Samuel Sauphanor est associé fondateur du cabinet Le 16 law. Il se dédie à la gestion de crises et à la résolution de litiges en droit financier et droit pénal des affaires. À ce titre, il a développé une expertise singulière dans le domaine des enquêtes internes dans le cadre desquelles il accompagne tant des mis en cause que des entreprises. Il fait partie du collectif d’avocats ayant rédigé le rapport sur les droits de la défense des personnes physiques dans l’enquête interne, publié en mars 2021.

Pour diverses raisons (protection des lanceurs d’alerte, développement de la justice négociée, attente sociétale, pression américaine), l’enquête interne fait florès. Elle est partout. Elle est partout dans les faits, mais elle est nulle part en droit. Aucun cadre légal ne régit l’enquête interne, ce qui est une grave anomalie s’agissant d’une pure procédure de mise en accusation. Les pouvoirs publics paraissent commencer à prendre conscience de cette béance et de la nécessité de poser un cadre juridique.

État des lieux et enjeux

Il n’est pas anormal – et il est même plutôt sain – qu’une organisation, quelle qu’elle soit, s’équipe d’un dispositif interne lui permettant de repérer, traiter et, le cas échéant, neutraliser une situation dysfonctionnelle et contraire à ses valeurs, et ce hors cadre judiciaire, lequel n’a pas forcément vocation à tout régir. Encore faut-il, cependant, que ce dispositif d’enquête interne ne tourne pas à la farce inquisitoriale, a fortiori lorsque les faits dont le mis en cause est accusé sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, ce qui constitue l’immense majorité des cas. 

Or, de même qu’il est assez dangereux de faire du droit pénal sans les principes du code de procédure pénale, il est également assez critiquable que beaucoup, sinon la plupart (car une enquête interne se finit mal, en général), des personnes visées par ce dispositif se voient contraintes de quitter leur poste « en raison de la situation », ce qui, jusqu’à preuve du contraire, ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, de plus fort lorsque ladite « situation » n’a jamais pu faire l’objet d’un débat contradictoire.

Surtout, au-delà des principes, en l’occurrence très malmenés, il faut bien mesurer que cette absence de tout cadre juridique élémentaire, si elle n’est pas rapidement comblée, va tout aussi rapidement menacer la pérennité et l’efficacité du dispositif dans son ensemble. Le risque est systémique.

Car lorsque les salariés auront compris que se voir imposer par leur employeur un devoir de coopération à une enquête interne sans bénéficier des droits élémentaires de toute personne suspectée, conduit à participer à leur insu à la construction de leur propre dossier pénal à leur encontre, ils ne coopéreront plus, ou ils coopéreront mal (ce qui revient au même). 

Or si une entreprise ne peut plus compter sur la coopération de ses collaborateurs en cas de survenance d’une situation anormale (par exemple une suspicion de corruption), elle perd son instrument de détection. L’entreprise devient aveugle, et donc elle s’expose à un risque global, et incontrôlable.

À l’inverse, l’entreprise a tout à gagner à mettre en place les conditions d’un débat loyal et contradictoire lors du lancement et du déroulé d’une enquête interne, puisque ce faisant, elle se donne plus de chances d’obtenir une meilleure qualité d’information et de compréhension d’une situation, et donc de mieux faire face à son éventuel propre risque pénal. 

Le rapport sur les droits de la défense des personnes physiques dans l’enquête ­interne 

En mars 2021, un collectif d’avocats publiait un rapport en faveur de la protection des salariés et des dirigeants soumis à une enquête interne, après avoir souligné l’absence de cadre juridique permettant d’assurer les droits de la défense des personnes physiques visées.

Le rapport formalisait plusieurs recommandations pratiques afin d’identifier et d’appliquer ces droits de la défense, tout en maintenant un équilibre avec les droits de l’entreprise enquêtrice et en préservant l’efficacité des enquêtes. Les recommandations reposaient sur une démarche triple consistant en (i) la sensibilisation au sujet spécifique de la protection des personnes physiques visées par les enquêtes internes, (ii) l’application d’un standard minimum d’enquête accepté par les institutions du monde du droit de l’entreprise et (iii) l’émission de lignes directrices à valeur incitative ou contraignante par les autorités compétentes.

Depuis ce rapport, deux textes dans le sens d’une protection des droits de la défense des personnes physiques visées par l’enquête ont été publiés : la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la corruption, n°4586, déposée le 19 octobre 2021 par M. Raphaël Gauvain (proposition de loi Gauvain), et le projet de guide pratique sur les enquêtes internes anticorruption, élaboré par l’agence française anticorruption (AFA) et le parquet national financier (PNF) en mars 2022.

La proposition de loi Gauvain consacrant des droits aux personnes physiques

La proposition de loi Gauvain n° 4586 n’ayant pu être soumise au vote lors de la précédente législature, il semblerait utile que la nouvelle législature s’y penche, en ce que la partie consacrée aux enquêtes internes est de nature à faire progresser les conditions juridiques de mise en œuvre de ce dispositif. 

La proposition de loi Gauvain comprenait en effet un titre dédié à la consécration d’un certain nombre de droits aux personnes physiques lors d’enquêtes internes. Elle octroyait notamment à la personne physique convoquée un droit de notification dans un délai raisonnable de sa convocation à une audition, un droit d’information de son droit de mettre fin à l’audition, de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire, de son droit de se faire accompagner par un avocat et d’être assisté par un interprète. La proposition de loi prévoyait également que toute audition donne lieu à la rédaction d’un procès-verbal, relu et signé par la personne auditionnée, ainsi qu’une possibilité pour cette dernière de formuler des observations qui y seraient annexées. Autre élément saillant, le texte permettait aux personnes contre lesquelles il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont participé aux faits sur lesquels porte l’enquête interne, de consulter les éléments du dossier qui les concernent directement, et ce dès réception de la convocation et au moins trois jours ouvrables avant la tenue de l’audition.

Bien qu’insuffisante, cette proposition de loi constituait une avancée réelle dans la reconnaissance et la mise en œuvre effective des droits de la défense dans les enquêtes internes, c’est pourquoi il serait opportun d’ouvrir un débat parlementaire, car en matière de droits de la défense, un début de reconnaissance et de mise en œuvre vaut toujours mieux que rien.

Le projet de guide pratique renforçant les principes directeurs de l’enquête interne

Le projet de guide pratique en cours d’élaboration par l’AFA et le PNF constitue également une étape importante. Il pose en effet les standards minimums à respecter dans le cadre d’une enquête interne. Le guide décline ainsi les principes directeurs de l’enquête interne, que sont la loyauté, la proportionnalité, l’application du principe du contradictoire, la discrétion et le respect de la présomption d’innocence. Il énonce également les garanties procédurales devant être accordées aux personnes visées par une enquête interne, à savoir : obligation d’information, entretiens et comptes rendus. Le guide s’attache à recommander la rédaction d’un rapport d’enquête interne et propose un plan type de rapport, comprenant des annexes constituées de preuves documentaires et de comptes rendus d’entretiens.

Ce guide pratique est conçu comme de valeur indicative, mais il pourrait s’avérer contraignant dans les faits. En effet, outre la pente tendancielle générale, ces dernières années, à transformer rapidement du soft law en hard law, il est assez peu probable que les parties prenantes à une enquête interne prennent le risque de s’affranchir des recommandations prévues par l’AFA et le PNF eux-mêmes. 

En conclusion, la proposition de loi Gauvain et le projet de guide pratique des enquêtes internes attestent de la prise de conscience de la nécessaire création d’un cadre juridique de protection des droits des personnes entendues dans une enquête interne et laissent ­espérer une évolution concrète prochaine. Il serait temps.

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