Le montant total des sanctions pour pratiques anticoncurrentielles prononcées en 2022 par l’Autorité de la concurrence s’élève à plus de 385millions d’euros. Parmi celles-ci, certaines l’ont été en application des nouveaux textes ayant mis en place un plafond unique de sanctions de 10% du chiffre ­d’affaires mondial applicable aux entreprises comme aux organismes professionnels.

Afin de renforcer la fonction répressive et dissuasive des sanctions des pratiques anticoncurrentielles, le cadre légal et les critères des sanctions ont été profondément modifiés en 2020 et en 2021.

Le plafond de sanctions pécuniaires encourues pour les pratiques anticoncurrentielles de 10% du chiffre d’affaires mondial total devient applicable aux organismes professionnels et associations d’entreprises. Jusque-là, le plafond dont ils bénéficiaient était de 3 millions d’euros. En outre, lorsque la pratique a trait à l’activité des membres de l’association d’entreprises, le plafond est égal à 10% de la somme des chiffres d’affaires réalisés par chaque entreprise membre active sur le marché concerné.

De même, alors que la sanction était plafonnée à 750 000 euros pour les procédures simplifiées devant l’Autorité de la concurrence, le même plafond de 10 % devient applicable en procédure simplifiée comme en procédure ordinaire.

Les critères légaux de détermination de la sanction sont également modifiés. Le critère du dommage à l’économie ­disparaissant, les sanctions sont déterminées en fonction des quatre critères suivants : la gravité des faits, la durée de l’infraction, la situation de l’entreprise ou de l’association d’entreprises incriminée, l’éventuelle réitération des pratiques.

L’Autorité de la concurrence a également adopté le 30 juillet 2021 un nouveau communiqué sanctions qui modifie fortement la méthodologie de calcul de la sanction. L’Autorité renforce l’impact de la gravité de l’infraction en introduisant une majoration de 15 % à 25 % (appelé ticket d’entrée) s’ajoutant au coefficient de base compris entre 0 % et 30 % de la valeur des ventes des produits concernés, lorsque la pratique poursuivie fait partie des pratiques horizontales les plus graves. La durée de l’infraction est envisagée beaucoup plus sévèrement, car le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes est multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction. L’Autorité introduit aussi la possibilité de prendre en compte les gains illicites pour majorer la sanction.

Des dispositions transitoires couvrent une partie de ce nouveau dispositif.

Dans le cadre de la procédure ordinaire, les textes précisent que les nouveaux critères de détermination de la sanction sont applicables aux affaires dont les griefs sont notifiés après l’entrée en vigueur des textes. Le nouveau plafond des associations d’entreprises lorsque l’infraction a trait aux activités de leurs membres s’applique quant à lui aux pratiques prenant fin après l’entrée en vigueur des textes.

Les textes sont en revanche silencieux sur l’application dans le temps de deux nouvelles règles : le nouveau plafond de 10 % du chiffre d’affaires pour les associations d’entreprises (jusqu’alors de 3 millions d’euros) et le déplafonnement de la sanction encourue dans le cadre de la procédure simplifiée.

L’application de ces textes aux procédures en cours a posé très rapidement des ­difficultés.

Vers une aggravation des sanctions

Dans le cadre de la procédure ordinaire, l’Autorité a fait une application stricte de la disposition transitoire en appliquant les anciens critères de détermination de la sanction aux griefs antérieurs à l’ordonnance (décisions 22-D-06 ; 22-D-16) et les nouveaux critères aux griefs postérieurs (22-D-05). Dans l’affaire 22-D-21 les pratiques de l’association d’entreprises ayant pris fin après l’ordonnance, l’Autorité applique le nouveau plafond de 10 % du chiffre d’affaires cumulé de ses membres. Certes, elle fait une application de la disposition transitoire mais pour des faits qui se sont très majoritairement déroulés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.

C’est lorsqu’on examine les décisions rendues dans le cadre de la procédure simplifiée que la volonté d’aggravation du montant des sanctions devient encore plus manifeste. Dans cinq des six décisions rendues, l’Autorité décide d’appliquer le nouveau plafond de 10 % alors que les faits sont systématiquement survenus avant l’entrée en vigueur de la loi. Elle considère que seule la date de la notification de griefs est déterminante comme point d’ancrage du nouveau plafond. Dans les décisions 22-D-08, 22-D-17 et 22-D-20, l’Autorité prononce des sanctions supérieures au plafond antérieur de 750 000 euros, en infligeant des sanctions allant de 800 000 euros à 1 000 000 euros.

Préoccupations liées au principe de non-rétroactivité

L’application du nouveau dispositif répressif à des faits survenus avant leur entrée en vigueur pose la question de la violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, principe constitutionnel et européen. Le droit de la concurrence relève de la matière pénale au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Comme tel, il est soumis au principe de non-rétroactivité qui interdit d’appliquer une sanction à caractère pénal plus sévère à des faits commis avant son entrée en vigueur. Seules les normes de procédure y échappent.

En l’occurrence, le nouveau plafond de sanctions pour les associations d’entreprises est plus nettement plus élevé que le précédent ; il ne devrait donc pas être appliqué à des faits antérieurs. 

En ce qui concerne le déplafonnement de la sanction encourue en procédure simplifiée, l’argument selon lequel le principe de non-rétroactivité n’est pas applicable car il s’agirait d’une simple disposition procédurale ne tient pas. Dès lors que la nouvelle norme a pour effet de priver l’entreprise de la possibilité de bénéficier d’un plafond de sanction réduit, il s’agit nécessairement d’une norme à caractère pénal.

L’enjeu est très lourd car les services d’instruction utilisent de plus en plus la procédure simplifiée y compris pour des affaires complexes dans lesquelles de nombreuses entreprises sont mises en cause pour des pratiques présentant potentiellement un degré élevé de gravité. Les décisions de l’Autorité évoquées ci-dessus ayant appliqué le nouveau plafond de 10 % à des entreprises mises en cause en procédure simplifiée, alors que les faits sont antérieurs à la loi, sont donc critiquables de ce point de vue. Certaines d’entre elles font l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris. La question de l’application  du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère en droit de la concurrence fera donc encore l’objet de débats devant cette ­juridiction.

Les décisions de 2022 illustrent la volonté de sévérité de l’Autorité dans la répression des pratiques anticoncurrentielles

 

          LES POINTS CLÉS

  • La loi, l’ordonnance et le nouveau communiqué sanctions de 2021 ont profondément renforcé le dispositif de sanctions des pratiques anticoncurrentielles en France.
  •  L’Autorité a fait application en 2022 de ces nouvelles règles malgré des faits antérieurs à leur entrée en vigueur.
  •  L’approche de l’Autorité n’est pas conforme au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui devrait s’appliquer à tout texte qui aggrave directement ou indirectement la sanction encourue par les entreprises et les organismes professionnels.

 

Sur les auteurs:

Muriel Perrier est avocate associée et élise ralle avocate au sein du cabinet Renaudier, qui est dédié exclusivement au droit économique et qui est l’un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant en conseil qu’en contentieux.

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