En matière d’environnement, chaque occasion est bonne pour retarder l’action, chaque prétexte adéquat pour détourner le regard. De cette simple observation perle une interrogation : pourquoi le sort du monde n’émeut-il personne ?
Parce qu’il y a la guerre, le profit et les intérêts, parce qu’il y a le confort, l’habitude, le café issu du commerce équitable et la plongée écoresponsable en Polynésie, parce que les incendies sont le fruit de l’homme, que la grêle en été demeure de l’eau congelée et qu’il fait encore trop froid en hiver, et, en définitive, parce que plein de choses moins importantes sont beaucoup plus importantes.
Effet de rattrapage
Malgré son retard dans la lutte à celui qui pollue le plus que semblent se livrer les différents continents, l’Europe, qui s’invente une forme d’exemplarité et d’avance en matière d’écologie, se fait de plus en plus exigeante, au moins en paroles, envers d’autres pays. Des pays qui, endurcis de l’étiquette de boucs émissaires du changement climatique et unis par une conviction commune, s’emploient à tourner le dos à la planète pour préserver leur produit intérieur brut. À l’ère du capitalisme, n’y a-t-il pas un risque à donner l’exemple, un désavantage concurrentiel à initier cette bascule ? Dès que l'on dit "Qui m'aime me suive !", il vaut mieux s'assurer de bien être suivi.
Expatrier sa responsabilité ne nous en affranchit pas complètement
Le profit trolle
L’économie, que l’on observe sous le spectre du pouvoir d’achat ou sous l’angle du capitalisme, prévaut et, malgré leurs fonds à impact, verts ou ISR et selon Oxfam France, trois banques françaises ont, chacune prise isolément, une empreinte carbone supérieure à celle de la France. Faire les choses moins mal ne revient pas à les faire bien. Gaël Giraud avait résumé cet état de fait dans un tweet datant du 23 mai dernier : "Le patron de l’investissement responsable chez HSBC en plein délire : il signe l’irresponsabilité de cette banque qui refuse les pertes que lui infligera l’abandon des fossiles. Autant tous mourir demain plutôt que de faire moins de profits aujourd’hui…" Autre exemple, autre firme : la France continue de promouvoir et de protéger Total, qui exhale également plus d’émissions absolues que la France, ce qui rend l’opportunité de s’ériger en donneur de leçons fragile. En attendant que notre jardin soit impeccable, gardons-nous de donner des leçons de jardinage. Et la planète patientera.
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Syndrome de l’ours blanc
Si la préoccupation environnementale tarde à infuser dans la société française, au-delà du scepticisme que certains médias peuvent ou ont pu parfois véhiculer, c’est parce que l’image de l’ours blanc amaigri et décoloré, juché sur un iceberg en phase de décongélation, n’a jamais ému que les arctophiles. C'est triste mais il y a pire et c'est loin. De la même manière, les images de maltraitance bovine s’estompent vite lorsque l’on est confronté à une entrecôte saignante et généreusement assaisonnée. Ce constat se révèle plus saisissant encore quand il est question d’efforts ou de coupes sèches dans notre confort. Il apparaît nettement plus acceptable de pointer du doigt les comportements outranciers de son voisin et de s’en remettre à son empreinte carbone, que l’on soit un être humain ou un pays. Expatrier sa responsabilité ne corrige rien, sinon son reflet. Et la planète s'en moque éperdument.
Faire les choses moins mal ne revient pas à les faire bien
Des mots, démocratie
La démocratie telle qu’elle est pratiquée en France n’est en mesure que d’appliquer des pansements sur les hémorragies sociales du pays quand elle ne les crée pas de toutes pièces. Un mandat de cinq ans dont les quatre dernières années sont mises à profit pour en briguer cinq de plus ne constitue qu’une contrariété à l’engagement, qu’un obstacle à l’initiative. Si l’exercice du pouvoir ne réside que dans l’espoir de le conserver, nos élus continueront de faire du vélo devant les caméras tout en exhortant à des gestes individuels – envoyer moins de mails un peu rigolos notamment – dont la stérilité fonctionnelle se conjugue à l’indifférence citoyenne. Et la planète se languit.
Peut-être que la planète n’intéresse personne pour d’autres raisons mais le monde se fissure physiquement, se fracture diplomatiquement, se délite moralement. Si l’homme est un être de conscience, peut-être serait-il temps de la mettre au service de la planète plutôt que d’en faire usage pour entasser des poussins aux cuisses disproportionnées dans de grands hangars avant de les broyer vivants. Les précurseurs contemporains sont désormais seulement les moins en retard. Et la planète mérite mieux.
Alban Castres