Partenaire du Sommet de la mesure d'impact, organisé par Impact Tank, qui se tiendra le 18 avril prochain au Conseil économique social et environnemental, 100 Transitions met un coup de projecteur sur certains de ses intervenants phares. Second volet de cette série : Jean-Baptiste Talabot, directeur de l'action sociale retraite de Malakoff Humanis.
Pouvez-vous nous présenter le périmètre de vos fonctions ?
Je suis directeur de l’action sociale retraite au sein de Malakoff Humanis, qui est un groupe de protection sociale (GPS). À ce titre, il exerce deux grands métiers : l’assurance de personnes, en santé comme en prévoyance, et la gestion de la retraite complémentaire des salariés du privé dans le cadre de la fédération Agirc-Arco. Un GPS représente une construction assez originale, avec un côté assurance dans un domaine concurrentiel et un aspect gestion de retraite complémentaire, qui constitue une mission d’intérêt général. Ce qui unit ces groupes de protection sociale, c’est la gouvernance paritaire et l’absence de but lucratif. Il n’y a pas d’actionnaire à rémunérer. Cela ne veut pas dire que ce ne sont pas des groupes performants, mais cela permet justement d’investir le fruit de leur performance au service d’engagements sociaux, sociétaux et de l’intérêt général. Ce modèle, c’est le cœur de ma fonction, l’action sociale retraite.
Cette action sociale retraite pour l’Agirc-Arco représente 330 millions d’euros de dotations annuelles, répartis sur de grandes orientations prioritaires liées au bien vieillir, à l’aide aux aidants et aux fragilités. Nous sommes une équipe relativement resserrée de 260 personnes, aux métiers extrêmement divers.
Comment intégrez-vous la notion d’impact dans vos activités ?
La notion d’impact et le pilotage par l’impact sont intégrés dans toutes nos activités, mais aussi dans tous nos partenariats. Le fait qu’il existe une mesure d’impact et un pilotage par l’impact constitue presque une condition de ces partenariats. Il est important pour nous de permettre à l’ensemble de l’écosystème de se développer. Nous sommes une structure avec des métiers variés et l'adoption de la notion d’impact s'est faite progressivement, par programme, pour l’intégrer au mieux dans notre mode de faire.
La responsabilité de la gestion d’une dotation de l’ordre de 140 millions d’euros par an implique la preuve de l’efficience de l’emploi de ces fonds. C’est pour ça que la mesure d’impact est très vite devenue pour nous une nécessité quasi existentielle. Continuera-t-on à disposer de ces fonds sans faire la preuve de notre efficience autrement qu’en se contentant de dresser un descriptif des actions et des montants engagés ? On ne peut prétendre être efficace dans nos actions en disant simplement y avoir investi tant de milliards… D’une certaine manière, c’est ça qui nous a poussés il y a plusieurs années à travailler sur la mesure d’impact. Pour nous, cette dernière doit être un outil de preuve, mais aussi et surtout un outil de pilotage. Nous voulons utiliser cette mesure et ces apprentissages pour mieux orienter nos actions futures.
Nous avons commencé en 2020 par une phase théorique et un peu académique sur ce qu’était la mesure d’impact, comment on la comprenait et comment elle pouvait l’adapter à nos activités. En 2021, nous nous sommes lancés dans une phase plus expérimentale, en prenant des périmètres tests, des indicateurs clés et en nous y acculturant. Nous avons formé 100 % de nos collaborateurs, soit 260 personnes, sur le sujet. La phase de mise en œuvre a vraiment débuté en 2022, avec des référentiels partagés, une méthodologie et des outils. En 2023/2024, nous sommes très clairement entrés dans une phase de run.
Quels outils de mesure avez-vous mis en place ?
Nos premiers outils sont managériaux, dans le sens où nous avons dû former et acculturer tout le monde, comme je le disais plus tôt. Il y a eu aussi une mise en place de process : on n’y échappe pas si on veut intégrer une notion aussi prégnante – même si nous souhaitons aussi rester flexibles. Par exemple, nous avons mis en place un processus pour déterminer si une action doit être évaluée avec une mesure d’impact social ou selon un autre critère d’évaluation. Parce que tout ne s’évalue pas avec une mesure d’impact ! Pour un petit dispositif à 5 000 € dans une région, une mesure d’impact serait économiquement et même intellectuellement sans intérêt… Nous avons aussi mis en place une structure interne à la direction que nous avons appelée « comptoir de l’impact », qui est en charge des référentiels, de la cohérence et du relevé de ces éléments.
''Tout ne s’évalue pas avec une mesure d’impact !''
L’autre grande catégorie regroupe les outils que je qualifierai de plus techniques, la cartographie et les référentiels. Ces derniers sont construits sur nos orientations prioritaires et objectifs majeurs. Nous avons donc 44 indicateurs imposés, neuf indicateurs monétarisés ainsi que des méthodes de SROI. Dans les trois premiers mois de 2024, nous avons déjà réalisé 90 évaluations complètes. Nous possédons aussi des outils informatiques : Impact track en particulier, notre instrument global de consolidation et de pilotage. Et pour finir, il n’y a pas que les mesures d’impact internes. Nous travaillons avec un certain nombre de partenaires de la place : l’ESSEC par exemple, mais aussi Goodwill ou Kimso, qui font des évaluations indépendantes.
Vous participerez le 18 avril au Sommet de la mesure d’impact : pourquoi soutenir cet événement et quel message allez-vous y porter ?
Nous avons la conviction que la mesure d’impact et le pilotage par l’impact sont un facteur important de progrès social dans notre pays. La France dispose d’un système de protection social fort, mais aussi coûteux, avec des perspectives constantes de réductions budgétaires. Nous pouvons contribuer à créer un écosystème plus efficace.
Un évènement comme le Sommet de la mesure d’impact constitue l’endroit idéal pour plaider en faveur de l’impact social. Nous pouvons prendre part à la mise en place de normes communes, et ce quels que soient les sujets. Nous voulons aussi évoquer la question de l’accès aux données, qui peuvent être extrêmement utiles pour viser cet impact. Mais en France ces données sont, à juste titre d’ailleurs, particulièrement protégées. Malgré tout l’exploitation de celles-ci pourrait représenter un progrès majeur pour la mesure d’impact. Nous voulons donc plaider pour un aménagement de ces règles.
Nous sommes aussi là pour partager une expérience très opérationnelle : ce n’est pas une question concurrentielle et certains peuvent être intéressés par ce que nous avons pu vivre ces quatre dernières années. Le corollaire est aussi que nous sommes là pour apprendre des expériences des autres, de leurs méthodes et de leurs limites. Pour nous frotter également à ceux qui pensent la mesure d’impact et à ceux qui l’exécutent. Le tout pour enrichir ainsi notre propre dispositif.
Propos recueillis par François Arias