Face à l’urgence climatique et à l’ampleur de la tâche à accomplir, il y a de quoi être pris de vertige. L’inconséquence du comportement de certains et l’immobilisme d’une politique du compromis qui compromet toute action décisive, ont vite fait de nous faire succomber à une forme de découragement nihiliste. Et si, dans ce monde traversé par un vent d’autoritarisme new age, le Salut passait par un providentiel tyran vert ? Déconstruction d’un concept, dont les mains qui en tirent les ficelles ne sont pas forcément celles que l’on croit.
Avec la succession des crises et l’émergence d’un monde multipolaire qui n’a plus le modèle démocratique en idéal indépassable, une petite musique s’est installée dans l’inconscient collectif occidental : et si l’autoritarisme était finalement un modèle plus adapté pour garantir notre identité, notre sécurité, et relever les défis économiques, technologiques, éthiques, climatiques de notre temps ? La Chine et jusqu’à peu la Russie étant pris comme exemples désirables de cet illibéralisme mâtiné de virilisme désuet, sachant prendre des décisions de long terme, quitte à s’essuyer les pieds sur toute forme de discours contradictoire. De l’attractivité des réponses les plus simples aux situations les plus complexes ? Pour Dennis Meadows, co-auteur du rapport de référence sur le climat et les limites de la croissance de 1972, c’est une question de pragmatisme : "La montée de l’autoritarisme est inévitable. Je suis personnellement très content de vivre dans une démocratie. Mais nous devons admettre que les démocraties ne résolvent pas les problèmes existentiels de notre temps – dérèglement climatique, réduction des réserves énergétiques, érosion des sols, écart croissant entre riches et pauvres, etc.", déclarait-il ainsi en 2019 dans les colonnes de Libération. Une vision corroborée par le climatologue François-Marie Bréon dans le même journal, qui affirme de manière abrupte : "La lutte pour le climat est contraire aux libertés individuelles".
Touche pas à mon écocide
Face à l’urgence climatique, certains seraient donc tentés d’appliquer les recettes autoritaires à une forme de gouvernement écologiste, juste et "éclairé" qui prenne les décisions difficiles que la contradiction démocratique et le mouvement des forces sociales entravent. Une forme de mal nécessaire pour préserver ce qui peut encore l’être, trouvant racine dans un découragement compréhensible, encore attisé récemment par le fou-rire de Kylian Mbappé et Christophe Galthier à la suite de l’hilarante suggestion que leur équipe se déplace en train et non en avion pour rejoindre Nantes. Mais à y regarder de plus près, ce récit totalitaire teinté de vert est moins manié par les militants de la cause climatique que par leurs contradicteurs inexorables qui crient aux "Khmers verts" à la moindre remise en cause de leur droit d’écocide. Aidés en cela, il est vrai, par l’obstination de certains écologistes à partir en croisade contre des ennemis aussi redoutables que les sapins de Noël ou les piscines, quand il ne s’agit pas de barbecue ou de burkini.
Libérés, délivrés
S’il est illusoire de penser que l’avènement d’une société écologique ne passera pas par certaines privations et sacrifices, les cris d’orfraies de polémistes qui agitent la menace d’un totalitarisme vert révèlent l’insécurité grandissante de leur position. Car enfin, qui a la conception de la liberté la plus rabougrie ? Ceux qui veulent la recalibrer dans un récit et une philosophie, certes différents mais non moins valides, en phase avec les limites planétaires et la sagesse de notre temps, ou ceux qui la réduisent à un sacro-saint pouvoir de consommer et d’accumuler, sans autre souci que son confort personnel ? Comme l’expliquait le physicien Aurélien Barrau, lors d’un passage sur France Inter : "Il faut créer de nouveaux concepts, de nouveaux enchantements, comprendre qu'on peut jouir autrement qu'en préparant la 6G sur son téléphone portable. Cette binarisation entre nature et culture – comme tant d'autres -– est une construction sociale qui s'est avérée très puissante dans la métaphysique occidentale, mais dont on voit aujourd'hui qu'elle est extraordinairement néfaste parce qu'elle nous fait croire que nous jouissons d'une sorte de statut transcendant, nous les humains, ce qui est biologiquement faux, poétiquement triste et philosophiquement abject." Il est temps d’imaginer un nouveau contrat social, où justice sociale et climatique se rejoignent. Face à un réchauffement de plus en plus visible et sensible, les choses sont en train de bouger dans l’opinion. En témoigne la levée de boucliers de l’opinion sur les polémiques autour des jets privés ou des rires déplacés de Kylian Mbappé. Il y a encore quelques mois, elles n’auraient sans doute pas provoqué un tel tollé.
La transition est une fête
La démocratie est-elle capable d’insuffler cette révolution copernicienne ? Pour y parvenir, elle devra sans doute se réinventer, trouver les moyens d’être plus directe, concrète, proche des gens et des territoires, pour forger dans une délibération commune le ciment d’un consensus partagé. La responsabilité du gouvernement est immense pour en tracer le chemin. Celle des médias et des leaders d’opinion tout autant, pour former et sensibiliser la population aux enjeux. Cela ne se fera pas sans certains sacrifices, qui ne sont rien aux regards de ceux que les conséquences du réchauffement climatique nous imposeront et nous imposent déjà. Il faudra aussi savoir en montrer les opportunités et les facettes désirables dans notre quotidien. La transition n’a pas à offrir que "du sang, du labeur, des larmes et de la sueur". Elle peut aussi être une fête.
Antoine Morlighem