Alors que le vote permettant de ratifier la directive européenne sur le devoir de vigilance devait avoir lieu ce 28 février après déjà plusieurs reports, la France propose de modifier le périmètre d’application de la directive. Elle n’est pas le seul pays à reculer au dernier moment.
Devoir de vigilance : la réticence des États membres fait capoter le vote
À la fin de la journée du mercredi 28 février, le Conseil européen a finalement rejeté le projet de directive, faute de majorité qualifiée. Laura Wolters, rapporteuse néerlandaise du texte au Parlement, dénonce un “un recul flagrant”. De son côté, Richard Garnier, chargé des politiques publiques européennes à la World Benchmarking Alliance, considère que “les États membres n’ont fait que promouvoir leurs intérêts nationaux, en compromettant intentionnellement toute tentative d’atteindre un consensus”. La présidence belge du conseil a annoncé sur X qu’en dépit de ses efforts, la directive n’avait pas trouvé le soutien nécessaire. “Nous devons maintenant faire le point et voir s'il est possible de répondre aux préoccupations exprimées par les États membres en consultation avec le Parlement européen.”
Au début de ce jour noir pour le devoir de vigilance européen, certaines ONG avaient déjà alerté l’opinion sur le revirement français : “La France frappe à nouveau pour couler la directive européenne sur le devoir de vigilance.” Oxfam, les Amis de la Terre ou encore Notre Affaire À Tous ont pointé du doigt la demande de réduction du périmètre d’application de la directive européenne formulée par la France la veille du vote, le 27 février. C’est déjà l’Hexagone qui avait obtenu l’exclusion du secteur financier de la directive.
Le compromis trouvé en trilogue en décembre 2023 impose aux entreprises de plus de 500 salariés l’obligation d’assumer leur responsabilité sur toute la chaîne de valeur en matière environnementale et humaine. Quelques heures avant le vote du texte au Conseil de l’Union européenne, la France a requis l’alignement des seuils européens avec ceux de la loi française, soit 5 000 salariés. Selon le communiqué de presse des ONG, ce serait Bruno Lemaire en personne qui aurait suggéré l’idée “lors d’un voyage en catimini à Bruxelles”. La position se serait officialisée hier soir, toujours selon les ONG.
Si la requête tricolore était acceptée, elle conduirait à l’exclusion de 14 000 entreprises du périmètre d’application de la directive. Pour les associations qui défendent l’environnement : “La France met encore plus en péril l’adoption du texte en exigeant de modifier le périmètre de la directive et d’en exclure plus de 80 % des entreprises concernées.”
Les ONG s’appuient sur l’évaluation de la loi française sur le devoir de vigilance du Conseil général de l’économie de l’industrie, de l’énergie et des technologiques de janvier 2020 qui pointe du doigt le niveau des seuils de la législation française : “Les seuils [de salariés] d’assujettissement de la loi française sont trop élevés, excluant de nombreuses entreprises dont l’activité présente des risques”, constate également le rapport d’information de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale du 28 juin 2023. Cette commission proposait de retenir les entreprises employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d’affaires annuel net de 150 millions d’euros et à celles employant plus de 250 personnes et réalisant un CA net supérieur à millions d’euros si au moins 50 % de celui-ci ont été réalisés dans un secteur à risque (textile, agriculture, ou secteur minier). Ce qui représentait 11 900 sociétés européennes – dont 1 582 françaises – et 6 000 sociétés non européennes. Des seuils retenus par la directive.
Alors que les débats relatifs à la Corporate Sustainability Due Diligence Directive occupent les États membres, la Commission européenne et le Parlement européen depuis plus de quatre ans et qu’un accord était attendu pour la fin de l’année, la discussion ne semble toujours pas close. Les défenseurs du texte espèrent encore qu’un compromis puisse être trouvé avant les élections européennes. À défaut, ils craignent que le texte ne puisse être adopté.
Lire aussi Devoir de vigilance : le vote final de la directive est encore reporté
Lire aussi Droits humains et environnement : le trilogue européen a trouvé un accord sur le devoir de vigilance
Ilona Petit