Chartes éthiques, conventions de parrainage, cartographies des risques, dispositifs de prévention d'atteinte à la probité et de due diligence… Quels prérequis adopter pour les organisations sportives et les entreprises partenaires des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ? Quels sont les à-côtés acceptables en matière de sponsoring d'événements sportifs ? Quel est le rôle des autorités de supervision ? Décryptage.
Table ronde avec Edward Huylebrouck (avocat associé et ancien secrétaire de la conférence, Bougartchev Moyne Associés), Nathan Morin (avocat, Bougartchev Moyne Associés), Nicola Bonucci (ancien directeur des affaires juridiques de l’OCDE, membre des Comités d’éthique du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques et de la Solideo), Romain Voillemot (directeur juridique, Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024), Blandine Sorbe (directrice senior compliance & public affairs, Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024).
Edward Huylebrouck. Les atteintes à la probité dans le cadre des opérations de sponsoring d’événements sportifs suscitent une attention croissante de la part des autorités judiciaires et administratives. En 2013, les Nations unies planchaient déjà sur un guide pratique pour lutter contre la corruption dans le sponsoring sportif. En France comme à l’international, les publications s’enchaînent. Le 7 décembre 2023, un rapport remis à la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra pointait du doigt la faible maîtrise des risques en matière d’atteinte à la probité dans les fédérations sportives. Billetteries pas ou peu sécurisées, recours à la mise en concurrence insuffisant… Autant de problématiques qui soulignaient un manque de transparence dans les processus achats et appelaient à une plus grande présence des comités d’éthique dans l’organisation des événements sportifs. C’est dans ce contexte que l’AFA a sorti en mars 2024 un guide pratique pour sécuriser les opérations de parrainage et de mécénat des entreprises.
Il n’y a rien d’original à constater que la corruption guette le secteur du sport au même titre que bien d’autres secteurs économiques. Sans tomber dans la caricature ni dans le récit historique, la tricherie existe depuis que le sport est sport. Mais force est de relever que la tricherie n’est plus l’apanage des sportifs en compétition. Elle peut aussi gagner les sphères dirigeantes, où les pouvoirs politique, disciplinaire et économique sont concentrés. Elle touche les personnes physiques et morales chargées de l’attribution des droits, témoins du passage de flux financiers de plus en plus importants. Ces vingt dernières années, les nombreuses révélations sur des irrégularités alléguées ou avérées dans l’attribution de compétitions, sur des fédérations fermant les yeux sur des cas de dopage ou sur le détournement de fonds par des dirigeants pour un usage personnel ont secoué l’opinion. Elles ont mené au développement d’une prise de conscience que la détection et la répression ne suffisaient pas. Résultat : l’éthique sportive, imprégnée des principes fondamentaux de l’olympisme, voit émerger à ses côtés une éthique des « affaires sportives ». La mise en place de mesures préventives doit permettre d’éviter, autant que possible, la survenance de pratiques illégales dans les organisations sportives. En parallèle, les entreprises ont développé en leur sein une culture de compliance anticorruption toujours plus exigeante. Où en sommes-nous de ces démarches vertueuses de part et d’autre ? Le sponsoring sportif, matière au carrefour de ces deux mouvements, offre une bonne occasion de constater les progrès déjà réalisés et de mesurer le chemin restant à parcourir.
Huit ans après l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, les entreprises ont-elles pris la juste mesure des risques liés aux opérations de sponsoring ?
Nathan Morin. Pendant longtemps, l’opprobre fut jeté sur les entreprises, accusées de corruption dans l’attribution des marchés de sponsoring. Aujourd’hui, la tendance s’est légèrement inversée : c’est au tour des organisations sportives d’être dans l’œil du cyclone. La majorité d’entre elles n’ont pas l’obligation légale de mettre en place un dispositif anticorruption. Ce qui n’est pas le cas des entreprises qui, depuis 2016, sont familières des dispositifs de prévention d’atteinte à la probité. Elles évaluent désormais leurs parties prenantes, c’est-à-dire leurs fournisseurs de premier rang, leurs intermédiaires et leurs clients.
En matière de sponsoring et de mécénat, la nuance est d’ordre terminologique. On parle de partenaires et de bénéficiaires, par définition des tiers que les entreprises n’ont pas l’obligation légale d’évaluer. Si la plupart des entreprises ont encadré ce type d’activité avec un code de conduite, les degrés de maturité des programmes de compliance diffèrent selon les sociétés. Un équipementier sportif a par exemple intérêt à associer son image à un événement sportif. Dans ce type d’entreprise, les dispositifs pour prévenir les risques de corruption y sont donc plus aboutis. Ils prévoient par exemple une séparation claire des tâches. Une personne instruit le dossier. Une instance collégiale décide, après instruction, des suites à donner, sur la base d’avis forgés à la lumière de due diligence robustes. Des contrôles comptables sont également réalisés pour s’assurer que le contrat de sponsoring est bien mis en œuvre etc.
Quels sont les risques que les dispositifs mis en place par les entreprises cherchent à prévenir ?
Nathan Morin. Premier point, les risques ne sont pas nécessairement de nature pénale. Le risque réputationnel est prégnant aujourd’hui, de surcroît avec les réseaux sociaux. Lorsqu’un incident se produit, l’image de la marque est associée au scandale et à la déconvenue. Le sponsoring doit par ailleurs avoir un intérêt sur le plan commercial. Investir des millions dans un contrat de sponsoring sans contrepartie commerciale est une aberration, caractérisant une mauvaise gestion de l’entreprise.
Même s’il n’est pas le seul risque, on ne peut ignorer le risque pénal qui peut prendre deux formes : les infractions de droit commun : abus de biens sociaux, abus de confiance, escroquerie, faux, usages de faux etc. Et les infractions dites d’atteinte à la probité. Il faut comprendre qu’en matière sportive, le bénéficiaire d’un contrat de sponsoring est le plus souvent une entité publique ou parapublique. Une autre panoplie d’infractions entre alors en ligne de compte : corruption publique, favoritisme, prise illégale d’intérêts, trafic d’influence, concussion…
Romain Voillemot. Outre les risques, le sponsoring a un côté bénéfique et demeure indispensable pour les fédérations sportives et pour l’organisation des grands événements sportifs. Le financement des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 provient à 96 % de fonds privés. Sur le budget alloué de 4,4 milliards d’euros, deux tiers sont issus des recettes et de la participation des sponsors. Et 97 % de ce budget est ensuite alloué à la livraison des Jeux. Une proportion énorme. L’organisateur fait donc avec ce qu’il a pour chercher des recettes. Il dispose des droits commerciaux que lui octroie le Comité international olympique (CIO), le propriétaire de l’événement. Les droits TV et la billetterie sont également des parts importantes des revenus.
D’un point de vue contractuel, l’organisation de Paris 2024 marque un bouleversement dans la relation avec les sponsors. Nous obligeons désormais les principaux partenaires à financer la préparation de deux athlètes olympiques ou paralympiques. Sans leur concours, certains ne peuvent pas participer. C’est un acte fort d’engagement, qui s’inscrit dans une large palette de clauses RSE, comme l’inclusion des personnes en situation de handicap. La société Doudou & Compagnie a recruté 40 personnes pour la fabrication des mascottes. Le sponsoring crée de la valeur et du dynamisme sur le territoire.
"Le financement des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 provient à 96 % de fonds privés"
Les organisations sportives sont-elles aussi matures que les entreprises en matière de lutte anticorruption ?
Blandine Sorbe. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de Paris 2024 a été créé à la fin de l’année 2017. À la différence d’autres fédérations sportives aux process déjà établis, nous sommes partis d’une feuille blanche en intégrant, dès le départ, les piliers de la loi Sapin 2, bien que ce cadre ne nous soit pas directement applicable. Nous avons soumis nos chemins de procédure et nos modalités de consultation au Conseil d’État. Ce dernier a rendu un avis le 2 juillet 2019 pour nous permettre de qualifier nos contrats de sponsoring, d’établir s’ils étaient du ressort de la commande publique et de nous accompagner dans la mise en place de nos procédures de consultation du marché. Nous avons établi dès le début une grille des contreparties accordées aux sponsors et ainsi garanti une équité entre eux. En d’autres termes, que le montant de la contrepartie et des apports soient convergents. Ce qui ne nous empêche pas de laisser la porte ouverte à la négociation, toujours utile d’un point de vue économique.
Au fil des négociations de contrats de sponsorship, quels sont les risques auxquels une organisation sportive peut être confrontée dans ses échanges avec des entreprises ?
Nicola Bonucci. Avant d’évoquer les risques, je souhaiterais revenir sur l’organisation des comités d’éthique de ces Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. La loi en a prévu deux : l’un pour le Cojop, chargé de l’organisation de l’événement et de son déroulé. Le second pour la Solideo qui s’occupe des installations et des infrastructures destinées au déroulement des épreuves sportives. Sous la responsabilité de Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, les deux comités d’éthique sont composés d’un représentant désigné par chacun des corps suivants : Cour de cassation, Cour des comptes, Agence française anticorruption, Défenseur des droits, OCDE. Tous ayant siégé pro bono. Le comité d’éthique du Cojop qui s’est réuni plus de 50 fois depuis sa création n’a pas eu à connaitre de sujets de corruption dans les marchés publics. En revanche et à mesure que l’événement approche, les conflits d’intérêts se sont imposés comme l’une des principales problématiques. La difficulté ? Distinguer le conflit d’intérêts réel, du conflit d’intérêts potentiel ou encore du conflit d’intérêts apparent.
Pour la Solideo, les risques sont essentiellement liés aux marchés publics. Son comité d’éthique se réserve d’ailleurs le droit d’intervenir de manière indirecte lorsque les collectivités territoriales organisent des marchés publics. Par exemple, sur les sujets de transparence dans les appels d’offres et autres suspicions sur de potentielles collusions. Il convient de rappeler que 15 % de la livraison des installations créées pour les Jeux olympiques a été à la charge directe de la Solideo.
Romain Voillemot. Ce qui est intéressant avec cette notion de conflit d’intérêts, c’est la concentration des sponsors. Certains sont bannis et interdits, au regard des règles que se sont imposées les organisateurs. En tant que détenteur des droits des Jeux olympiques, le CIO fixe le cadre des sponsors autorisés. Il nous accorde le droit de signer des partenariats domestiques sur des durées plus courtes, de janvier 2019 (pour les plus anciens) au 31 décembre 2024. Date à laquelle les droits s’arrêtent. En parallèle, le CIO est engagé auprès de partenaires mondiaux sur plusieurs olympiades.
Le CIO détermine aussi les catégories autorisées. Ce qui nous oblige à un travail de sectorisation pour recenser l’ensemble des activités sur lequel une entreprise sponsor peut communiquer. Par exemple, Orange est un acteur des télécommunications et des services financiers. Sous quelle casquette doit-il communiquer pour éviter tout conflit avec une autre entreprise partenaire ?
"Nous obligeons désormais les principaux partenaires à financer la préparation de deux athlètes olympiques ou paralympiques. Sans leur concours, certains ne peuvent pas participer"
Sur ce même sujet, comment débusquer les conflits d’intérêts entre les personnes issues d’organisations sportives et celles issues des entreprises sponsors ? Comment s’assurer que chacun agisse dans l’intérêt exclusif de l’entité qu’il représente ?
Blandine Sorbe. Le Cojop est un objet juridique un peu hors norme. Il partage un cadre juridique privé du fait de son statut d’association loi 1901, avec des enjeux inhérents à la commande publique. Une position en plein carrefour, qui justifie un niveau de contrôle hors du commun par rapport à d’autres entreprises en France. Au titre du Code de commerce, des commissaires aux comptes vérifient toutes les conventions réglementées. Ils auditent également tous les membres du conseil d’administration. On a aussi des contrôles réguliers de la Cour des comptes, de l’AFA et au quotidien un contrôle général économique et financier. On cumule donc contrôle public et contrôle privé. Et je diligente moi-même avec mon équipe des audits internes.
En matière de conflit d’intérêts, nous avons des obligations légales liées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). On a enjoint à plus de 200 personnes de remplir une déclaration d’intérêts, avec une base extra-légale qui n’a pas été contestée. Toute fonction avec un niveau hiérarchique suffisant pour avoir une influence sur les contrats est soumise à cette obligation coconstruite avec le comité d’éthique. Sont donc concernés tous les membres du conseil d’administration, les responsables du département des achats et des partenariats marketing. Autre difficulté : la majorité de nos partenaires sont de grandes entreprises françaises connues de toutes et tous. Le risque de conflit d’intérêts est donc assez élevé. C’est pourquoi nous avons procédé à des déports lors de certaines prises de décision, en invitant ledit responsable « conflicté » à ne pas voter.
En parallèle, nous avons des débats de nature quasi philosophique avec l’AFA sur la nécessité de signer des déclarations de non-intérêts. Ce qui apparaît selon moi comme de la sur-procédure. À titre personnel, je mise davantage sur la responsabilisation individuelle, avec beaucoup de formations et de sensibilisation. Je passe mon temps en comité de direction à convaincre que ces obligations de déclaration sont des facteurs indispensables de traçabilité et de formalisme. Le Cojop est une organisation très centralisée avec une forte collégialité dans les prises de décision. Aucune dépense pour le compte de Paris 2024 ne peut être engagée sans le visa de plusieurs personnes.
Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 est-il soumis au Code de la commande publique dans ses activités de sponsorship ?
Blandine Sorbe. Pour le Conseil d’État, lorsque la part du numéraire prévaut sur celle de l’avantage en nature, le contrat ne dépend plus de la commande publique. Or, quand nous lançons une consultation, nous ignorons si le sponsor voudra intervenir en numéraire ou en nature. Pour nous protéger, nous avons considéré que tous nos contrats de sponsorship étaient rattachés aux grands principes de la commande publique : la liberté d’accès, l’égalité de traitement des candidats, la traçabilité des procédures… Nous sommes soumis aux règles de l’article L2512-2 du Code de la commande publique, qui permet à une entité contrôlée majoritairement par une organisation internationale (comme le CIO) de passer des marchés selon une procédure négociée et convenue. Dans les faits, nous nous référons à un cahier des charges propre à chaque type de secteur avant de lancer un appel d’offres.
Romain Voillemot. Quand l’apport est en nature, il convient d’une part de le valoriser et, de l’autre, répondre à l’un de nos besoins. Pour faire valoir son image, un fournisseur de voitures souhaite mettre à notre disposition une dizaine de voitures haut de gamme. Dans la réalité, nous préférerions une centaine de petites voitures utilitaires pour nous rendre sur les sites des épreuves sportives. Tout le débat réside sur la question de l’évaluation de cette valorisation et de sa contrepartie réelle. Avec des complexités parfois sur ce qui est inclus ou non, tel que l’assurance, la réparation ou plus globalement, l’état du véhicule.
"Nous avons établi dès le début une grille des contreparties accordées aux sponsors et ainsi garanti une équité entre eux"
Quels sont les à-côtés acceptables ? Comment vérifier que vous n’êtes pas pris au piège dans leur octroi ?
Romain Voillemot. Nous ne parlons pas d’à-côté mais d’éléments de l’offre. Quand on élabore une offre de sponsoring, la priorité de l’entreprise candidate est d’associer sa marque. La billetterie est payante pour tout le monde, sans distinction. Toutefois, en tant que partenaire premium, l’entreprise bénéficie d’un droit prioritaire d’achat de billets. Nous nous assurons également d’acheter l’ensemble des espaces publicitaires autour des sites de compétition afin d’éviter l’ambush marketing et les pratiques déloyales des concurrents de nos sponsors.
Nicola Bonucci. Le comité d’éthique du Cojop a été associé depuis le début à la définition de toutes les politiques d’attribution de billets, de spots publicitaires et de relais de la flamme olympique. Notre rôle en tant que comité d’éthique était d’en fixer les grands principes : une politique claire, transparente et équitable, qui ne donnait pas lieu à des passe-droits pour les uns et les autres. C’est ensuite aux entreprises de définir le cadre de leurs opérations de sponsorship, notamment pour les avantages en nature. Si certaines se retrouvent aujourd’hui à mettre en place des loteries pour distribuer des billets à leurs salariés, d’autres ont pris conscience de cette problématique assez tardivement.
Le Cojop demande-t-il aux entreprises ce qu’elles vont faire de ces places ou avantages ? Y a-t-il un contrôle pour éviter d’éventuelles répercussions ?
Blandine Sorbe. Nous avons émis des lignes directrices. C’est le cas pour le relais de la flamme quand les entreprises disposent d’un créneau. Les relayeurs doivent être paritaires, autant d’hommes que de femmes et témoigner d’une diversité dans les profils. Pour autant, ces consignes générales d’attribution n’ont pas valeur d’obligations. Nous laissons les entreprises partenaires gérer leurs enjeux d’image. Elles prennent ainsi leur part de responsabilité et de risques réputationnels dans cet événement majeur.
Romain Voillemot. L’enjeu des places, c’est aussi de savoir qui rentre dans le stade. Nous souhaitons éviter à tout prix un scénario à la londonienne avec l’installation d’un réseau illicite de revente de places sur le territoire britannique et dans le monde. L’expérience a démontré que ce type de marché était alimenté par les entreprises sponsors elles-mêmes. Pour ces olympiades, l’ensemble des 13,5 millions de billets à vendre passe par notre réseau de vente propre, encadré par nos conditions générales de vente. J’observe une autre différence majeure avec les JO de Londres en 2012 : les entreprises sont bien plus matures en termes de sponsorship. Elles souhaitent se prémunir du scandale. Le rapport de force a évolué. Les deux parties disposent aujourd’hui de règles éthiques claires. Au fil des négociations, notre objectif est désormais de faire converger nos dispositifs, nos plans et nos procédures.
"L’expérience a démontré que ce type de marché était alimenté par les entreprises sponsors elles-mêmes"
En matière de sponsoring, les contreparties financières, publicitaires ou en nature sont parfois difficiles à évaluer par rapport au montant des investissements. Comment l’entreprise se situe-t-elle par rapport à l’incertitude inhérente à de telles contreparties ?
Nathan Morin. Les entreprises mettent dorénavant en place des dispositifs de due diligence pour cadrer, suivre et valoriser leur retour sur investissement. En ce qui concerne les cadeaux, la question est nouvelle pour un acteur qui n’a jamais sponsorisé un événement d’une telle ampleur. La priorité reste d’anticiper le plus possible la finalité de ces contreparties. Les places réparties de manière aléatoire dans le cadre d’une loterie sans critère de distinction ne représentent pas un problème. Ce qu’il convient de garder à l’esprit en revanche c’est que si une situation donnée n’est pas nécessairement délictueuse, elle peut néanmoins susciter des questions chez un magistrat. Un cas typique : le dirigeant qui bénéficie de billets pour la finale d’un célèbre tournoi de tennis. Comment savoir si ces billets ont été octroyés à titre personnel ou au bénéfice de l’entreprise au sens large ?
Le conflit d’intérêts n’est pas un gros mot ni une infraction. En revanche, une situation de conflit d’intérêts peut favoriser l’émergence de certaines pratiques illégales, raison pour laquelle elle mérite d’être encadrée. Aujourd’hui, la plupart des affaires relatives au monde du sport suivies par le Parquet national financier (PNF) traitent de près ou de loin de problématiques de conflits d’intérêts.
Quelques mots sur le guide pratique publié par l’AFA pour prévenir les risques d’atteinte à la probité lors des opérations de parrainage et de mécénat des entreprises. Est-ce un horizon accessible ou dogmatique ? Quelle est votre perception de ces recommandations ?
Blandine Sorbe. Fort heureusement, nous avions déployé une bonne partie des recommandations de ce guide très bien réalisé. Cependant, comme souvent avec l’AFA, nous avons des débats sur le niveau de formalisme et de détails de leurs procédures. L’autorité emploie beaucoup ce terme de sous-processus, souhaitant identifier pour chaque type d’actions la procédure applicable. Ce qui donne l’impression qu’il faudrait que la moindre de nos activités dispose d’une fiche procédure, avec un ordre d’exécution et des points de contrôle interne. En appliquant les règles de la commande publique, nous sommes déjà protégés avec des seuils et des logiques de contrôle à chaque stade. Autre point de désaccord avec l’autorité : l’AFA nous demande de prouver que nous ne pouvons pas passer par d’autres choix que les sponsors historiques du CIO qui ont l’exclusivité depuis plusieurs olympiades. Alors qu’il s’agit selon nous d’une déclinaison de l’accord contractuel que nous avons avec le CIO depuis le premier jour.
Nicola Bonucci. Le guide a le mérite d’exister. À ma connaissance, il n’existe pas d’équivalent dans d’autres pays. Il ne s’agit toutefois pas d’un guide exclusivement dédié au sponsoring des activités sportives. Le cœur du propos s’articule davantage autour des opérations de mécénat. Et c’est un point utile puisque dans les entreprises, ces notions ne sont pas clairement identifiées, en dehors des questions fiscales. Reste à savoir comment l’AFA va s’en servir et quel sera sa portée normative pour les entreprises.
Nathan Morin. L’approche de l’AFA s’inscrit dans cette volonté de pédagogie vis-à-vis des entreprises. C’est tout à fait louable. Néanmoins, l’AFA ne dit à aucun moment noir sur blanc que le sponsoring et le mécénat ne sont pas soumis à la loi Sapin 2. Elle le dit d’une autre manière : « l’article 17 vise les clients, fournisseurs et intermédiaires ». Une manière habile de garder la main sur ce sujet et de conforter son rôle d’autorité sur la question.