Des dizaines de milliers de personnes ont défilé ce week-end en France, pour des revendications mêlant pouvoir d’achat et climat. Des objectifs qui semblent contradictoires et soulignent en creux la vacuité du débat démocratique autour de la transition écologique.

Il y a quelques semaines, nous signions un article au titre un peu provocateur : "Le pouvoir d’achat est-il has-been ?" Il s’agissait d’interroger la pertinence de cet indicateur dans un monde aux ressources finies et à l’ère de la sobriété forcée, à défaut d’être heureuse. La "marche contre la vie chère et l’inaction climatique" vient alimenter ce débat… et mettre à jour l’importance d’avoir un discours franc sur les tenants et aboutissants de la métamorphose écologique.

Jeu de dupes

Parmi les doléances des manifestants : retraite à 60 ans, augmentation des salaires, allocation autonomie de 1 100 euros pour les jeunes, blocage des prix, taxation des superprofits, bifurcation écologique. Pour Christian Gollier, professeur au Collège de France, spécialiste du climat et défenseur de la taxe carbone, cette marche ne pose pas correctement les termes de l’équation : "Marche contre la vie chère et l’inaction climatique, bel oxymore ! L’action climatique va coûter cher. Tant que l’on n’est pas prêt à accepter cela, on n’avancera pas."  Si l’on sent bien, notamment du côté de la France insoumise, la volonté de rassembler les colères afin, pour reprendre les mots de Jean-Luc Mélenchon, que "l’Union populaire" devienne un "Front populaire", si l’on perçoit parfaitement que la transition écologique ne pourra se faire sans davantage de justice sociale, le débat, mal posé, s’embourbe dans une mauvaise pièce de théâtre politicienne maintes fois rejouée. Les uns appelant au Grand soir, les autres, par la voix de Gabriel Attal, les accusant de vouloir "bloquer le pays".

La vie sera plus chère. Cela devrait être le point de départ de toute discussion sociale autour de la transition écologique

Injonctions contradictoires

La vie sera plus chère. Cela devrait être le point de départ de toute discussion sociale autour de la transition écologique. Or, si nécessaires soient-elles, les aides financières et autres boucliers tarifaires déployés par l’exécutif ne sont que des pansements sur une plaie béante. Il est temps d’engager un discours démocratique de vérité pour envisager les moyens d’atténuer le plus possible les tensions économiques et matérielles engendrées par le réchauffement climatique et la mise en œuvre de la transition écologique. Cela passera, certes, par une meilleure répartition des coûts entre les plus et moins riches d’entre nous, mais aussi par le déploiement d’une société de la sobriété, comprise de manière systémique. Or, quand Emmanuel Macon annonce vouloir faire de la France "une grande terre automobile de demain", nous nageons dans un océan d’injonctions contradictoires. D’abord parce que la voiture électrique a un coût écologique. Ensuite parce qu’on ne règlera pas le problème en remplaçant simplement le parc thermique actuel par des véhicules propres. Il s’agit au contraire de le limiter le plus possible à la faveur des mobilités douces et actives quand elles peuvent s’y substituer. Bref, de bâtir un nouveau paradigme. 

Artifice

Entendons-nous bien, la grogne sociale est tout à fait compréhensible et légitime, au vu de l’envolée de l’inflation, des incertitudes qui pèsent, des outrances de certains comportements qui exacerbent le sentiment d’injustice. Mais on ne règlera rien avec les recettes d’hier. Nous avons un besoin urgent d’un récit politique construit qui pose les enjeux et le chemin pour les relever, décliné à toutes les sphères de la vie publique, économique, culturelle et sociale du pays. Cela s’appelle, nous dit-on, la planification écologique. Elle revêt pour le moment tous les atours d’un énième artifice politique.

Antoine Morlighem

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