Alicia Couderc et Samuel Guetta, cofondateurs du média Compliances et du cabinet Labrador Ethics & Compliance, nous parlent de leur vision de l’éthique et de la compliance. Pour eux, ce sont bien plus que des matières réglementaires. Face aux enjeux sociétaux auxquels les organisations sont confrontées, ce sont des leviers de transformation, de culture d’entreprise et, surtout, des sujets de société.
Alicia Couderc (Labrador), Samuel Guetta (Novlaw) : "Allier le droit et le design pour une compliance qui a du chien"
DÉCIDEURS- JURIDIQUES. L’éthique et la compliance deviennent de plus en plus stratégiques au sein des entreprises, comment les définissez-vous ?
Samuel Guetta. Dès son émergence en France et en Europe, beaucoup ont vou- lu résumer la compliance au respect des lois et réglementations. C’est bien plus vaste. Initialement, la conformité était perçue comme une sorte de “police” interne, souvent mal acceptée par certaines équipes, notamment commerciales, car elle imposait des contraintes. Aujourd’hui, les choses ont évolué : on est passé de la conformité à la “compliance”. Elle est devenue une composante essentielle de la maîtrise des risques, mais également une valeur ajoutée, notamment en termes de réputation. La diffusion d’une “culture compliance” touche toutes les parties prenantes des organisations, y compris les investisseurs !
Alicia Couderc. Les lois comme Sapin 2, le RGPD ou encore le devoir de vigilance sont maintenant bien comprises et intégrées. Répondre strictement aux exigences juridiques ne permet pas de garantir l’effectivité d’un dispositif d’éthique et de conformité. Il ne suffit pas de dire : “Voici les règles, appliquez-les.” Il est essentiel d’expliquer pourquoi ces règles existent, quel est leur impact, et surtout comment elles peuvent bénéficier à l’entreprise. C’est une vraie transformation, qui, comme tout projet de transformation, demande un accompagnement, de la formation et de la communication. Un des enjeux majeurs pour les directions éthique et conformité est d’embarquer les dirigeants, collaborateurs, mais aussi partenaires d’affaires et investisseurs dans la démarche. Pour cela, nous avons la conviction que travailler à la construction et la diffusion d’une véritable culture de l’éthique et de la compliance est essentiel. Aujourd’hui encore, on observe une grande disparité de maturité entre les entreprises en la matière. Certaines entreprises pionnières, très engagées, servent de locomotives, d’inspiration pour l’ensemble du marché, en adoptant les meilleures pratiques et en donnant à ces sujets toute leur importance stratégique.
Les entreprises doivent faire face à de grands défis : transition environnementale, émergence de l’intelligence artificielle, tensions géopolitiques, etc. Quel rôle l’éthique et la compliance peuvent-elles jouer dans ces changements ?
Alicia Couderc. L’éthique et la compliance ne sont pas uniquement des matières de droit, elles peuvent être des leviers de transformation très puissants. En effet, les organisations sont attendues sur des sujets de société : la transition environnementale, l’intégration du progrès technologique dans les pratiques de travail, etc. On voit d’ailleurs ces sujets ressortir nettement dans les baromètres annuels de risques ou les enquêtes sur les attentes des parties prenantes vis-à-vis des entreprises. Pour nous, l’éthique est une matière de fond, de réflexion. Il s’agit de penser aux défis sociétaux d’aujourd’hui et de demain, et de définir le rôle que l’on veut y jouer. La compliance, c’est anticiper dès maintenant ces enjeux, et les intégrer dans nos pratiques en entreprise. L’éthique et la compliance participent, au-delà de l’aspect réglementaire, à se positionner en tant qu’acteur responsable et à répondre aux attentes grandissantes de la société.
Samuel Guetta. Finalement, l’éthique et la compliance reflètent les défis qui parcourent la société ! La culture compliance d’une organisation découle nécessairement de ses valeurs et de son identité. On le disait, elle doit embarquer tout le monde, en interne, comme en externe. Les régulateurs agissent également pour pousser les entreprises à prendre leurs responsabilités face aux enjeux de société. En Europe, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D) ou encore l’AI Act nécessitent ou vont nécessiter un travail énorme pour les entreprises afin de se mettre en conformité. Certaines devront adapter leur stratégie globale et la structure de leur chaîne de valeur. Les directions éthiques et compliance auront nécessairement un rôle à jouer dans la conduite de ce changement.
“Nous voulons valoriser l’éthique et la compliance, outiller ceux qui la font et donner envie à ceux qui doivent l’appliquer”
Vous avez tous les deux des profils différents, l’un avocat, l’autre communicante. Comment cette collaboration a-t-elle vu le jour ?
Alicia Couderc. Nous nous sommes rencontrés il y a un peu plus de sept ans maintenant. Samuel m’a transmis la passion de la compliance, mais les écrits que je pouvais voir à l’époque, sans lui, étaient loin de me donner envie de me plonger dans cette matière. Ensemble, on s’est dit que c’était du gâchis de ne pas davantage valoriser l’éthique et la compliance.
Samuel Guetta. De mon côté, mettre la pédagogie au cœur du conseil a été une vraie découverte. Avec Alicia, nous avons pu adopter une approche pragmatique et efficace, qui aligne la fin et les moyens. Nous voulions également promouvoir une compliance “à l’européenne”. L’Europe a été pionnière avec des législations comme le RGPD, le devoir de vigilance en France ou plus récemment l’AI Act. La mise en pratique de ces textes repose sur une adaptation des dispositifs de compliance aux spécificités de chaque organisation. Les autorités ont également établi un dialogue avec les organisations concernées, d’où l’importance de bien communiquer sur les enjeux et les choix qui ont été faits.
Alicia Couderc. C’est à partir de cela que le média Compliances est né en janvier 2018. On l’a pensé comme première brique d’une vision qui veut valoriser l’éthique et la compliance. Nous souhaitions donner la parole à celles et ceux qui font de la compliance, sortir l’éthique et la compliance des revues doctrinales et donner envie aux opérationnels de s’y intéresser. On voulait que les chief compliance officers soient fiers de montrer ce qu’ils font en montrant Compliances !
Et aujourd’hui, où en êtes-vous de cette ambition ?
Samuel Guetta. Plusieurs manières de répondre aux enjeux de compliance coexistaient. Nous avons souhaité apporter une certaine pluridisciplinarité. Notre force, c’est qu’on a réussi à créer un écosystème riche et unique. Cet écosystème nous permet d’aborder les sujets qui nous sont soumis avec des approches diverses. D’un côté, nous avons une expertise juridique avec le cabinet Novlaw. Notre équipe est spécialisée sur les sujets de compliance comme la lutte contre la corruption, les enquêtes internes et le RGPD.
Alicia Couderc. D’autre part, Labrador Ethics & Compliance apporte l’expertise en pédagogie de l’information réglementée. Les équipes de Labrador travaillent sur la transparence de l’information : des poli- tiques aux formations, en passant par les plans de vigilance, etc. Compliances fait partie de cette vision. Ce n’est pas uniquement un magazine, une newsletter et des événements. C’est une source d’échange et d’intelligence qui nous permet de rester innovants et de nous nourrir des échanges avec notre communauté.
SUR LES AUTEURS
- Alicia Couderc est experte de la communication d’entreprise. Elle est directrice générale adjointe de Labrador, chargée de la communication et du développement.
- Samuel Guetta dirige le pôle compliance et éthique des affaires au sein du cabinet Novlaw.
Ensemble, ils ont fondé un média : compliances, et labrador ethics & compliance qui accompagne ses clients pour valoriser leur dispositif éthique et compliance.