Lundi 4 novembre 2024, le comptable belge Charles Van Houtte passait à la barre. Soupçonné d’être le bras armé du système centralisé de gestion des enveloppes du Parlement européen pour les députés européens et leurs assistants, il est revenu sur ce qu’il a dit lors de l’instruction et a nié en bloc l'existence d'un tel système et la fictivité des emplois visés.
Procès des assistants du RN : audition de Charles Van Houtte qui comptait et c’est tout
Changement de ton à barre ce lundi 4 novembre. Charles Van Houtte, le comptable tant de fois cité au cours des débats des dernières semaines et poursuivi pour complicité de détournements de fonds publics, est de loin – Marine Le Pen mise à part – l’un des accusés les plus précis dans cette affaire des assistants parlementaires des eurodéputés du Front national. Il insiste pourtant sur son absence de diplôme de comptabilité – à l’époque, on devenait comptable avec un simple stage d’après lui – et sur le fait qu’il n’est pas juriste. “Je n’étais pas chargé d’établir ni de faire quoi que ce soit en matière de contrat”, déclare ce fervent catholique de 58 ans. Difficile alors de comprendre l’articulation entre ses fonctions d’assistant parlementaire (poste qu’il occupe entre 2009 et 2014) et ses compétences de comptable. “On a voulu me donner un rôle qui n’était pas le mien”, explique-t-il. Un rôle qui consistait selon les investigations à suivre l’utilisation de l’enveloppe parlementaire par les députés et à établir les tableaux de synthèses de la gestion de ces enveloppes, cœur du système centralisé de fraude reproché au parti d’extrême droite. Selon ses dires, il n’a fait qu’en simplifier la lecture.
“Il n’y a que des prérequis à ce procès”
Il étudiait dans une école de commerce en Belgique, l'Ichec Brussels Management School, lorsqu’on lui propose un stage au Parlement européen auprès du député Jean-Claude Martinez, membre du Front national depuis 1985. On lui raconte que ce professeur de droit est issu d’“un petit parti pas très bien vu en France”. En 1993, Charles Van Houtte n’a “aucune idée de ce qu’était le RN”. Il ignore tout de la dynastie Le Pen dont il ne tarde pas à rencontrer le patriarche, Jean-Marie, qu’il trouve courtois. Puis il a “suivi la piste de comptabilité” à l’époque où Windows explose et travaille comme comptable externe pour des députés du Parlement européen. Sa carrière au Parlement européen ne démarre vraiment qu’en 2009 lorsqu’il devient assistant parlementaire accrédité de Marine Le Pen, avant de devenir celui de Louis Aliot en 2014. Il a finalement atteint son “but” (pas le rêve de sa vie, nuance-t-il), celui de travailler au Parlement européen, et s’est retrouvé à faire les comptes parce qu’il avait “cette capacité à réaliser un budget”. En 2009, il travaille aux côtés des trois députés FN, les “vieux de la vieille” comme il les appelle : Bruno Gollnisch et les deux Le Pen, Jean-Marie et sa fille Marine. En 2014, après l’élection massive du Front national à Bruxelles, c’est avec 22 députés qu’il fonctionne, moins Florian Philippot. C’est le seul député qui n’a pas voulu donner la procuration demandée à tous les élus à une réunion du 30 juin 2014 au Parlement européen, et à laquelle Charles Van Houtte prétend ne pas avoir été présent. Cette procuration devait permettre au comptable de suivre les enveloppes budgétaires des élus. L’avocat de la défense Rodolphe Bosselut intervient : le document ne sort pas du chapeau du RN, mais de celui du Parlement comme l’indiquent les mentions du papier projeté au rétroprojecteur. Il s’agit pour la défense de remettre l’église au milieu du village, “il n’y a que des prérequis à ce procès”, souffle-t-il. On sent de ce côté de la salle une lassitude envers un tribunal “orienté”, comme le qualifiera au détour d’une phrase Charles Van Houtte.
Exemple même de la mutualisation
Quand on l’interroge sur la nature de ses fonctions d’assistant parlementaire, c’est plutôt flou. C’est le mot “facteur” qui ressortira des débats. Le procureur tente de comprendre : “Vous étiez assistant parlementaire, mutualisé sur d’autres députés et vous vous occupiez des questions financières et vous étiez en relation avec 22 députés ?” “La réalité du terrain c’est que les autres, [il les croisait] à Strasbourg ou à Bruxelles, et qu’[il avait] avec eux une relation formelle [consistant à la] remise de documents ou [à faire] le lien avec le Parlement européen”, répond Charles Van Houtte qui se qualifie “d’exemple même de la mutualisation”, ce mot que les personnes passées à la barre utilisent tour à tour pour décrire la ronde des assistants parlementaires du FN. L’ancien assistant-comptable soutient tout de même avoir travaillé avec Catherine Griset sur le plan de l’assistance parlementaire de Marine Le Pen, pour organiser son agenda, ses déplacements et pour ses dossiers. Il établit un parallèle avec le cas Thierry Légier, le garde du corps “qui [quand] il déposait son arme à l’entrée [en se rendant] au parlement (…) devenait assistant parlementaire”. Contrairement à ce qu’il aurait déclaré pendant les interrogatoires de police, il nie que Thierry Légier était simple garde du corps. “À partir du moment où Thierry Légier porte des dossiers, il travaille pour tout le monde [les députés, ndlr]”. Il a quand même pensé à questionner le Parlement sur la compatibilité des missions d’un garde du corps avec celle d’un assistant parlementaire. Et quand on lui demande s’il a quelque chose à voir avec la suppression de tâches reliant Julien Odoul au siège du FN dans l’avenant du contrat de cet assistant après les premières alertes de Bruxelles sur l’usage de l’enveloppe budgétaire par le parti, il se braque. Il ne touche jamais aux contrats.
Pendant cette journée, il revient aussi sur ses entretiens avec les enquêteurs qui lui auraient fait dire ce qu’il n’avait pas dit. Il en profite pour redonner le contexte : on ne faisait que lui parler d’emplois fictifs (“fictif, fictif, fictif !”). “J’étais sans doute fatigué”, “Dans ma tête ‘fictif’, c’était surtout ‘interdit’”. On lui prête d’avoir confirmé le système généralisé de gestion des enveloppes mais aujourd’hui, il conteste avoir eu connaissance de son caractère frauduleux. Et puis, argument récurrent chez les prévenus de ce procès, “à l’époque, il n’était pas aussi clair de savoir ce que l’on pouvait faire”. Il emprunte l’autre axe de la stratégie de la défense selon lequel un membre du Parlement européen roule nécessairement pour son parti : “Aujourd’hui, Catherine Griset est députée européenne et travaille pour le parti. On ne lui reproche rien.”
Au Front et non pour le Front
Quant aux mails sélectionnés par la présidente Bénédicte de Perthuis ou le Parquet, dont ils font lecture à l’audience, Charles Van Houtte oppose systématiquement son analyse, souvent percutante car il a bonne mémoire et se souvient des dates. Parmi ces mails, il y a ceux dans lesquels le comptable propose ou exige – cela dépend des versions – de rattacher tel assistant à tel député. Dans un échange de juillet 2011, il demande à Christophe Moreau (comptable également et tiers payant de certains eurodéputés entre 2004 et 2011) de “mettre Louis Aliot sur Jean-Marie et non sur Marine”. “On a l’impression que vous donnez des instructions à Christophe Moreau”, invective la juge. Inlassablement, il répète : “Ce n’est certainement pas moi qui prenais les décisions.” Dans d’autres courriels, il tirait la sonnette d’alarme, comme dans celui envoyé à Christophe Moreau où il écrit en lettre capitale : “IL FAUT ABSOLUMENT RÉAGIR MAINTENANT SINON NOUS COURRONS À LA CATASTROPHE.” Il y a aussi celui où il est question de verser une prime à Yann Le Pen, assistante parlementaire de Bruno Gollnisch, à la demande de sa sœur Marine.
Ou encore cet écrit de Thibaut de La Tocnaye, présenté comme prestataire extérieur du parti et qui se plaint : “De patron de mon entreprise, je me retrouve au Front, surtout via le Parlement, comme simple prestataire n’ayant aucune prise sur les événements et les arcanes administratives. Je l’accepte mais alors il faut assumer cette responsabilité à ma place.” Comme pour justifier les mentions “FN” inscrites devant certains des assistants des tableaux des dépenses qu’il a établis, Charles Van Houtte se raccroche au “au”. Ces gens-là travaillaient selon lui “au Front” et non “pour le Front”. Difficile, là encore, pour le public de se laisser convaincre, comme il l’a sûrement fait à quelques moments de l’audience, par l’aplomb de ce père de cinq enfants, qui n’hésite pas à dire à la procureure Louise Neyton qu’elle va “trop loin”. Charles Van Houtte se défend de toutes les suppositions des magistrats du siège sur les écrits qui laissent penser qu’il était le chef d’orchestre du système de ventilation des assistants parlementaires. “On est dans l’efficacité, j’écris dans un mail qu’il faut faire comme cela, mais cela a été discuté en amont.” Grosso modo, son travail se limitait à imputer le budget des uns sur celui des autres : “Ce sont des vases communicants, moi je jongle avec le budget.” Pas suffisant pour défaire l’impression des juges que ce sont des considérations budgétaires qui commandent l’affectation des uns et des autres.
Liste des problèmes
Si pour le comptable il va de soi qu’“à partir du moment où l’on peut mutualiser les ressources humaines, on peut mutualiser les budgets”, il en va autrement pour le ministère public qui revient sur cette notion de mutualisation dont il ne trouve de preuve “ni dans les tâches effectuées, ni dans les traces contractuelles, ni dans les rapports avec le parlement européen, mais uniquement dans les enveloppes”. Mais ce qui a vraiment fait mouche lundi, c’est une liste intitulée “Liste des problèmes à discuter”. Deux points de la to do interpellent en particulier : celui du “problème de mutualisation des contrats, interdites par le PE“ et celui du “problème de détournement de budget en cas de contrôle de l’OLAF (1 570 000 euros en 2011)”. La défense n’en mène pas large. Cette to do extraite de l’imprimante du comptable belge parle d’elle-même. Charles Van Houtte ne sait pas quoi répondre, “ça fait quinze ans”.
Aujourd’hui, Charles Van Houtte a repris une activité de comptable qui ne marche pas fort. “Je rame pour trouver des clients.” Sa réputation en a pris un coup avec ces histoires de fraudes colportées par la presse et son acoquinement avec le parti d’extrême droite français. Il avait une employée qui a démissionné quelques jours auparavant.
Anne-Laure Blouin
Crédit photo : Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons
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