Décideurs. DGA, AP-HP, CEA ou encore DGS, NG Biotech a enregistré de nombreuses commandes de ses tests de dépistage rapides ces derniers mois. Milovan Stankov Pugès (NG Biotech), comment avez-vous fait face à cet accroissement très important de la demande ? Etiez-vous prêts ?
Milovan Stankov Pugès. Les mois passés ont été extrêmement denses pour NG Biotech. Spécialisée dans la mise au point de tests rapides d'antibiorésistance, nous avons démarré les travaux de R&D sur le diagnostic du virus SARS-CoV-2 début 2020 et nous avons obtenu le marquage CE fin mars 2020. Il s’agit du premier test sérologique rapide utilisant un dispositif « tout-en-un ». Ce concept unique permet une très grande facilité d’utilisation et un parfait calibrage de la collecte de sang au bout du doigt pour un résultat rapide et fiable.
Pendant la phase d’évaluation menée en étroite collaboration avec nos partenaires historiques - le CEA et l’AP-HP - nous nous sommes organisés pour la production de ce test disponible en deux formats : cassette (format classique) et « tout-en-un » (concept unique).
Notre test a été le premier kit immunologique de dépistage sanguin rapide de l’infection au coronavirus retenu, début avril, par l’appel à projets de solutions innovantes lancé par l’Agence Innovation Défense (AID). Il a ainsi fait l’objet d’un contrat avec la Direction Générale de l’Armement (DGA) qui nous a permis de lancer la production. Ce contrat intègre également le développement d’un second kit de détection rapide du virus dans la salive ou par échantillon nasal sur lequel nous travaillons actuellement, et la sécurisation d’une filière de réactifs de base nationale.
"Notre test a été le premier kit immunologique de dépistage sanguin rapide de l’infection au coronavirus retenu, début avril"
Des contrats ont ensuite été signés avec l’AP-HP, le CHU de Rennes, des collectivités locales et la DGS.
Nous avons investi massivement dans l’extension de notre outil industriel et le renforcement de nos équipes pour répondre aux besoins sanitaires français. La conception et la fabrication de notre 2e site de production de 2.500 m2 s’est faite en 6 semaines seulement avec 16 entreprises mobilisées en pleine période de confinement. Ce nouveau site, opérationnel depuis début juin, nous permet d’accroître notre capacité de production.
Barbara Bertholet, vous êtes associée IP/IT au sein du cabinet d’affaires Bignon Lebray. Comment avez-vous accompagné NG Biotech ? Quelles problématiques avez-vous rencontré et comment y avez-vous répondu ?
Barbara Bertholet. Bien que travaillant depuis plusieurs années avec NG Biotech, notre accompagnement a changé d’intensité avec la pandémie et les travaux de développement de NG Biotech relatifs au virus SARS-CoV-2. A compter de la mi-mars, nous sommes intervenus « sur tous les fronts » pour l’accompagner dans son développement sur les aspects juridiques et réglementaires : négociation des projets de contrats et marchés avec des organismes publics, analyse du statut réglementaire des tests, du cadre de leur distribution et leur évolution au fil des mois, conseils juridiques en matière de publicité, communication, IT, rédaction de modèles de contrats de partenariat, de fourniture, de licences croisées, de fabrication à façon, de distribution et négociation aux côtés de NG Biotech…
Nous avons dû constituer en urgence une équipe au sein de Bignon Lebray compétente sur tous ces aspects et disponible à tous moments.
Les problématiques juridiques ont été de plusieurs ordres. L’essentiel a été de prendre en compte dans la rédaction des clauses des contrats l’évolution du statut juridique des produits et d’introduire des clauses protectrices des intérêts de NG Biotech inusuelles pour tenir compte de la situation engendrée par la crise sanitaire et le blocage de l’économie mondiale.
En temps normal, le marquage CE suffit à propulser un DM sur le marché. Il en a été autrement pour le test de dépistage rapide développé par NG Biotech. CNR, HAS puis arrêté, un vrai parcours du combattant !
Milovan Stankov Pugès. Le marquage CE n’est que la première étape. Pour les tests Covid-19, la procédure est particulière et les étapes plus nombreuses. Notre test a été évalué et validé par le CNR (Centre National de Référence des virus et infections respiratoires) sur la base du cahier des charges défini par la Haute Autorité de Santé (HAS). Il est ensuite référencé. Malgré la situation d’urgence, le délai entre l’évaluation et le référencement est resté long.
"Depuis le 11 juillet, les pharmaciens et les médecins généralistes peuvent désormais utiliser notre test"
Et alors que la HAS s’est prononcée en faveur des Tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) le 18 mai dernier, il a fallu attendre près de deux mois qu’un arrêté ministériel soit publié. Depuis le 11 juillet, les pharmaciens et les médecins généralistes peuvent désormais utiliser notre test. Cette utilisation était réclamée depuis des semaines par ces professionnels de santé pour répondre aux demandes des Français souhaitant connaître leur statut immunitaire. Ces deux mois de flou ont été difficiles à gérer en termes de prévision de production afin d’éviter les ruptures de stock subies pour les masques.
Barbara Bertholet. Comme l’indique Milovan, le marquage CE n’est pas suffisant pour une large diffusion compte tenu du statut réglementaire des tests. Ceux-ci sont des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro -DMDIV- à usage professionnel. Réglementairement, ils relèvent de la catégorie des examens de biologie médicale et sont réservés à un usage par un biologiste médical.
Les tests de diagnostic rapide, tels les tests de NG Biotech, ont vocation à être utilisés par d’autres professionnels de santé, mais pour ce faire, ils doivent être qualifiés de Tests rapides d’orientation diagnostic -TROD- par arrêté ministériel. Après l’évaluation du CNR et l’avis de la HAS le 18 mai dernier, ce n’est que depuis ce 11 juillet qu’ils sont qualifiés de TROD et peuvent être réalisés par des médecins et par des pharmaciens, selon les recommandations de la Haute Autorité de santé, tel que cela résulte de l’article 26 de l’arrêté de ce 10 juillet "prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé".
Ce délai de près de deux mois depuis l’avis de la HAS et l’incertitude qu’il a engendré jusqu’à ce jour, a été très difficile à gérer pour la rédaction et la conclusion des contrats, sans parler de la production (mais là, ce n’est plus le problème de l’avocat !)
Barbara, vous avez rencontré Milovan Stankov qui a co-fondé NG Biotech avec son fils il y a plus de 20 ans alors qu’il dirigeait une autre entreprise. Vous avez travaillé sur un contentieux de brevets en matière de technologie d’immuno-essai contre un groupe américain. Vous connaissez donc bien ce domaine si particulier et votre relation est ancienne. Un vrai plus pour affronter une telle situation ?
Barbara Bertholet. Il est certain que notre relation ancienne, la connaissance du secteur et des produits de NG Biotech ont été un vrai plus qui nous a permis d’être efficaces immédiatement et de parfaitement comprendre les besoins et les enjeux.
Notre connaissance du droit est bien sûr essentielle, mais je dirais qu’elle va de soi, ou doit aller de soi. Selon moi, ce sont les deux facteurs cumulés complémentaires suivants qui ont fait la différence : notre connaissance de la technologie des immuno-essais par cet ancien dossier brevet que vous citez, et plus généralement des produits de NG Biotech et notre expérience, depuis plus de 20 ans, dans le secteur des sciences de la vie, de l’environnement métier et de ses problématiques juridiques et réglementaires spécifiques.
"Dans un contexte totalement inédit avec des problématiques nouvelles et surtout un rythme de décision extrêmement rapide, cette compréhension mutuelle était essentielle"
Milovan Stankov Pugès. Effectivement, le fait de se connaître de longue date nous a permis d’être opérationnel de suite et certainement plus réactif car nous avons une relation de confiance. Dans un contexte totalement inédit avec des problématiques nouvelles et surtout un rythme de décision extrêmement rapide, cette compréhension mutuelle était essentielle. Nous étions organisés en cellule de crise et le juridique était une problématique centrale. Nous avions besoin d’une forte expertise juridique et d’une personne qui comprenne et partage nos contraintes.
Dans un tel contexte de crise sanitaire, quels sont, selon vous, les facteurs clés de succès d’une collaboration réussie ?
Milovan Stankov Pugès. Je dirais sans hésiter que la confiance est la première condition à remplir. Dans ce contexte, nous avons besoin d’échanger en toute transparence et d’être assuré d’être parfaitement compris. La deuxième condition est la disponibilité. Nous avons tout de suite mis en place une organisation qui nous a permis de cadrer nos échanges durant toute la crise. La situation évoluant très vite, les points quotidiens sont essentiels dans ce cas et la transmission des informations reste un élément clé pour que chacun puisse disposer des informations nécessaires en temps réel. Pour répondre à des questions nouvelles dans un contexte d’urgence inédit, il faut rester connectés en continu et pouvoir compter les uns sur les autres en permanence.
Barbara Bertholet. Je partage l’avis de Milovan. Nous avons été dans un échange permanent sur les projets, les idées, les besoins et la veille aux fins d’adapter au fil des jours et je dirais même des heures, nos interventions au plus près des besoins de NG Biotech.
Je pense également qu’ont été essentiels l’organisation mise en place, la pluridisciplinarité et les valeurs d’agilité, de flexibilité et de réactivité de notre cabinet. Au-delà du binôme que j’ai composé avec Rachel Devidal, avocate collaboratrice, qui intervenait en premier plan au quotidien, nous avons pu compter sur l’expertise et la réactivité de l’équipe et de mes associés pour intervenir de concert avec nous. Par exemple, Sébastien Pinot, nous a accompagnées sur les questions de marché public ; Nicolas Moreau est également intervenu en urgence pour suspendre en 24 heures un site internet de phishing, alors que nous étions sur un autre chantier brûlant.
NG Biotech a quadruplé ses effectifs pendant la crise et construit un deuxième site de production pour répondre à la très forte demande. Milovan Stankov Pugès, vous avez également embauché une jeune juriste en interne. Quelle coordination avec Barbara Bertholet ?
Milovan Stankov Pugès. Effectivement, nos effectifs sont passés de 30 salariés fin mars à 120 fin juin et nous poursuivons les recrutements cet été. La très grande majorité des postes concerne la production. Mais nous avons également renforcé notre organisation à tous les niveaux. Nous avons ainsi recruté une DRH, une DAF, créé une cellule achats, renforcé le Pôle commercial… Nous venons également en effet d’intégrer une juriste. Nos problématiques juridiques sont nombreuses avec les contrats de vente, de distribution, les marchés publics, la propriété industrielle… Son rôle est de centraliser l’ensemble de nos problématiques juridiques, d’assurer une pré-étude en interne et d’être le relai auprès de nos conseils externes.
Barbara Bertholet, vous avez ouvert de votre côté votre réseau de relations avec NG Biotech. Avez-vous quelques exemples ? Un avocat peut-il et doit-il avoir un rôle d’apporteur d’affaires ?
Barbara Bertholet. Intervenant depuis plus de 20 ans dans le secteur des sciences de la vie, j’ai constitué un réseau professionnel dans ce domaine. Si je ne considère pas qu’il relève de la mission de l’avocat de jouer le rôle d’apporteur d’affaires, en revanche, je trouve naturel de jouer le rôle de facilitateur entre les personnes de mon réseau, lorsque j’identifie que cela peut apporter à chacun. Je l’ai fait naturellement avec NG Biotech lorsque cela s’est présenté pendant cette période de crise où la réactivité de tous les acteurs était fondamentale. C’est aussi la richesse d’une relation de partenariat, de ne pas limiter nos actes à des interventions purement juridiques sur commande.
Propos recueillis par Anne-Sophie David