Décideurs. Comment a été préparé l’épidémie ? Quelles ont été les principales mesures mises en place ?
Frédéric Valletoux. Cela s’est déroulé en plusieurs étapes. D’abord, il y a eu la mise en alerte des hôpitaux et la décision de structurer la prise en charge des patients atteints de la Covid autour d’une quarantaine d’établissements, les 32 plus importants CHU ainsi que quelques gros centres hospitaliers. Puis le « plan blanc », que l’on déclenche lors d’une crise sanitaire, d’une catastrophe naturelle, des attentats… On décrète alors l’urgence et la mobilisation du plus grand nombre possible de moyens .
Cela s’est concrétisé par deux choses, la libération de lits et la déprogrammation des interventions non urgentes pour faire de la place dans les capacités d’accueil des hôpitaux. Deuxièmement, les établissements peuvent changer les organisations de travail à tout moment. L’hôpital a la faculté de suspendre les congés, de faire évoluer les rythmes de travail. Ces étapes ont permis aux hôpitaux d’anticiper l’arrivée des patients Covid.
Comment les hôpitaux ont-ils géré l’épidémie jusqu’à fin avril ? Quels retours en avez-vous ?
Au moment le plus chaud de cette première vague de l’épidémie, des moyens exceptionnels ont été mis à disposition. Il y a également eu des transferts massifs de patients [644, Ndlr] vers les régions moins touchées mais aussi vers des pays limitrophes comme l’Allemagne, la Suisse.
Les choses commencent à se stabiliser mais nous ne sommes pas encore dans une situation normale.
On a également vu l’apport d’aides extérieures à travers deux dispositifs, un premier mis en place par l’ARS [Agence régionale de santé, Ndlr] d’Île-de-France et étendu sur tout le territoire. L’ARS a ensuite lancé un appel à tous les professionnels de santé potentiels : des personnes déjà formées mais qui s’étaient détournées du métier de soignant, des professionnels libéraux ou encore des jeunes retraités. Des soignants des régions moins affectées ont été mobilisés vers l’Île-de-France et le Grand Est. La mobilisation a été forte autour des hôpitaux les plus concernés.
Comment la situation évolue-t-elle depuis début mai ?
Les choses commencent à se stabiliser mais nous ne sommes pas encore dans une situation normale. Néanmoins, la contrainte s’est desserrée. Les établissements ont réouvert les consultations, ils ont reprogrammé des actes. Des personnels qui n’avaient pas pu partir en congés aux alentours de Pâques ont pu les prendre. Dans certains hôpitaux où le nombre de lits en réanimation a fortement augmenté pendant la crise, les responsables ont décidé de le diminuer parce qu’il n’y en a plus la nécessité.
Concernant les relations entre public et privé, que retenir de cette période ?
Cela s’est globalement très bien passé. Il y a eu une légère crainte au tout début, en particulier dans le Grand Est. Des cliniques privées à qui on avait demandé de déprogrammer des actes ne recevaient pas de patients Covid. Mais cela a été de courte durée. Rapidement des patients leur ont été envoyés. Ce problème de coordination n’a pas été observé en Île-de-France. Nous constatons surtout une chose : dans une situation d’urgence, les médecins restent des médecins. Quel que soit leur statut, le soin et la prise en charge des patients priment.
Que pensez-vous de la gestion des ARS ?
Rappelons que chaque ARS a fonctionné différemment au cours de la période. Il est difficile de généraliser. Ce qui est très clair cependant, c’est que les ARS aujourd’hui concentrent – peut-être à tort parfois – les critiques d’une trop grande bureaucratie. Pour certains, elles se sont montrées en difficulté face à l’urgence de la situation et pour faire preuve d’une grande réactivité. Après la crise, il faudra faire un retour d’expérience, une relecture des événements et je pense que le sujet des ARS sera traité dans ce cadre-là.
Globalement, quels sont les premiers bilans à tirer ?
Même s’il est encore tôt pour en parler, je retiendrais trois éléments. Le premier, celui de la grande capacité d’adaptation des équipes hospitalières, qui ont bousculé leurs organisations et n’ont pas rechigné à se mettre au service de l’institution. Le deuxième, la qualité de la coopération entre les établissements. Sur le transfert de patients, cela a été très bien, c’est indéniable.
Le troisième élément s’inscrit dans le niveau de relation entre public et privé qui montre combien, face à l’urgence, les professionnels se serrent les coudes et avancent ensemble. Parce que nécessité fait loi, les statuts deviennent secondaires, et les médecins ont trouvé des solutions auxquelles ils n’auraient peut-être pas pensé spontanément dans un autre contexte.
Sur le Ségur de la Santé, qu’attendez-vous pour les hôpitaux publics ?
Tout d’abord, la reconnaissance des personnels. Ensuite, il faut tourner la page de cette bureaucratie qui a envahi l’hôpital et l’ensemble du système de santé. Il faudra, en outre, relancer l’investissement hospitalier car, depuis deux ans, on observe des niveaux très faibles, voire inquiétants. On ne peut pas avoir un secteur, que l’on veut de pointe et performant, avec un tel niveau d’investissements.
Il faudra relancer l’investissement hospitalier car, depuis deux ans, on observe des niveaux très faibles, voire inquiétants.
Enfin, la question de la confiance à donner aux opérationnels, c’est-à-dire aux personnes du terrain, doit être posée. Cela pourrait passer par donner plus d’autonomie, plus de capacités d’adaptation. Il semble nécessaire que le système de santé soit davantage tourné vers une organisation qui valorise les spécificités des territoires alors qu’aujourd’hui, le système est beaucoup centralisé.
Propos recueillis par Victor Noiret