Depuis plusieurs années, le marché des énergies renouvelables fait face à de véritables changements structurels, aussi bien réglementaires que techniques. Jean-Noël Munoz, associé du cabinet Abergel & Associés, liste les futurs contentieux et expertises possibles dans ce secteur d’activité, ainsi que l’évolution du métier d’expert pour traiter les problématiques.

Décideurs. Quelles sont les missions que vous réalisez en lien avec les énergies renouvelables ?

Jean-Noël Munoz. De tous les secteurs d’activité dans lesquels nous intervenons, celui des énergies renouvelables est le domaine dans lequel notre expertise est la plus récente, l’essor sans précédent des métiers qui y sont associés générant des contentieux de plus en plus nombreux. Le développement exponentiel de la production d’électricité d’origine éolienne, photovoltaïque ou hydraulique, technologies d’avenir, amène en effet dans son sillage une multitude de risques nouveaux, du fait de la diversité de leurs systèmes de production.

“L’évaluation des préjudices financiers dans ces nouveaux secteurs d’activité s’inscrit dans une démarche d’évolution de nos pratiques professionnelles”

Les aléas techniques associés à ces nouvelles technologies sont autant de risques de sinistres, qui exposent entreprises et professionnels du secteur à des préjudices matériels et financiers importants, parfois supérieurs à leurs investissements. L’évaluation des préjudices financiers dans ces nouveaux secteurs d’activité, comme la nature même de ces contentieux de nouvelle génération, s’inscrit dans une démarche d’évolution de nos pratiques professionnelles, qui visent à s’intéresser aux problématiques techniques pour mieux maîtriser les problématiques financières. Nos missions de conseil en évaluation de préjudice ou d’expert désigné par les tribunaux dans ces nouvelles technologies ne peuvent être menées à bien que si nous investissons le temps nécessaire à la compréhension du volet technique des contentieux ou des sinistres.

Selon vous quels doivent être les grands principes à respecter en la matière ?

La prudence dans l’analyse et la documentation sectorielle sont les vecteurs essentiels d’une mission réussie dans le domaine des énergies renouvelables, en constante ­mutation. Le marché des énergies renouvelables est en effet caractérisé depuis plusieurs années par de forts changements structurels, d’une part réglementaires, par l’évolution des décisions économiques au plan national (modification des assiettes et des montants des subventions, de la fiscalité, notamment), d’autre part techniques, par l’amélioration des procédés de production, des composants et des ­infrastructures. Il est nécessaire de comprendre ces technologies pour en mesurer la performance, les niveaux de capex, d’opex, etc., d’appréhender les modèles financiers associés à ces nouvelles technologies et les problèmes juridiques et administratifs inhérents à ce secteur d’activité encore globalement ­immature.

“La prudence dans l’analyse et la documentation sectorielle sont les vecteurs essentiels d’une mission réussie dans le domaine des énergies renouvelables”

Ces problématiques doivent être maîtrisées en amont, lorsque l’expert financier intervient dans la phase de conception et de réalisation de projets liés aux EnR, et en aval en cas de sinistre ou de contentieux, la comparabilité des différents projets d’un même secteur, comme celui de la production d’électricité d’origine éolienne par exemple, étant difficile à appréhender tant les paramètres d’analyse sont nombreux.

Le texte de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables adopté en première lecture au Sénat le 4 novembre 2022 devrait permettre un déploiement massif des parcs éoliens en mer et des panneaux solaires. ­Pensez-vous que les acteurs sont suffisamment prêts ? Anticipez-vous une augmentation des litiges ?

L’impréparation des acteurs actuels du secteur est moins à craindre que la vitesse à laquelle les projets vont se multiplier dans un proche avenir, dans un cadre réglementaire lui-même en constante mutation, cause possible d’une multiplication des ­l­itiges. L’Agence internationale de l'énergie AIE a publié un rapport le 6  décembre 2022 revoyant à la hausse les perspectives de croissance des énergies renouvelables dans le monde, lesquelles devraient devenir la première source de production d’électricité d’ici à 2025. La vitesse de croissance promise par l’AIE aux panneaux solaires et aux éoliennes est inédite, puisque l’on parle d’une accélération de 85 % par rapport aux cinq ­dernières années. Sans surprise, cette croissance sera tirée par la Chine, les États-Unis et l’Inde, mais l’Europe  jouera aussi un rôle majeur dans cette accélération, la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie ­finale devant être portée à 45 % en 2030. Une des difficultés que nous risquons de rencontrer en Europe est une inversion de courbe entre l’augmentation des investissements déployés par les producteurs d’énergie et la baisse de leurs perspectives de profits en raison des mesures d’urgence liées à la crise de l’énergie. Les États européens ont d’ores et déjà mis en place un ensemble de dispositifs pour capter les surprofits des producteurs ­éoliens et solaires, ce qui à terme peut fragiliser les projets d’investissements. Les contraintes économiques s’ajoutant aux difficultés techniques d’une telle accélération de production et à la multiplicité de nouveaux acteurs sur ce secteur peuvent conduire à l’émergence de conflits nombreux et délicats à traiter pour les juges et les experts. La fragilité de cet écosystème est d’ailleurs structurelle, pas seulement liée à la crise de l’énergie. En effet, selon le ministère de la Transition énergétique, en 2028 les énergies renouvelables représenteront 21 milliards d’euros de valeur ajoutée brute en France, soit 10 % de la valeur ajoutée créée actuellement par le secteur industriel. Or, plus les énergies renouvelables se développent, plus leur prix baisse.Pour les producteurs et exploitants, le revers de la médaille du développement rapide de leurs activités sera la faiblesse de leurs marges et donc le risque de multiplicité de défaillances d’entreprises dans ce secteur.

Quelles sont les grandes tendances en matière de contentieux des énergies ­renouvelables ?

Le gouvernement français a souhaité simplifier les contentieux dans le domaine des énergies renouvelables, afin de faciliter l’essor de ce secteur d’activité, au service de la transition énergétique, anticipant parallèlement l’augmentation du nombre de ces contentieux. Le décret du 29 octobre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes aux installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, qui s’applique aux décisions prises entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026, prévoit en effet que les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel statuent dans un délai de dix mois pour les litiges portant sur les décisions, y compris de refus, relatives à certains types d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité. À défaut pour ces juridictions de se prononcer dans ce délai, le lige sera transmis à la juridiction de rang supérieur, jusqu’au Conseil d’État. Il permet ainsi un régime contentieux dérogatoire pour les autorisations relatives aux projets d’EnR (hors énergie éolienne), ce qui vise à accélérer, de manière temporaire, la transition énergétique en diminuant la durée des nombreux contentieux dont font l’objet les projets en cours. Les contentieux dans le domaine des énergies renouvelables sont complexes, puisqu’ils mêlent le droit des contrats, le droit de la construction, le droit foncier et l’ensemble des branches du droit public (droit de l’environnement, droit de l’énergie, des déchets, de la domanialité). Les chambres spécialisées sur ce secteur de l’économie se multiplieront dans un proche avenir dans les différentes juridictions, l’éventail des sources de contentieux possibles étant très vaste. Pour les parcs éoliens, il s’agit de la défense des autorisations, la défense en phase d’exploitation, les troubles anormaux de voisinage, la domanialité publique et privée, les conflits inter-opérateurs et les contentieux du raccordement. Pour les centrales solaires, il s’agit des contentieux du permis de construire, les appels d’offres, les expertises judiciaires en droit de la construction et droit des contrats, les défauts de production/manque de performances, études d’impact, litiges de voisinage, etc. La valorisation énergétique et l’incinération sont quant à elles concernées par des contentieux spécifiques dits ICPE (Installation classée pour la protection de l'environnement). En ce qui concerne enfin les centrales hydroélectriques, les contentieux visent plus particulièrement les autorisations d’exploiter et les droits fondés en titres, la domanialité publique et privée, les obligations de continuité écologique, le droit de pêche etc. Autant de raisons d’anticiper une multiplication des contentieux et des expertises dans le domaine des énergies renouvelables et la nécessité d’une forte spécialisation des juges et experts pour traiter ces problématiques.

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