Après une opposition de plusieurs mois, la France a finalement accepté de ratifier le projet de règlement européen sur l’intelligence artificielle le 2 février dernier. Les 27 pays de l’Union européenne valident donc, à l’unanimité, cet "AI Act". Outre les considérations stratégiques du Vieux Continent, cette volonté de légiférer témoigne de l’urgence que représente une technologie dont les progrès exponentiels risquent d’impacter tous les aspects de l’existence, à commencer par la sphère professionnelle.

Loin des discours alarmistes ou au contraire lénifiants, les données prouvent l’importance de replacer l’impact de l’IA générative sur les emplois au sein du débat public. Un tiers des emplois en France sont exposés à des changements, de fond ou de forme, imputables à l’IA générative avec des différences majeures selon les métiers, d’après une étude du cabinet Roland Berger de novembre 2023.

Des conséquences variables selon les métiers

Le premier constat de cette étude est que 800 000 emplois ont un fort potentiel d’automatisation. Autrement dit, ce sont autant de personnes qui risquent d’être totalement remplacées par des machines. Les catégories de métiers des employés de bureau, de réception, de services comptables et d’approvisionnement sont les plus exposées, l’IA générative pouvant aisément se substituer aux êtres humains pour des tâches considérées comme "peu complexes". Pour cette même raison, 1,4 million d’emplois évolueront et seront partiellement libérés du temps consacré à ces tâches répétitives et administratives, leur permettant ainsi de se consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée. Cette "augmentation", selon l’expression en vigueur, toucherait principalement les professions intellectuelles, scientifiques et les services directs aux particuliers. Les progrès fulgurants de l’IA générative nous contraignent à appréhender ces prédictions avec prudence, mais peuvent nous aider à envisager les bouleversements en cours.

Un nouveau défi pour les ressources humaines

Face à ces transformations, le marché de l’emploi public et privé va devoir s’adapter et le rôle des départements RH sera crucial : il leur faut commencer dès maintenant à déterminer le volume d’emplois impactés et adapter l’organisation fonctionnelle de la structure sous leur responsabilité. L’IA faisait d’ailleurs partie des préoccupations majeures lors des Rencontres RH 2024 de janvier, rendez-vous organisé par Le Monde en partenariat avec l’Association pour l’emploi des cadres (Apec) et l’Association nationale des DRH (ANDRH).

Le recrutement doit également faire l’objet d’une attention particulière afin de ne pas déléguer l’intégralité du processus à l’intelligence artificielle. Celle-ci est déjà responsable de discriminations qui sont la conséquence d’une sous-représentation de certaines catégories de population dans les métiers liés à l’IA. Ce paramètre biaise inévitablement les algorithmes, parfois à l’insu des entreprises, ce que rappelait le député Marc Ferracci, à l’origine d’un projet de loi luttant contre les discriminations à l’embauche, dans une interview accordée à Décideurs RH. Sur ce point, la proposition de loi de Marc Ferracci généralisant les testings constituera une incitation claire, sanctions à l’appui, pour lutter contre les algorithmes discriminants. Une prise de conscience sur le sujet permettrait de les intégrer plus équitablement dans les nouvelles politiques de recrutement et de formation qui devraient être mises en place afin d’accompagner cette transition.

Une responsabilité collective

Considérant l’aspect éthique extrêmement sensible et instable de ce nouvel outil et afin d’éviter toute dérive, les ressources humaines devront maintenir un dialogue permanent avec les partenaires sociaux, afin d’assurer la sécurité et l’égalité professionnelle des employés. Dans cette même perspective, il faudra également prêter rigoureusement attention au strict respect du cadre juridique relatif à l’intelligence artificielle, notamment concernant la transparence des acteurs du milieu comme le soulignait Alexandra Bensamoun, professeure de droit à l’université de Paris-Saclay, lors d’un récent entretien pour Décideurs : "De manière générale, en droit, la transparence est un socle sur lequel l’ensemble des derniers textes européens relatifs à l'environnement numérique se fonde. En IA comme ailleurs, l’opacité ne pourra jamais être gage de démocratie." Prévu pour encadrer l’intégration de cette nouvelle technologie dans nos sociétés et protéger les libertés fondamentales des citoyens européens, l’IA Act prend tout de même soin de ne pas entraver l’innovation et donc la compétitivité d’acteurs européens majeurs du milieu comme Mistral AI et LightOn en France ou Aleph Alpha en Allemagne.

Cet exercice d’équilibriste n’en est qu’à ses débuts puisque les réglementations nationales et européennes risquent de devoir se mettre à jour au rythme effréné des évolutions de l’intelligence artificielle et de ses usages…

 Cem Algul

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