tribunal de commerce de Nanterre a validé le plan de sauvegarde accélérée par "voie d’application forcée interclasses". Un procédé qui génère des contestations. À date, dix- neuf contentieux sont en cours dans le dossier Orpéa.

Davantage de contentieux

"Cette réforme rend les dossiers de restructuration beaucoup plus contentieux, les créanciers sont davantage enclins à judiciariser les procédures. Le restructuring, traditionnellement très transactionnel, devient de plus en plus judiciaire", témoigne l’associé d’un cabinet qui assiste le groupe d’Ehpad. Des plans imposés qui supposent parfois que des créances soient écrasées. Récemment, un arrêt de la cour d’appel de Versailles en date du 12 septembre 2023, a fait bruisser le marché. La décision rendue par l’instance a validé l’écrasement de 86 % du passif des créanciers, y compris pour deux classes qui avaient voté contre le projet de plan. Des décisions qui génèrent de fortes possibilités de contentieux, en plus des précisions nécessaires induites par ce nouveau régime. Autre point, pour Sophie Moreau-Garenne, associée du cabinet de conseil SO-MG Partners, les dossiers de restructuration passent de plus en plus vite en redressement : "Nous n’avons jamais aussi vite parlé de redressement judiciaire avec les dirigeant", s’étonne l’associée fondatrice, "le jeu est aussi en faveur des débiteurs. Les valeurs des entreprises en difficulté étant faibles, céder les actifs rapportent peu, ce qui laisse peu d’options aux créanciers. Avec peu de marge de manoeuvre, les dossiers passent en procédures collectives ou les dettes sont écrasées." Les prochaines années laisseront sans doute la place à de nombreuses jurisprudences pour préciser l’application de la réforme du droit d’insolvabilité. Suite au prochain chapitre.

Céline Toni

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