Décideurs. Comment le groupe Orange intervient-il dans l’univers de la santé ?
Elie Lobel. Orange est actif dans le domaine de la santé numérique depuis une dizaine d’années. Au sein d’Orange Business Services, la branche du groupe en charge du développement de services et produits B2B, Orange Healthcare est devenue une filiale autonome en avril 2016. Cette nouvelle configuration consacre l’importance stratégique de cette entité spécialisée et les ambitions que nous nourrissons pour le secteur.
Quelle est l’étendue de vos prestations dans ce secteur ?
Nous offrons une gamme complète de services dans la gestion du cycle de vie de la donnée de santé. Cette exhaustivité constitue l’une de nos principales spécificités sur le marché. Tout d’abord, notre maîtrise historique des infrastructures de télécommunications est un net avantage. Cela nous permet d’assurer la meilleure connectivité possible entre l’émetteur de la donnée et l’hébergeur. Cette liaison vers les data centers se doit d’être impeccable pour construire des services à valeur ajoutée par-dessus. Ensuite, l’hébergement lui-même, le développement d’applications mobiles et les enjeux de cybersécurité sont autant de champs d’intervention pour Orange Healthcare. Nos concurrents B2B, agréés hébergeurs de données de santé et experts en service IT aussi bien qu’en connectivité sont très peu nombreux… En toile de fond, nous nous reposons aussi sur l’expérience du groupe dans le domaine de la santé numérique et nos connaissances précises du secteur d’activité.
Qui sont vos principaux clients aujourd’hui ?
Notre clientèle se compose de cinq grandes familles d’acteurs. Tout d’abord, les établissements de soins (hôpital, clinique, Ehpad) auprès desquels nous sommes les plus présents. 70 % d’entre eux nous font déjà confiance pour diverses questions opérationnelles et stratégiques. Nous avons aussi convaincu de belles références de l’industrie pharmaceutique et des medtech à adopter nos solutions, à l’instar de LivaNova, fabricant de prothèses cardiaques connectées. Viennent ensuite les assureurs et mutuelles, comme l’illustre notre récent partenariat avec Harmonie Mutuelle. Les institutions régionales et nationales sont également des clients privilégiés et nous sommes actifs sur trois des cinq projets expérimentaux « Territoires de soins numériques ». Enfin, les éditeurs de logiciel et les start-up se reposent sur notre cloud agréé hébergeur de données de santé et nos savoir-faire applicatifs en mode Saas.
70 % des établissements de soins nous font déjà confiance pour leurs questions opérationnelles et stratégiques
Quelle est la part du chiffre d’affaires global d’Orange Healthcare au sein du groupe Orange et comment devrait-elle évoluer selon vos prévisions ?
Concernant ces éléments liés à notre communication financière, nous sommes soumis aux contraintes d’une société cotée. Il nous est impossible de vous répondre. Cependant, il faut savoir que cette activité a été labellisée croissance en interne et que nous visons des objectifs de croissance à deux chiffres. Nous sommes bien implantés en France et l’ambition internationale de la filiale s’est déjà matérialisée dans une quinzaine de pays. Orange Healthcare incarne un relais de croissance et de transformation pour Orange Business Services, entité qui compte 21 000 collaborateurs et génère un chiffre d’affaires de 6,4 milliards d’euros tous secteurs confondus.
La santé connectée ou « e-santé » a-t-elle déjà pris son véritable envol en France ?
Nous avons dépassé le stade des balbutiements en accumulant dix ans d’expérimentations. La France connaît en revanche un problème d’échelle en comparaison avec ces voisins. L’e-santé concerne quelques milliers de patients dans l’Hexagone répartis sur une grande variété de projets de petite taille alors qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui bénéficient de services innovants. Il y a toutefois de bonnes raisons d’être optimiste pour notre pays. Les dirigeants ont pris conscience du retard du système français et cela a permis l’élaboration de certaines réformes allant dans le bon sens. Pensons par exemple au groupement hospitalier de territoire (GHT) ou à l’article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui finance les expérimentations de télémédecine. L’année 2017 devrait marquer la transition de la phase de maturation de l’e-santé à celle d’industrialisation.
La fragmentation de la prise de décision peut ralentir certaines initiatives en télé-médecine
Les établissements de soins et leurs systèmes d’information souffrent d’un manque d’agilité qui cristallise les critiques. Comment pouvez-vous contribuer à améliorer cette situation ?
Les établissements de santé sont dans l’obligation de se transformer pour continuer de faire face à la demande croissante tout en optimisant leurs dépenses. Les stratèges institutionnels ont pris conscience de cela. La constitution des GHT est une excellente nouvelle pour la mutualisation des fonctions IT. Pour prendre un exemple concret, la gestion d’un logiciel aura plus de sens pour dix mille utilisateurs que pour mille. Certains établissements n’avaient pas attendu ce déclic comme le centre hospitalier régional de Metz-Thionville. Orange Healthcare travaille avec cette structure depuis plusieurs années, en prenant en charge le réseau et l’ensemble des équipements de téléphonie de l’hôpital. Des applications de régulation des appels de SAMU, des bornes d’accueil interactives, des dispositifs de télévision connectée multimédia dans les chambres et d’autres systèmes favorisant la chirurgie ambulatoire y ont déjà été déployés. De nombreuses données sont recueillies de manière régulière pour être ensuite traitées par des infirmières et des praticiens. La qualité de travail s’améliore en même temps que l’efficience de l’établissement de santé.
Le secteur de la santé est très régulé. Certains obstacles freinent-ils le développement de vos activités ?
La réglementation joue en général un rôle bénéfique mais peut représenter une contrainte excessive dans quelques domaines. C’est par exemple le cas pour le développement d’algorithmes fondé sur l’analyse d’un grand nombre de données de santé. Ce que fait Google et IBM aux États-Unis n’est pas possible en France aujourd’hui car le principe de précaution prévaut chez nous. Afin d’accéder aux données de santé du Sniiram, la base de données de l’Assurance maladie, il est nécessaire de respecter un ensemble de règles draconiennes. Il s’agit de contrôles a priori qui ont vocation à prévenir tout mésusage potentiel. Mais par excès de précaution, ils génèrent des délais qui gênent considérablement les usages légitimes de ces données. Le ratio bénéfice/risque peut s’améliorer. Les dernières avancées législatives devraient ainsi faciliter l’accès aux données de santé et résoudre une partie du problème. D’autre part, la fragmentation de la prise de décision peut ralentir certaines initiatives. Pour la télé-expertise, la télé-consultation ou la télé-surveillance, il faut convaincre l’ensemble des agences régionales de santé, une par une, pour lancer un projet à l’échelle nationale… C’est bien trop coûteux en temps et en argent. Enfin, l’accès au remboursement et la délivrance des autorisations de mise sur le marché peuvent aussi gagner en efficacité et rapidité.
Comment le digital peut-il bouleverser les activités des laboratoires pharmaceutiques ou des fabricants de dispositifs médicaux ?
Les dispositifs médicaux sont toujours plus connectés. La transmission de données de santé en temps réel permet aux soignants d’intervenir de manière préventive dès qu’une situation anormale est détectée. Les techniciens de l’industriel peuvent aussi exploiter ces données pour vérifier le bon fonctionnement du dispositif et éviter ainsi des dysfonctionnements aux conséquences majeures. Ensuite, les laboratoires ont aussi besoin de gérer le cycle de vie des données de santé. Cela est notamment décisif dans leur volonté de créer des applications pour se développer « beyond the pill ». Au-delà de la prise en charge médicamenteuse, des conseils alimentaires ou des remontées d’informations sur les effets secondaires peuvent être transmis plus facilement au patient, directement sur leur smartphone. Dans quinze ou vingt ans, il n’y aura sans doute plus de médicament vendu sans son application. Des algorithmes toujours plus sophistiqués définiront la meilleure posologie et chronobiologie selon les paramètres biologiques et physiologiques de chacun. Les laboratoires auront alors besoin de spécialistes des nouvelles technologies pour développer leurs nouvelles offres personnalisées.
Propos recueillis par Thomas Bastin