Si l’hybridation du monde du travail ne fait plus de doute, celle de la formation professionnelle non plus. Quand les MOOC révolutionnaient le secteur il y a dix ans, à présent adaptive learning, social learning, action learning prennent place, sans oublier pour autant le présentiel. Pour lors, comment la formation s’hybride-t-elle ?

Si la crise sanitaire a apporté de nombreuses modifications au sein des organisations de travail, il en est de même pour la formation professionnelle. Rarement tenue en distanciel, celle-ci a été digitalisée du jour au lendemain. Le blended learning s’est imposé comme modèle de référence. Toutefois, une hybridation réussie nécessite agilité, patience et innovation.

Fin de la pédagogie descendante

Les classes virtuelles ont vite démontré l’impossibilité de répliquer le présentiel en distanciel. Capter l’attention d’apprenants à distance s’apprend et ne peut pas fonctionner avec des cours en pédagogie descendante. Le micro-learning fait ainsi fureur avec un apprentissage séquencé, et s’adaptant à l’emploi du temps des collaborateurs. Une autre modalité séduit les apprenants : la gamification de la formation. Embarquer les apprenants et maintenir un taux d'assiduité élevé constituent le challenge de la formation en distanciel. Toutefois, outre le choix des formats, la formation connaît une autre métamorphose : celle de l’importance accordée à l’expérience apprenant. "Notre métier est en pleine transformation : nous devons évoluer d’une posture de fournisseur de solutions de formation à celui de facilitateur d’apprentissage. La place des apprenants doit aussi évoluer pour être au cœur des dispositifs et devenir acteurs de leur formation. À nous de leur donner toutes les clés pour le faire : proposer de véritables expériences d’apprentissage qui s’appuient sur un écosystème d’outils learning performants", explique Florent Grisaud, global head of digital learning & innovation chez MBDA, leader européen des systèmes de missiles.

"Tout collaborateur étant un sachant, il peut contribuer à la production et à la transmission des savoirs"

Co-construction des savoirs

L’engagement des collaborateurs au sein des parcours de formation dépend en grande partie de la façon dont ils en deviennent acteurs. Pour cela, la création d’échanges entre pairs se trouve sollicitée. Le peer-to-peer learning se développe de plus en plus, notamment sous la forme de social learning, espace dans lequel les apprenants peuvent se former entre eux. Cette co-construction des savoirs engage les apprenants et les invite à produire eux-mêmes le contenu des formations. Par ailleurs, son efficacité fait déjà ses preuves, particulièrement pour l’engagement des cols bleus. Julien Huelvan, CEO chez Beedeez, mentionne l’importance de ne pas perdre de vue l’apprentissage des savoirs informels : "Il y a une nécessité à prendre en compte le savoir qui ne s’acquiert qu’avec l’expérience de terrain. Cette expérience-là ne doit pas se perdre lors de la formation digitale. Elle doit être prise en compte et également animée par les collaborateurs qui détiennent ce savoir."  Et l’expérience est concluante, comme l’explique Jean- Roch Houllier, head of operations, learning & digital chez Safran University : "Le portail de formations s’inspire des réseaux sociaux, par la mise en œuvre d’un "collaboratif " qui donne corps à la vision de Safran : tout collaborateur étant un sachant, il peut contribuer à la production et à la transmission des savoirs. Facteurs de réussite : l’outil auteur intégré dans le portail, les possibilités de collaboration qu'il institue entre les parties prenantes – administrateurs, référents, auteurs et apprenants  qui lui donnent l'air d'être une ruche affairée, parfaitement organisée."

 "Il y a une nécessité à prendre en compte le savoir qui ne s’acquiert qu’avec l’expérience de terrain. Cette expérience-là ne doit pas se perdre lors de la formation digitale"

L’e-tutorat prend par ailleurs son envol. Toujours en phase expérimentale car nécessitant un savoir-faire important, celui-ci commence à s’éprouver avec succès, notamment chez Safran. "L’idée s’est naturellement imposée d’une expérimentation de digitalisation du tutorat ou e-tutorat visant à simplifier et à fluidifier le processus de tutorat, à faciliter l’usage des livrets qui sont au cœur de l’apprentissage, à optimiser le temps de lancement du tutorat et les relations entre les parties prenantes impliquées, et plus largement à formaliser et à favoriser la transmission des compétences", poursuit Jean-Roch Houllier.

Voyage d’apprentissage et nouveaux métiers

La révolution numérique apporte avec elle de nouveaux outils digitaux, des parcours de formation multimodaux engageant différemment les usagers, mais aussi une nouvelle conception de la formation et ses métiers. Si longtemps l'ingénierie pédagogique se traduisait par la capacité à innover, elle doit à présent prendre également en charge son déploiement et l'expérience utilisateur. L'hybridation permet l'éclosion de nouveaux métiers au sein de la formation professionnelle à la frontière de l'ingénierie et du marketing. Robert Demory, directeur de la formation et du développement RH chez Le Groupe La Poste, invite justement à repenser les métiers consacrés à l'innovation pédagogique : "Deux sphères sont en train de se créer autour de l’ingénierie pédagogique. D’un côté, la sphère administrative et fonctionnelle, de l’autre toute une partie dédiée à la conception des programmes. Une refonte se met en place autour de l’ingénierie pédagogique et son déploiement."

De son côté, Jean-Roch Houllier indique qu’"il existe une nécessaire complémentarité entre les ingrédients choisis et leur assemblage. Les ingénieurs pédagogiques deviennent de véritables architectes des parcours d’apprentissage. Du choix des outils à leur déploiement, chaque brique se pense différemment afin de rendre l’expérience réussie." Le séquençage des parcours de formation et la possibilité de jongler entre différents formats offrent des parcours de formation complets, personnalisés et interactifs. Toutefois, il est envisageable de penser que cet équilibre entre présentiel et distanciel ne représente que la première étape vers une hybridation plus complète associant le synchrone et l'assynchrone dans le même temps. 

L’équilibre s’installe au sein des parcours de formation entre présentiel et distanciel mais surtout se réinvente en parcours d’apprentissage ludique, agile et mettant en avant le nécessaire accompagnement des apprenants. L’hybridation ne semble pas s’effectuer seulement par l’assemblage du digital et du présentiel mais également par une pédagogie qui se fait toujours plus apprenante en sachant délivrer la formation tout en transformant petit à petit l’apprenant en sachant.

Elsa Guérin

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