Une page de l’histoire française se tourne avec la mort de Roland Dumas. Ministre, député, avocat, résistant, l’homme qui avait hésité à devenir chanteur lyrique s’est éteint le 3 juillet 2024 à l’âge de 101 ans.

 La vie de Roland Dumas ne fut pas un long fleuve tranquille. Tour à tour résistant, avocat, député, ministre des Affaires étrangères, président du Conseil constitutionnel, l’homme à la réputation sulfureuse – il fut condamné à plusieurs reprises – nous a quittés le mercredi 3 juillet 2024, à l’âge de 101 ans. Certains le comparaient à Talleyrand – il n’aurait eu que peu de principes au cours de sa longue vie. D’autres, comme Michel Rocard, disaient de lui que c’était un personnage “talentueux”, mais “discuté”. Ou “un homme de roman”, selon Olivier Faure. Pour le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, “il a marqué de son empreinte l’histoire de la Ve République”.

Tous azimuts, Roland Dumas flirtait parfois avec les thèses complotistes, à propos des conflits au Moyen-Orient (déclenchés selon lui pour installer le pouvoir israélien) ou des attentats du 11 septembre 2001. Et s’il parlait de la Gauche comme de sa famille politique naturelle, il côtoyait quelques têtes de l’extrême bord opposé :  Dieudonné, Bruno Gollnisch, Jany Le Pen ou Alain Soral. Lorsque l’ex-secrétaire général de l’ex-Front national Louis Aliot avait cherché des recommandations pour passer de docteur en droit public à avocat, Roland Dumas avait répondu présent. Tout en écrivant sur X, en 2013, au sujet du Front national : “Ce parti ressemble de plus en plus au Cirque Pinder.” Ce proche de Kadhafi avait également affiché son soutien à la cause palestinienne. Et a fait partie de la défense d'Abou Daoud, le cerveau de la prise en otage d'athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. En 2015, il provoque un tollé en affirmant que Manuel Valls est “probablement” sous influence juive. À l’origine de ces positions parfois déroutantes, peut-on voir une grande indépendance d’esprit ? Le “naufrage de la vieillesse” comme le dira Jean-Jacques Urvoas ? Son côté provocateur ? Dans ses jeunes années, Roland Dumas avouait déjà : “J’aime choquer le bourgeois.”

Ami des artistes et défenseur du diable

Ce séducteur haut en couleur, mais souvent vêtu d’un costume crème, a bâti sa carrière sur des procès qui ont défrayé la chronique à partir des années cinquante. Il n’en est qu’à ses débuts quand il s’illustre en obtenant l’acquittement des accusés dans deux dossiers de taille. Celui de Georges Guingouin, estimé responsable de crimes commis par des résistants incontrôlés, et celui des “fuites” de secrets militaires pendant la guerre d’Indochine impliquant Jean Mons, alors secrétaire général de la défense nationale. Défenseur du Canard enchaîné pendant plusieurs années, il assiste aussi Francis Jeanson, l’organisateur des réseaux de financement du FLN. À l’automne 1968, la presse raconte qu’il a couru à Belgrade pour représenter la famille Markovic dans une affaire sordide sur fond de parties fines qui devait faire tomber Georges Pompidou en salissant l’honneur de sa femme. Il se plaisait à dire qu’il était souvent aux côtés du “diable”. Il exerce surtout pendant neuf années aux côtés de Jean-Marc Varaut, avocat de droite (de Maurice Papon notamment), chrétien et monarchiste, à propos duquel il dira : “J'ai partagé avec Me Varaut plus de mètres carrés que d'idées politiques.”

“Le tumulte me rajeunit”

Mondain, Roland Dumas comptait parmi ses clients et amis quelques artistes : Marc Chagall, Picasso et Alberto Giacometti. Autre amitié notable de cet amoureux de bel canto : celle qui le liait à son confrère Jacques Vergès, avocat de l’extrême gauche et du FLN, qu’il rencontre en 1960 dans l’affaire Jeanson justement. Dans les années 2010, les deux compères s’envoleront d’ailleurs en Côte d’Ivoire pour porter assistance à Laurent Gbagbo, candidat défait aux présidentielles et pas vraiment favori de la communauté internationale. Une initiative qui choquera une partie de la classe politique française, venant de la part d’un ancien ministre des Affaires étrangères. Un poste qu’il a occupé à partir des années quatre-vingt – après quelques années dans les fauteuils de l’Assemblée nationale –, à la faveur de l’élection de François Mitterrand, son grand ami. Roland Dumas aura été par ailleurs député de la Haute-Vienne, la région qui l’a vu naître, puis de la Corrèze entre 1967 et 1968, et de la Dordogne – où il occupe aussi des fonctions de conseiller municipal – et entre 1981 et 1988.

Camille Claudel et Conseil constitutionnel

En 1995, Roland Dumas succède à Robert Badinter à la tête du Conseil constitutionnel. “Tonton” le place là, juste avant de rendre les clefs de l’Élysée. Rue Montpensier, les sages ne voient pas l’arrivée de ce sulfureux personnage d’un bon œil. Il se dit de lui qu’"il lui manque une case : celle de la morale". Mitterrand assume : “J'ai deux avocats : Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu.” Finalement, le charme de Dumas opère et les membres du Conseil l’apprécient. Et ce sera l’affaire Elf – dans laquelle il est soupçonné d’avoir favorisé l’embauche de sa maîtresse Christine Deviers-Joncour contre un salaire fictif – qui l’obligera à quitter ses fonctions en 1999. Et la vie politique. Il est temps pour l’ancien avocat de reprendre la robe. Il s’installe donc dans l'ancien atelier de Camille Claudel – chose qu’il ignorait en signant l’acte de vente – quai Bourbon. En 2003, il est innocenté en appel dans le dossier Elf. La justice lui est moins favorable en 2007 quand la Cour de cassation confirme sa condamnation à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 euros d'amende pour complicité d'abus de confiance dans l’affaire de la succession Giacometti.

Jamais loin du téléphone

Roland Dumas a confié au Monde, du haut de ses 88 années : “Le tumulte me rajeunit”. Sur X (ex-Twitter), il faisait régulièrement des appels de pied au gouvernement de gauche. Dès 2012, quand il rappelle à ceux qui le jugent trop vieux pour être ministre que Michel Sapin et Laurent Fabius le sont encore – c’est sa troisième sortie sur le réseau alors appelé Twitter, juste après une publication dans laquelle il demande à ses abonnés si son ami Jacques Vergès possède un compte. Et à l’occasion des remaniements de 2014 – en mars ou en août – où il twitte : “Je me tiens donc tout près de mon combiné téléphonique, à bon entendeur… ” Et ceux de 2016 : il exprime alors son désir de retourner au Quai d’Orsay.

C’est en devenant journaliste à l’Agence économique et financière (Agefi) que Roland Dumas entre en politique, alors qu’il suit parallèlement une licence en droit à l'université de Paris et qu’il traduit des dépêches – il avait fait une formation à l'École des langues orientales. Un diplôme en finances publiques à Sciences Po en 1945, et un autre de la London School of Economics étayeront également son CV. En ce temps-là, le jeune étudiant était sous l'aile de Jeans Mons, grand ami de son défunt père, Georges Dumas, résistant fusillé par les SS allemands en 1944. Celui que l’on surnommait parfois le Dandy de la République venait d’avoir 23 ans.

Anne-Laure Blouin

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