La lutte contre l’obésité fait l’actualité du moment. Le groupe pharmaceutique américain Eli Lilly and Company ne s’y est pas trompé en lançant début novembre un produit "miracle". Les profits du laboratoire grossissent à vue d’œil et les utilisateurs gagnent quelques crans de ceinture. Il n’est pas le seul à profiter d’un marché juteux. Pourtant si la prouesse est belle, la promesse mérite d’être nuancée.
Sur le ring, deux poids lourds de l’industrie des coupe-faim : Eli Lilly and Company, qui a obtenu le feu vert de la FDA le 8 novembre dernier pour commercialiser le Zepbound (connu en Europe sous l’appellation de Mounjaro). Le vénérable laboratoire pharmaceutique fondé en 1873 se porte comme un charme. Selon l’analyste François d’Hautefeuille, il représente aujourd’hui la plus importante capitalisation boursière du Big pharma[1]. Face à lui, le Danois NovoNordisk, le petit jeune du duo, 100 ans tout de même. Pionnier du traitement du diabète, le laboratoire cartonne avec le Wegovy, autre médicament vedette de lutte contre l’obésité. Début 2023, son antidiabétique Ozembic affolait déjà les compteurs et connaissait régulièrement des ruptures de stock. En cause ? Le détournement de ses indications thérapeutiques, il est désormais également prescrit comme coupe-faim. Les deux champions industriels dominent ce marché colossal. Chris Schott, analyste de la banque JP Morgan, annonçait le 12 novembre, une croissance annuelle de 50 milliards de dollars par an d’ici 2030 ! Une performance relayée dès le lendemain dans le magazine américain Barron’s[2].
Des résultats encourageants mais…
Cette réussite industrielle, ou plutôt la communication qui l’entoure, soulève quelques questions, laissant croire que ces produits seraient la panacée contre l’obésité et ses comorbidités. Ainsi, NovoNordisk a présenté en août 2023 les résultats préliminaires de son étude sur le Wegovy, prévoyant une réduction de 20 % des risques d’accidents cardiovasculaires par rapport à un placebo. Le 11 novembre, le cardiologue et généticien américain Eric Topol soulignait sur son blog[3] que les résultats étaient bons, mais peu significatifs dans l’absolu, s’appuyant sur les données complètes de l’étude présentée par l’American Heart Association le même jour. Mais, ce qui l’irrite le plus, c’est de voir que les laboratoires promeuvent des traitements à vie, sans envisager une sortie qui ne se traduise pas par une reprise de poids.
Autre exemple, la chaîne américaine Walmart a affirmé que l’engouement pour Ozempic s’accompagnait d’une légère baisse du panier global[4] d’achats. Sur quelle base ? En observant les données de tickets de caisse que les acheteurs de médicaments (qu’elle vend également) achetaient un peu moins de produits caloriques. Le buzz était lancé. Pourtant, le géant de la grande distribution a eu tôt fait de déclarer qu’il était trop tôt pour déterminer quels effets les médicaments avaient réellement sur ses ventes globales.
Gare aux effets pervers
Difficile de reprocher aux laboratoires de vouloir répondre aux attentes des patients obèses et à un problème de santé publique. Mais, ces médicaments pourraient avoir un effet contreproductif, opinion partagée par Kurt Jacobsen, professeur d’histoire à la Copenhagen Business School dans une émission du 9 octobre dernier de la chaîne américaine CNBC[5]. Le risque serait que ce médicament devienne un quitus pour celles et ceux qui souhaiteraient perdre du poids sans y associer d’exercices physiques et une alimentation saine. Lucie Favre, endocrinologue au Centre hospitalier universitaire vaudois le dit autrement dans un podcast de la Radio télévision suisse [6] : "La cause de la pandémie d’obésité mondiale est liée à la sédentarité et à une alimentation trop riche en sucre et en graisse. Il faudrait d’abord agir sur ces vecteurs pour ne traiter que les patients qui souffrent d’obésité." C’est bien de le rappeler.
Pierre Derrouch
[1] https://www.boursorama.com/bourse/actualites/pourquoi-il-faut-acheter-eli-lilly-8caf13f6d49d31353974a5efb59d54cb
[2] https://www.barrons.com/articles/eli-lilly-novo-nordisk-weight-loss-drugs-131a5c10
[3] https://erictopol.substack.com/p/the-big-trial-of-a-glp-1-drug-wegovy?utm_campaign=email-half-post&r=n58i&utm_source=substack&utm_medium=email
[4] https://www.crumpe.com/2023/10/walmart-affirme-que-lengouement-pour-ozempic-reduit-la-demande-dans-les-allees-des-epiceries
[5] https://www.barrons.com/articles/eli-lilly-novo-nordisk-weight-loss-drugs-131a5c10
[6] https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/6417/ozempic-maigrir-perte-poids