En 2022, ce sont 112 femmes et 14 enfants qui sont décédés sous les coups d’un (ex-) compagnon. La Coopérative U, dont les magasins parsèment la France, a décidé d’agir pour protéger les victimes. Un travail acharné mené par Ingrid Crambes-Tisserand, DRH, et Satya Goetz Lancel, responsable gestion de crise des Magasins U.

 

Décideurs RH. Vous avez mis en place une politique relative au soutien des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles à la Coopérative U. Quel a été le point de départ de cet engagement ?

Ingrid Crambes-Tisserand. En 2018, nous avons fait face à une succession de traumatismes : l’un de nos magasins a été victime d’un attentat meurtrier, et la même année, une collaboratrice est décédée à la suite de violences conjugales – un féminicide qui n’a hélas pas été le seul au sein des effectifs. Il nous a donc fallu nous poser la question de nos capacités d’action pour protéger nos équipes.

Les violences conjugales concernent toutes les franges de la population, des riches aux moins riches, des ruraux aux citadins. Nous avons voulu créer un dispositif ultra-réactif, capable de porter assistance à toute personne victime où qu’elle se trouve en France, et que les individus concernés puissent parler à leur direction et être protégés au plus vite.

Pouvez-vous décrire la manière dont le dispositif se déploie ?

Satya Goetz Lancel. Nous avons commencé par ouvrir un guichet unique et par concevoir un guide très simplifié sur les process à mettre en œuvre dès qu’une violence est suspectée ou déclarée. Immédiatement, la direction du magasin propose alors un entretien au collaborateur ou à la collaboratrice pour lui proposer son aide.

Dans ces situations souvent urgentes, notre dispositif permet à la victime d’être contactée sans délai par notre coordinateur interne et de recevoir un premier soutien psychologique, une mise en relation avec un juriste de notre partenaire France Victimes, une proposition de mise à l’abri pour le soir même avec Action Logement, ainsi que des solutions pratiques : accompagnement à la gendarmerie ou au poste de police pour déposer plainte, prêt d’un véhicule, aide à la garde d’enfants, aménagement du planning…  Nous communiquons aussi largement sur l’application gratuite App-Elles®, par laquelle il est possible d’alerter rapidement trois numéros de proches en cas de danger.

"Notre dispositif ouvre des droits à l’accompagnement psychologique, juridique, administratif et social avec des outils simples et des solutions proactives, équitables et surtout immédiates"

En quoi consiste le guichet unique ?

S. G. L. Le parcours d’une victime est très compliqué, donc nous l’avons simplifié avec une personne référente en interne qui accompagne la collaboratrice dans toutes ses démarches grâce à un maillage privé, public et associatif très étroit. Le guichet unique garantit la mise en relation des différents interlocuteurs vers la victime, et non le contraire. Notre dispositif ouvre des droits à l’accompagnement psychologique, juridique, administratif et social, avec des outils simples et des solutions proactives, équitables et surtout immédiates. L’idée est que l’on bénéficie de la même qualité et rapidité de prise en charge où que l’on travaille en France.

I. C. T. Parmi les violences, celles d’ordre financier sont également très présentes, y compris envers les hommes. De ce fait, nous créons des soupapes, enclenchables très rapidement, pour protéger nos équipes : blocage de l’intéressement sur un compte dédié, aide à l’ouverture d’un autre compte courant pour percevoir sa paie, etc.

 

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Pouvez-vous détailler les mécanismes de mise en sécurité que vous avez déployés ?

I. C. T. Outre la mise à l’abri en hébergement temporaire, nous pouvons organiser des solutions de mobilité d’urgence professionnelle avec l’aide des 1 500 magasins faisant partie de notre réseau en France, qui sont tous sensibilisés à cet enjeu, et par conséquent réactifs. Pour que les personnes concernées puissent s’organiser, nous proposons également l’aménagement des horaires, ou encore des jours d’autorisation d’absences exceptionnelles.

Nous avons identifié des pistes d’amélioration qui sont en cours de réflexion, notamment une garantie violences conjugales dans notre prévoyance ou complémentaire santé, pour la prise en charge des jours d’ITT et la couverture juridique.

Pouvez-vous détailler la manière dont vous avez communiqué sur cette politique à vos équipes, pour que la prévention soit réellement effective ?

S. G. L. Nous avons communiqué grâce à une vaste campagne de sensibilisation qui a été conduite dans tous nos magasins pour éveiller la conscience du personnel, des managers et des associés sur l’importance de la réactivité et de la bienveillance face aux victimes, et sur l’existence même du dispositif d’assistance. Nous avons aussi formé l’ensemble des personnels RH, fonctions support et associés. Ces formations, très opérationnelles (qui contacter, quand et comment ; comment ouvrir les droits exceptionnels, etc.), sont dispensées en partenariat avec la fédération France Victimes.

Une personne sur dix connaît un ou une collègue qui est ou a été victime de violences conjugales.
Étude OneInThreeWomen, 2019

Qu’avez-vous mis en place pour que les managers sachent accueillir et accompagner les personnes victimes, et continuent de miser sur elles pour la suite de leur carrière ?

I. C. T. D’abord, notre campagne de sensibilisation insiste sur le rôle d’accompagnement qui est celui des managers, et sur le fait que les victimes ne sont pas "faibles". Nous rappelons aussi qu’une personne sur dix connaît un ou une collègue qui est ou a été victime de violences conjugales. Il résulte du résultat de cette campagne un climat d’une extrême bienveillance, où très souvent, la première personne que les victimes appellent à l’aide dans leur entourage est leur manager.

Ces histoires de vie révèlent des personnes très fortes : elles ont eu le courage inouï de partir. On s’aperçoit même souvent que cette puissance de vie les amène à être promues plus rapidement.

"L’entreprise possède un immense pouvoir et protéger les victimes est un grand pas que tout le monde peut faire"

Quels sont les impacts que vous avez constatés depuis quatre ans ?

I. C. T. Très régulièrement, je lis des mails d’alerte pour des accompagnements : cela a beau être déchirant, c’est malgré tout la preuve que notre dispositif est connu en interne et est bien géré. Nous avons toujours trouvé des solutions pour les victimes en travaillant au cas par cas et je considère cela comme faisant partie de mon rôle de citoyenne et de DRH.

C’est un travail courageux, d’une exemplarité rare. Satya, vous menez un travail de plaidoyer à ce sujet auprès des autres entreprises de retail : pouvez-vous en parler ?

S. G. L. Les recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les impacts des violences privées sur le travail datent de 2019 et ont conduit à un changement de mentalité : on ne peut pas séparer vie professionnelle et personnelle sur les enjeux de violence. Toutes les entreprises du secteur privé comptant au moins dix salariés cotisent pour Action logement : cette ressource, formidable, capable de mettre à l’abri et même de trouver un logement pérenne, est à la portée de toutes les entreprises cotisantes. Tout le monde peut faire ce que l’on fait. Sans se substituer au service public, l’entreprise possède un immense pouvoir et protéger les victimes est un grand pas que tout le monde peut faire. Je suis convaincue qu’il faudrait normer cette pratique, et j’y œuvre activement en menant une action de plaidoyer auprès de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).

Propos recueillis par Judith Aquien 

 

À savoir

Les violences conjugales concernent toutes les classes sociales. Si les signalements augmentent, ceux-ci ne représentent encore qu’une partie émergée d’un iceberg qui fait des milliers de victimes chaque année, dont des décès. Ces associations peuvent aider les individus témoins et victimes comme les entreprises dans la construction d’une aide d’urgence :  

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