Selon les dernières données communiquées le 8 février 2023 par l’Agence de la biomédecine, 5 495 greffes d’organes ont été réalisées en 2022. Et pourtant, au 1er janvier 2023, 10 810 patients étaient inscrits sur la liste d’attente active. La xénotransplantation, ou transplantation d’organes entre espèces différentes, se présente comme une réponse potentielle à la pénurie d’organes humains, notamment pour le cœur et le rein.
La xénotransplantation ne semble plus être un objectif hypothétique. Les progrès s’enchaînent. En voici deux exemples marquants. Le 7 janvier 2022, une greffe d’un cœur porcin génétiquement modifié a été réalisée chez un patient en insuffisance cardiaque terminale à l’University of Maryland School of Medecine, à Baltimore aux États-Unis. Celui-ci était inéligible à une greffe de cœur humain. Il a survécu 2 mois. En août 2023, une équipe new-yorkaise de l’Institut de transplantation de NYU Langone Health a greffé un rein de porc sur un patient en état de mort cérébrale. Le greffon a fonctionné 32 jours. La science avance mais des obstacles restent à franchir.
De nombreux défis
Tout d’abord, pourquoi avoir choisi le porc comme donneur alors que nous partageons 99 % d’homogénéité génétique avec le singe ? "Les risques de transmission rétrovirale sont trop élevés, du fait de cette proximité", a expliqué le docteur Julien Branchereau, chirurgien urologue au CHU de Nantes et membre du comité de transplantation et d’insuffisance rénale chronique de l’Association française d’urologie, lors du congrès de la spécialité le 22 novembre dernier. Une modification génétique de l’animal est cependant nécessaire. "Si on greffe un rein de porc à un patient sans cette modification, on assiste très rapidement à un rejet hyper-aigu", a souligné le docteur Vincent Goutadier, néphrologue et membre du Paris institute for transplantation & organ regeneration lors de l’événement. Mais, les biotechnologies d’édition du génome porcin ont déjà permis de faire un grand pas en mettant "KO" certains gènes de l’animal, selon l’expression des scientifiques, pour limiter le rejet, la thrombose ou encore l’inflammation post-greffe. Deux start-up américaines, Revivicor et eGenesis, travaillent de leur côté sur des solutions pour éviter le rejet des organes xénogreffés en modifiant le système immunitaire des receveurs. Elles commercialisent aussi des organes de porc génétiquement modifiés. Malgré tout, la barrière immunologique n’est pas totalement levée. "Des risques de transmission de virus entre l’animal et l’homme (on parle de zoonose) demeurent", a rappelé l’urologue nantais.
Aux défis scientifiques s’ajoutent des freins éthiques, religieux et philosophiques. Par exemple, la question du bien-être animal et des modifications génétiques est prégnante. "Il ne s’agit pas de transformer le porc, de jouer l’apprenti sorcier, mais de recourir à quelques individus de souches rares, qui deviennent de fait des biomédicaments", indiquait le 8 août 2022 dans les colonnes de Ça m’intéresse le professeur Gilles Blancho, alors président de la Société francophone de transplantation, qui se voulait rassurant. Tous ces préalables imposent cependant une approche prudente de la xénotransplantation qui n’a pourtant jamais semblé aussi proche.
Premiers essais en vue ?
La question n’est plus de savoir si elle va révolutionner la greffe d’organe, mais quand, comme l’a souligné le docteur Julien Branchereau. Début de réponse exprimé fin novembre 2023, par le docteur Mike Curtis, président et CEO d’eGenesis : "Il existe une possibilité de lancer un essai clinique au Japon dès la fin de l’année prochaine, même s’il est plus probable que nos essais cliniques sur les reins commenceront en 2025". C’est quand même déjà demain…
Pierre Derrouch