Dans le premier volet du sujet consacré au développement de la femtech, nous vous proposions une photographie de l’écosystème. Dans ce second volet, nous apportons un éclairage sur le décalage entre un secteur en pleine effervescence et des fonds qui ne sont pas nécessairement au rendez-vous.
Luna, pour le diagnostic de l’endométriose ; Emagina, pour aider les femmes enceintes à se préparer à l’accouchement ; Healpshape pour les bioprothèses de reconstruction mammaire… Les start-up de femtech se multiplient pour tenter de répondre à des besoins propres à la santé des femmes. Les idées sont là mais les fonds manquent à l’appel.
Début 2023, Juliette Mauro, cofondatrice de l’association Femtech France confiait au magazine Mind Health la difficulté pour ces start-up à se financer : "Il y a déjà une première frilosité à l’investissement qui est le prisme du genre, les femmes lèvent moins même si des investissements sont faits. La seconde est liée à la maturité des structures et du marché". Les fondatrices font face à plus d’obstacles que leurs homologues masculins pour lever des fonds. Le marché de la femtech, bien qu’en devenir, reste malgré tout fragile. "Le système est en croissance et mature, comparativement à 10 ans auparavant, soulignait Tatiana Jama, cofondatrice et coprésidente du collectif Sista sur le plateau de Sqool TV (une chaîne de télévision française entièrement dédiée à l’éducation et au numérique), mais il demeure toujours malheureusement dans un entre-soi." Et de déplorer : "Dans la tech, nous ne sommes que 2 %. Depuis 4 ans, on compte les femmes mais elles ne comptent toujours pas". Oriana Kraft, fondatrice et organisatrice du FemTechnology Summit qui se déroule en Suisse, va plus loin : "Les hommes ont du mal à comprendre les problématiques qui ne les concernent pas directement, du coup ils y portent moins d’intérêt."
Des difficultés à trouver un modèle économique
Lors de la table ronde "De la levée de fonds à la solution à impact : focus sur le domaine de la femtech" qui s’est déroulée le 13 juin à PariSanté Campus, Baudoin Hue, Partner chez Karista, a tenu à souligner qu’il n’y avait pas de discrimination positive comme négative sur le sujet : "La femtech est un cas d’investissement comme un autre pour des solutions répondant à des besoins médicaux forts. Mais, ce marché ne peut se développer qu’avec une perspective de valeur à terme." Et d’insister : "Sans solvabilité du produit en bout de chaîne, rien ne peut se faire en amont." Pas convaincue de l’explication, Fatoumata Ly, cofondatrice et CEO de Ninti, a amicalement invité les investisseurs "à changer de lunettes". Plus sérieusement, elle a appelé à un travail de réflexion sur de nouveaux modèles de financement avec les fonds d’investissement en santé et les acteurs des politiques publiques. "Dès que l’on touche à une solution à impact avec des nouveaux paradigmes, les investisseurs ont une lecture un peu ancienne de financement qui ne se retrouve pas avec le produit", a-t-elle regretté.
Priorité au réseau
Sans attendre les fruits d’une telle réflexion, comment faire pour avancer, convaincre et se financer ? Pour trouver le modèle économique, l’entrepreneure a invité à développer des projets, à les mesurer en ayant une culture de la donnée et à développer des partenariats avec des hôpitaux, des entreprises, des assurances et des mutuelles. Annalisa Balladori, cofondatrice de Ziwig, a confirmé : "Rien ne se fera sans partenariats avec des hôpitaux et des entreprises expérimentées." L’écosystème est fondamental. "Il est riche mais encore jeune et a besoin d’être aidé pour continuer à se développer", a relevé Juliette Mauro. AnnaLisa Balladori se veut confiante : "Une des forces de la femtech est sa capacité d’innovation", voyant dans les nouvelles technologies et l’IA "un champ des possibles insoupçonnable il y a peu", a-t-elle souligné. Petit à petit, la femtech fait son nid.
Pierre Derrouch