Cécile Dejoux enseigne au Conservatoire national des arts et métiers et est professeure affiliée à l’ESCP Business School. Reconnue pour ses MOOCs et ses ouvrages sur l’intelligence artificielle, elle suit de près les évolutions qui permettent une expérience apprenant de qualité. Elle est également directrice scientifique à l’Anvie. Cette spécialiste du sujet nous partage son regard sur les transformations qui ont trait à la formation professionnelle.

Décideurs. En matière de learning, quelles sont les dernières innovations qui bouleversent l’expérience apprenant ?

Cécile Dejoux. Le premier changement notable réside dans l’évolution des paradigmes au sein du learning. Auparavant, les entreprises proposaient des plans de formation que les apprenants choisissaient, à présent c’est aux entreprises de s’adapter à leurs besoins. La formation se transforme en self-service afin que l’apprenant puisse être acteur de sa formation.

Par ailleurs, les supports du learning ont connu de nombreuses transformations. Avant le Covid les apprenants suivaient les formations à la fois en présentiel et en distanciel grâce au digital. Avec la pandémie, le 100 % digital s’est généralisé. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est l’individualisation des parcours de formation, bien souvent poussée par l’IA. Nous sommes à l’ère du "phygital", qui suit quatre modalités : physique, digitale, hybride ou dans le métavers.

"Nous n’apprenons plus des connaissances mais des compétences, c’est-à-dire des savoir-faire, des savoir-être et des savoirs"

Les modalités au travers desquelles s’effectue la formation ont donc changé, mais apprend-on vraiment différemment aujourd’hui ?

Non, nous n’apprenons plus comme avant. La formation ne peut plus se faire durant des plages horaires déterminées : elle doit s’inscrire dans une dynamique d’apprentissage tout au long de la vie. Si le micro-learning contribue beaucoup à répondre à l’enjeu d’engagement des apprenants, il ne suffit plus. Afin que les formations fonctionnent, elles doivent combler un besoin précis et se traduire en actions concrètes. Nous n’apprenons plus des connaissances mais des compétences. Le learning permet de devenir astucieux afin de pouvoir s’adapter aux transformations très rapides des organisations. C’est là sa valeur ajoutée.

Doit-on avoir peur de l’IA générative ?

Plutôt que d’avoir peur de l’IA, il faut réfléchir à ce qu’il est possible de lui déléguer ou non. J’ai pu constater que les Indiens n’avaient aucune crainte concernant l’émergence de l’IA, au contraire des Américains. Cela m’a poussée à réaliser une "learning expedition" en Inde pour en savoir davantage. Ce que j’en retiens, c’est qu’il faut passer autant de temps à apprendre à utiliser les nouveaux outils de l’IA générative qu’à développer d’autres compétences proprement humaines. C’est ce qui constitue notre valeur, et nous permettra de conserver notre employabilité. Il faut être plus malin que ceux qui veulent utiliser l’IA systématiquement. Certaines compétences ne doivent pas être sous-traitées à l’IA générative, elles nécessitent d’être préservées et ne doivent pas être déléguées. Il faut adopter une posture de care management, comme l’explique le réseau Anvie lors de différents cycles.

Existe-t-il un enjeu d’éducation à l’IA ?

Oui, en quelque sorte. J’aborde cette question dans mon livre Ce sera l’IA et moi (Vuibert, 2020), qui s’interroge sur les nouvelles façons dont nous disposerons pour travailler demain. Comment progresser pour accomplir certaines tâches que l’IA ne pourra pas assumer, tout en continuant à m’exercer, même sur celles que je lui délègue ? Il est important de mener cette réflexion dès aujourd’hui.

Vous travaillez également beaucoup sur les questions de management. Quel est l’impact de l’IA sur les fonctions managériales ?

En effet, l’IA peut être une sorte de système d’alerte pour les managers. Elle pourrait par exemple identifier les profils susceptibles de démissionner, évaluer la productivité des équipes ou signaler les cas de possibles burn-out. L’idée est de déterminer comment l’IA peut inventer un rapport nouveau entre le responsable et son équipe. Mon conseil pour les managers est le suivant : il ne faut pas tenter de se comparer à la vitesse de l’IA générative. "Think and go at your own pace" : il est crucial de connaître sa propre cadence d’apprentissage. Le manager doit toujours se demander : "quel est le bon rythme pour apprendre ?" À mes yeux, tout le reste n’est que de l’intox médiatique.

https://www.ceciledejoux.com/

Propos recueillis par Elsa Guérin

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