L’Union européenne va bientôt réguler l’activité de financement de procès par les tiers. Cette réglementation pourrait à terme compliquer le financement des procès en Europe et jouer en défaveur des justiciables européens.

Le financement de procès par un tiers a le vent en poupe depuis les années quatre-vingt-dix. Bien connu du monde de l’arbitrage international, ce système s’est ensuite étendu tout naturellement au financement de procès devant les juridictions étatiques. Formidable outil pour rétablir l’égalité des parties dans l’accès à la justice, il évite à un justiciable d’avoir à choisir entre la sauvegarde de ses droits en justice et la préservation de sa trésorerie. Le financeur prend en effet à sa charge tout ou partie des coûts d’un procès, et le cas échéant, les frais de recouvrement. En contrepartie, il perçoit un pourcentage des sommes allouées par la décision ou recouvrées à l’issue de l’action. Ces dernières années, on observe un mouvement de régulation de cette pratique à la fois dans des législations nationales (Hong Kong ou Singapour) et dans les règlements des centres d’arbitrage (CCI et Cirdi notamment). Désormais, pour veiller à l’indépendance du tribunal arbitral, la plupart de ces règlements prévoient l’obligation pour les parties de révéler le recours à un ­financeur et l’identité de celui-ci1. En France, le financement de procès par un tiers n’est encore soumis qu’aux seules dispositions contractuelles discutées entre les parties. Mais nous vivons les dernières heures de ce « no-man’s land » légal puisque l’Europe a décidé de s’emparer du sujet.

Le 13 septembre 2022, le Parlement européen a voté une résolution contenant des recommandations à la Commission européenne sur « le financement privé responsable du règlement de contentieux »2.

En annexe figure une proposition de directive relative à la réglementation du financement des contentieux par des tiers. La résolution prévoit la mise en place de normes minimales communes à l’échelle de l’Union, afin de protéger les demandeurs contre de potentiels excès. Elle répond à la crainte que les tiers financeurs instrumentalisent les demandeurs, y compris des consommateurs ou des victimes de violations de droits fondamentaux, aux fins de maximiser leur propre profit, leur laissant une part réduite du montant alloué. La résolution s’applique aux tiers qui financent un contentieux civil ou commercial national ou transfrontalier, à toute procédure d’arbitrage ou tout autre mécanisme de règlement des litiges porté devant un tribunal ou une autorité administrative de l’Union.

Elle prévoit la mise en place d’un système d’agrément et de suivi de cette activité sous la supervision des États membres.

Les financeurs devront avoir leur siège social dans un État membre. Ils devront également satisfaire à des exigences d’adéquation de leurs fonds propres, en particulier par la capacité à financer toutes les étapes de la procédure y compris le procès et tout appel ultérieur, au besoin par la fourniture d’une garantie pour les coûts.

Le contenu de l’accord de financement sera réglementé avec une liste de clauses interdites.

Il sera interdit aux financeurs de prendre des décisions en rapport avec la ­procédure. Le financeur ne pourra pas résilier unilatéralement l’accord de financement en l’absence de consentement éclairé du demandeur, sauf sur autorisation d’un tribunal. Les montants accordés par le tribunal seront en priorité versés au demandeur, qui pourra ensuite rétribuer le financeur. Le financeur devra limiter ses gains à 40 % maximum du montant total accordé. 

Enfin, il est imposé une totale transparence sur le contenu de la convention.

La résolution prévoit la divulgation intégrale et non expurgée de l’accord de financement, sur la demande du tribunal ou du défendeur. Cette obligation va bien au-delà de la plupart des règlements actuels de centres d’arbitrage, qui n’imposent jusqu’ici que la divulgation de l’existence des accords de financement et de l’identité des financeurs. Le Parlement a demandé à la Commission européenne de présenter sa proposition de directive sur cette activité après le 25 juin 2023. Cette résolution obéit à l’objectif louable d’uniformiser les règles de cette activité fort lucrative afin d’éviter une « marchandisation » des actions en justice. En instituant des garanties au bénéfice des justiciables, on permet un égal accès à la justice sur tout le territoire de l’Union, et cela, dans des conditions éthiques.

Mais, certaines de ces dispositions vont bien au-delà des pratiques déjà consacrées, notamment dans les règlements d’arbitrage récents. La divulgation du contenu intégral de la convention au tribunal et au défendeur, l’obligation de justifier d’une surface suffisante pour financer un appel éventuel pourraient entraîner des demandes de garanties pour coûts et rendre plus compliqué le financement d’arbitrages en Europe. De même, l’obligation de disposer d’un agrément et d’avoir son siège social sur le territoire d’un État membre pour financer un procès en Europe exclut d’emblée le recours à des financeurs non européens. En définitive, cette réglementation pourrait conduire les parties à prévoir des arbitrages en dehors de l’Union afin de se ménager plus de liberté en cas de besoin de financement d’un éventuel procès. Cette réglementation pourrait aussi à terme limiter l’attractivité de l’Europe aux yeux des fonds d’investissement spécialisés.

Notes de bas de page :

1 Voir par exemple l’article 11-7 du Règlement d’arbitrage CCI 2021 : icc-2021-arbitration-rules-2014-mediation-rules-french-version.pdf (iccwbo.org).

2 Textes adoptés - Financement privé responsable du règlement de contentieux - Mardi 13 septembre 2022 (europa.eu).

      LES POINTS CLÉS
  • Le financement de procès par les tiers sera réservé aux financeurs ayant leur siège social en Europe.
  • Les États membres devront mettre en place un système d’agrément et de suivi des activités du financeur.
  • Les financeurs devront divulguer intégralement la convention de financement.
  • Les financeurs devront limiter leur rémunération à 40 % maximum des gains obtenus.

 

Sur l'auteur:

Valérie Morales est fondatrice de Melior Avocats, cabinet-­boutique spécialisé dans la résolution des contentieux d’affaires. Elle est, notamment, une spécialiste, depuis plus de vingt-cinq ans, des sujets de réglementation de l’exercice du droit.

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