Le Parlement et le Conseil ont trouvé un accord sur le devoir de vigilance, un texte dans les tuyaux législatifs de l’Union européenne depuis février 2022. Par rapport à la loi française, un plus grand nombre d’entreprises seront concernées mais le secteur financier reste exclu de la directive.
Au bout de la nuit du 13 décembre 2023, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne sont parvenus à un accord provisoire sur la directive relative au devoir de vigilance. Plus ambitieux que la loi française de 2017, le texte devrait s’appliquer aux entreprises de plus de 500 salariés (contre 5 000 en Hexagone) et aux chiffres d’affaires supérieurs à 150 millions euros. Les entreprises non européennes qui produisent 300 millions de chiffre d’affaires dans l’UE entrent dans le champ d’application de la directive et seront listées par la Commission. Point chaud des débats, le secteur financier reste exclu de la directive, conformément au souhait de la France. Les eurodéputés se gardent la possibilité de le rapatrier dans le texte plus tard grâce à une clause de révision. Pour un collectif d'associations de défense des droits humains et environnementaux, “l’obstruction de la France concernant le secteur financier et les obligations climatiques” desservent le texte, “insuffisant à bien des égards”.
Certaines industries sont davantage dans le viseur de l’UE. Pour les entreprises textiles, d’habillement et de chaussures, de l’agroalimentaire, celles qui mènent des activités d’extraction et de commerce de gros de ressources minérales ou encore celles de construction, les seuils sont revus à la baisse : 250 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros.
Bonus indexé au score climatique
Pascal Canfin se félicite sur le réseau social LinkedIn de “cette avancée majeure, qui fait de l'Union la première puissance économique à se doter d'un tel outil et va permettre de tirer la mondialisation vers le haut sur le plan social et environnemental”. D’après l’eurodéputé français, l’accord acte des règles progressistes en matière de transition écologique. Il prévoit que toutes les entreprises de plus de 500 salariés opérant en Europe devront adopter et mettre en place un plan de transition. Un plan censé détailler en quoi leur modèle économique est compatible avec l’objectif européen de neutralité carbone de 2050 et avec ceux de l’accord de Paris. Le deuxième point souligné par Pascal Canfin vise les rémunérations des dirigeants des entreprises de 1 000 salariés. Avec cet accord, ces sociétés devront corréler les bonus des dirigeants avec leurs objectifs climatiques. C’est une victoire pour ce militant qui se bat depuis deux ans pour obtenir cette mesure. “Le fait d'intégrer le climat dans le calcul du bonus annuel est un levier de changement important et visible, même pour les dirigeants les moins convaincus par le sujet…”
Fin de la course des cowboys
D’après le compromis, la notion d’impacts environnementaux vise toute dégradation mesurable de l'environnement, telle qu'une modification néfaste des sols, une pollution de l'eau ou de l'air, des émissions nocives ou une consommation excessive d'eau. En clair, toute incidence négative sur les ressources naturelles met en danger l’entreprise qui en est à l’origine. Et engage sa responsabilité civile. Toute personne concernée par les impacts négatifs des activités d’une entreprise disposera d’un délai de cinq ans pour se retourner contre cette dernière. Les syndicats ou les organisations de la société civile bénéficient de la même capacité d’action.
Les rapports avec les sous-traitants se durcissent. Les sociétés devront couper les ponts avec leurs partenaires commerciaux qui ne parviennent pas à mettre un terme ou à éviter les nuisances générées par leur activité. Quitte à faire des investissements pour soutenir leurs partenaires et prendre des assurances contractuelles pour se protéger. Du côté des sanctions, en dehors des amendes – allant jusqu’ à 5% du CA net de l’entreprise –, l’accord prévoit des mesures d’injonction (obligation de prendre un “engagement significatif“, obligation de discuter avec les parties prenantes), la dénonciation publique ou, pire, l’exclusion des marchés publics. Pour la députée néerlandaise Lara Wolters, cette loi garantira “que les entreprises honnêtes n’ont pas à participer à la course contre les entreprises de cowboys". “Et d’affirmer que cet accord soit un hommage aux victimes de cette catastrophe [celle du Rana Plaza de 2013], et un point de départ pour façonner l’économie du futur.”
Maigre consolation
Les associations Sherpa, ActionAid France, Amie de la Terre France, CCFD-Terre Solidaire, Notre Affaire à tous, Reclaim Finance et Oxfam France dénoncent de leur côté le lobbying des multinationales. Elles soulignent que l'exclusion – “incompréhensible” – du secteur financier pourrait permettre aux acteurs financiers de continuer à soutenir des projets et des entreprises dangereux pour l’environnement et les droits humains sans avoir à rendre de comptes. Elles pointent aussi la définition étroite des atteintes à l’environnement et des dommages, l'exclusion de l’Accord de Paris du texte, le flou qui entoure le contrôle du contenu des plans de transition climatique des entreprises. Leur communiqué salue toutefois les mesures qui facilitent l'accès à la justice pour les victimes (relatives à la preuve et à la représentation des victimes). Une maigre consolation selon elles, face au “parcours du combattant” des victimes qui intentent des actions à l'encontre de multinationales.
Le texte doit encore être approuvé par la commission des affaires juridiques, et formellement adopté par le parlement et le conseil.
Anne-Laure Blouin