Décideurs. Avec l’assurance maladie universelle et les complémentaires santé devenues obligatoires, le remboursement des prestations de soins est déjà réalisé en grande partie. Qu’apportent de plus les chèques santé aux Français ?
Vincent Daffourd. Les chèques santé sont les premiers titres prépayés qui interviennent sur le champ de la prévention santé, du bien-être et du sport santé. Tous ces domaines sont autant de secteurs sans lien avec le régime obligatoire. L’ostéopathie, la psychologie, la diététique, l’enseignement physique en santé, les sophrologues et bien d’autres domaines sont concernés. Il n’existe aucune prise en charge de ces prestations par la sécurité sociale. Parfois, la complémentaire santé peut couvrir un certain pourcentage des coûts engendrés par ces prestations, mais l’avance de frais reste obligatoire pour l’adhérent. Cela peut constituer un véritable frein à l’accès aux soins. Notre mission est de lutter contre ce manque de moyens économiques et permettre à tous d’accéder à des prestations de santé de qualité. Ces chèques santé, pris en charge par différents acteurs, rendent solvables de nombreuses personnes.
Parmi les contributeurs financiers au projet, on trouve des entreprises, collectivités et mutuelles. Comment parvenez-vous à les inciter à vous accompagner ?
Dans la liste de nos contributeurs, on trouve aussi des associations de patients, des comités d’entreprise, des centres d’actions sociales… Tous peuvent offrir à leurs salariés, leurs adhérents ou leurs usagers l’accès à une offre de soins qualitative et exhaustive. Pour les convaincre, il est facile de faire la promotion de la prévention en santé car elle sert l’intérêt commun. Des études d’impact, menées avec des chercheurs spécialisés comme Claude Le Pen, permettent de dégager des arguments évidents pour inciter les entreprises, les mutuelles et les collectivités à financer la prévention.
Quels sont les intérêts pour les entreprises d’investir dans les chèques santé ?
Le capital humain est le premier capital immatériel de l’entreprise. Investir dans la prévention et le bien-être de ses employés permet d’éviter un trop fort taux d’absentéisme. La mise en place d’un tel système organisé au sein d’une entreprise maximise l’impact social du management en démontrant un intérêt sincère pour la santé des salariés. En meilleure forme, plus présents et plus heureux, les salariés gagnent aussi en productivité. Selon les études que nous avons menées, un investissement d’un euro dans la prévention santé permet de générer deux euros en retour dans les douze mois suivants.
Et pour les mutuelles ?
Le discours est alors légèrement différent. L’ambition de ces assureurs est de couvrir les besoins d’une population en excellente santé afin de limiter leurs dépenses. Si tout le monde tombait malade en même temps, le principe même de mutualisation ne résisterait pas. En revanche, avec des assurés en pleine forme, la mutuelle se porte mieux également. On soumet à ces acteurs une offre supplémentaire pour qu’ils puissent proposer à leurs adhérents un système de tiers payant en prévention santé. Les mutuelles pourraient alors se différencier de leurs concurrentes avec une gamme d’accompagnement plus complète. Le recours plus fréquent aux soins de prévention aurait aussi pour conséquence d’éviter aux assureurs de rembourser les soins traditionnels, plus chers pour eux comme pour le système général de santé.
Un investissement d’un euro dans la prévention santé génère deux euros en retour pour les entreprises
Quel est votre modèle économique ?
Notre business model est assez simple : il se fonde sur un schéma commissionnaire. Nous facturons des frais de gestion à nos financeurs. Cela prend la forme d’une ponction d’un pourcentage de la somme globale affectée aux chèques santé. Ces frais de gestion sont inférieurs aux frais de traitement à la main de dossiers papiers. La dématérialisation des flux assurée par notre plate-forme fait ainsi gagner de l’argent à nos partenaires. Pour les professionnels de santé, les commissions financières que nous appliquons sont aussi moins chères que les banques traditionnelles. Cela crée un effet d’incitation important.
Vos résultats aujourd’hui sont-ils à la hauteur de vos ambitions ?
Care Labs réalise un million d’euros de chiffre d’affaires et 500 000 utilisateurs bénéficient de notre solution. Le volume de garantie qui nous a été confié en 2016 atteint déjà un chiffre impressionnant : 100 millions d’euros. Tout cela à l’arrivée de notre seule année de commercialisation complète auprès de nos clients. En 2017, nous espérons doubler ces chiffres pour atteindre un chiffre d’affaires de deux millions d’euros et près d’un million de bénéficiaires. Notre deuxième levée de fonds va nous permettre d’accélérer cette croissance et le développement de l’entreprise. Nous sommes vingt aujourd’hui et nous espérons être cinquante à la fin de l’année 2017. Le recrutement des talents est une étape décisive pour grandir sereinement.
Au-delà de ces considérations économiques, vous défendez un nouveau modèle d’accès aux soins pour tous.
Dans l’Hexagone, beaucoup de start-up se créent dans le secteur des nouvelles technologies. En santé, les biotech, les medtech et les acteurs de la santé électronique tiennent le haut du pavé. Avec notre solution, nous nous démarquons de ces acteurs. Notre principal objectif est d’assurer l’accès du plus grand nombre à une meilleure santé, sans discrimination économique. Nous sommes les porteurs de la première innovation sociale en France dans le secteur de la santé. Cet engagement social anime chacun d’entre nous. Nous sommes dix cofondateurs travaillant en coopération permanente. Un tel nombre d’associés est une autre originalité qui illustre notre approche singulière.
Notre rôle consiste à apporter plus de modernité, plus de fluidité, sans jamais sacrifier la sécurité.
La confidentialité des données médicales reste-t-elle assurée, notamment vis-à-vis des employeurs qui fournissent ces chèques santé ?
Notre plate-forme est agréée auprès de la Banque de France pour tous les éléments en lien avec notre système de paiement. D’autre part, nos solutions sont certifiées par l’Asip Santé (NDLR : l’Agence française de la santé numérique) et nous travaillons avec un hébergeur agréé « données de santé ». On anonymise les données pour qu’aucun problème ne puisse se poser entre un bénéficiaire et une société qui finance les titres prépayés. Si l’entreprise compte moins de cinquante salariés, le reporting est limité au minimum car les gens pourraient recouper les informations et trouver quel salarié a généré quelles dépenses. Pour les autres groupes de plus grande taille, nous réalisons des suivis sur mesure, généralisés et toujours anonymisés.
Quel accueil vous réserve les professionnels de santé invités à rejoindre votre réseau ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’entreprise a été créée en juin 2014 et nous comptons à présent 28 000 conventionnés à notre solution. Les professionnels de santé, les thérapeutes et les spécialistes du sport-santé ont manifesté un grand intérêt et nous ont réservé le meilleur des accueils. Cela apparaît d’autant plus évident que nos équipes de développement sont limitées : avec une personne à l’affiliation et deux téléconseillers au support, il était difficile d’aller plus vite. Si notre solution n’avait pas été pertinente ou attractive, le succès aurait été bien moindre. Pour certains comme les sophrologues ou les chiropracteurs, les chèques santé et le tiers-payant assurent une démocratisation de leur profession, parfois en manque de notoriété. Pour d’autres comme les chirurgiens-dentistes, nos outils sécurisent les prestations déjà offertes en aidant les patients à subvenir à leurs besoins élémentaires.
Le Hub BPI France a retenu Care Labs parmi les quarante start-up françaises les plus «scalables »,
Comment parvenez-vous concrètement à convaincre ces professions bien établies ?
Par exemple, notre application gratuite offre la possibilité d’un encaissement de carte bancaire sans terminal physique ou appareillage de toute sorte. Cette solution légère n’engendre aucun coût d’abonnement sur le smartphone et permet un règlement en toute simplicité pour le patient. Les dentistes comme l’ensemble des libéraux ont aussi la possibilité de proposer un paiement en trois fois, sans frais, pour leurs patients. Notre rôle consiste à apporter plus de modernité, plus de fluidité, sans jamais sacrifier la sécurité. Pour le patient, il est aussi moins stigmatisant d’avoir une aide par son employeur, son centre d’action sociale ou sa mutuelle, puis de choisir des modalités de paiement moins douloureuses plutôt que de supplier son professionnel de santé.
Comment imaginez-vous votre développement international, une de vos ambitions affichées ?
On étudie très activement les marchés de l’Amérique du Nord et de l’Amérique latine, notamment le Mexique et le Brésil. En Europe, c’est le Royaume-Uni qui retient particulièrement notre attention. On a pour ambition de se développer là-bas en 2017. En 2015, nous avons déjà ouvert un bureau à New York tout en participant à un accélérateur au Québec. La participation au CES de Las Vegas a constitué une formidable opportunité d’échanges de contacts. Depuis, nous avons recruté un business developer franco-américain qui navigue entre Londres et les États-Unis. Après une phase d’étude de faisabilité technique, juridique et commerciale, les premiers voyants sont au vert pour ces marchés. On va continuer dans ce sens pour obtenir des partenariats ambitieux. Néanmoins, notre objectif premier reste le marché français. Il nous faut asseoir notre position de leader pour ensuite démultiplier l’impact créé à l’échelle domestique. Le Hub BPI France a retenu Care Labs parmi les quarante start-up françaises les plus « scalables », celles susceptibles de connaître un changement d’échelle majeur dans un avenir proche. Avec notre expérience dans la gestion des flux en France, notre développement sera extrêmement rapide.
Propos recueillis par @Thomas Bastin