La fast fashion fait l’objet de deux propositions de loi dont l’une, celle de la députée Horizons Anne-Cécile Violland, a remporté la majorité des voix à l’Assemblée nationale à la mi-mars. En 2022, chaque Français a acheté en moyenne 48 articles textiles. Analyse.

Des ONG l’avaient demandé à Bruno Lemaire, ministre de l’Économie et des Finances, dès novembre 2023. Ce sont les députés qui s’emparent en ce début 2024 du sujet de la fast fashion, et des 3 milliards de vêtements mis sur le marché français chaque année aujourd’hui (selon un rapport de l’éco-organisme de la filière textile Refashion). Ce n’est pas une, mais deux propositions de loi qui sont dans les tuyaux de l’Assemblée nationale. Les deux textes visent peu ou prou la même chose : porter un coup d’arrêt au développement des entreprises de fast fashion largement représentée par la chinoise Shein. À en juger par les bruits de couloirs de l’Hémicycle, la seconde proposition de loi déposée le 5 mars par le Ligérien Antoine Vermorel-Marques – pas encore débattue – fait de l’ombre à la première. Notamment à cause de la vidéo parodique du député de 31 ans postée sur TikTok et qui reprend les codes des marques de la mode éphémère et de leurs influenceurs. La première proposition déposée en janvier par sa rapporteure Cécile Violland du groupe Horizons, visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile, a malgré tout remporté une majorité des voix à l’Assemblée nationale le 14 mars dernier. Emmanuelle Brunelle, avocate associée chez DTMV, fait la synthèse : “La proposition du député Les Républicains ne vise que la fast fashion. Elle est beaucoup plus limitée par rapport à l’autre proposition bien que les deux portent sur des problématiques communes.”

La proposition du parti présidé par Édouard Philippe tente dans son premier article de définir la fast fashion et veut imposer à ses acteurs une obligation d’affichage d’un message d’information et de sensibilisation des consommateurs sur leur site internet. Emmanuelle Brunelle précise que la disposition ne s’applique qu’au commerce en ligne, de quoi créer une asymétrie de traitement entre le commerce sur la toile et le commerce physique. Plus encore, elle observe une “dichotomie entre la vocation extrêmement généraliste du système de modulation de l’écocontribution et ce premier article qui ne vise que la fast fashion”.

“Cette proposition de loi, dans sa dernière version à date, introduit de nouveaux critères : l’impact environnemental, notamment les atteintes à la biodiversité et l’empreinte carbone”

Le deuxième article modifie le système de primes et de pénalités adossé à l’écocontribution et à la responsabilité élargie du producteur ou REP d’origine européenne et révisée par les lois anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) de 2020 et climat et résilience de 2021. Sarah Becker, avocate cofondatrice du cabinet Vingtrue, confirme que la formule n’a rien de révolutionnaire : “Les filières les moins vertueuses paieront plus et inversement. Cela relève du principe pollueur-payeur qui figure déjà dans la loi.” Emmanuelle Brunelle explique : “Cette proposition de loi, dans sa dernière version à date, introduit deux nouveaux critères : l’impact environnemental, notamment les atteintes à la biodiversité et l’empreinte carbone qui seront utilisés, pour tous les producteurs soumis à la REP, pour déterminer non seulement des primes mais aussi des pénalités appliquées par l’éco-organisme de la filière concernée, en l’occurrence Refashion pour la filière textile.” Pour la juriste, ces nouveaux critères risquent d’être difficiles à appréhender. Comment évaluer concrètement et quantifier les conséquences pour l’environnement de la fabrication des matières premières et des vêtements ?

Un camion à ordure plein de vêtements brûlé ou jeté chaque seconde

Cette augmentation de l’écocontribution n’a rien d’une taxe, Anne-Cécile Violland le martèle. Elle ne finira pas dans les caisses de l’État, mais dans celle d’un éco-organisme pour financer le recyclage des déchets produits par les entreprises qui lui sont affiliées. “La fast fashion est logiquement concernée car elle met sur le marché un nombre immense de produits qui deviendront des déchets. Tout cela est cohérent”, remarque Sarah Becker. À l’échelle de la planète c’est l’équivalent d’un camion à ordure plein de vêtements qui est brûlé ou jeté dans une décharge chaque seconde. Cet article veut aller plus loin avec la mise en place d’une pénalité qui pourrait aller jusqu’à 10 euros par produit en 2030, dans la limite de 50 % du prix HT. La pénalité serait fixée en fonction du score obtenu par le produit à l’affichage environnemental, “un peu comme le nutriscore” essaie de simplifier Anne-Cécile Violland. C’est le ministère de la Transition écologique qui a préparé huit critères “objectifs” fruit d’une démarche scientifique menée depuis 2021. Pour un produit Shein à 7 euros en moyenne, l’écomodulation sera limitée à 3,50 euros.  “La proposition est décriée à cause du faible coût des produits, qui limite l’impact réel de la loi”, souligne Emmanuelle Brunelle.

“Interdire la publicité, c’est interdire l’industrie”

Avec le troisième article, les députés Horizons n’y vont pas par quatre chemins. Ils proposent d’interdire la publicité pour les produits issus de la fast fashion. Dans la version finale, il est fait référence aux influenceurs. “D’une efficacité redoutable, l’article 3 serait le seul moyen de mettre un vrai coup d’arrêt aux activités polluantes des entreprises de la fast fashion”, constate Emmanuelle Brunelle. Et c’est du déjà-vu : la loi Evin pour l’alcool, les énergies fossiles en 2021…  Pour le député de droite Antoine Vermorel-Marques, interdire la publicité c’est interdire l’industrie. “Certes, nos concurrents asiatiques en seront affaiblis, mais nos industriels ne s’en trouveront pas renforcés.” Sa proposition de loi renforce pour sa part le système de malus et se passe d’une telle interdiction, qu’il juge exposée au risque d’anticonstitutionnalité et d’anticonventionnalité et qu’il craint de voir censurée sur l’autel de la liberté d’entreprendre. Des entreprises françaises pourraient bien être touchées pour l’avocate Sarah Becker. Elle n’élimine pas non plus le risque de censure, d’insécurité juridique et de problème d’interprétation, notamment à cause du flou qui entoure les seuils qui doivent déterminer à partir de combien de produits mis sur le marché une entreprise relève de la fast fashion.

Pressions diplomatiques

Point chaud des débats, ces seuils relèveront du pouvoir réglementaire. La proposition Horizons vise “la mise à disposition ou la distribution d’un nombre élevé de nouvelles références, c’est-à-dire de produits d’habillement, de chaussures ou de linge de maison, des catégories classiques du Code de l’environnement et du Code de la consommation” sans plus de précisions, indique Emmanuel Brunelle. Ces seuils devront tenir compte “du nombre de nouvelles références par unité de temps ou du nombre de références différentes et de leur faible durée de commercialisation”. Des notions nébuleuses selon l’avocate. Face aux réticences de certains à laisser les seuils à la main d’un futur décret en Conseil d’État, Anne-Cécile Violland explique vouloir “être aussi réactif[s] et agile[s] que l’industrie de la mode”. “Il sera bien plus facile de modifier le décret que la loi”. Son rival, Antoine Vermorel-Marques craint “des pressions diplomatiques sur le pouvoir exécutif ou des menaces de rétorsion commerciale”, qui pourraient influencer la rédaction du décret. Il préfère graver un nombre minimal dans le marbre de la loi. Il l’a fait dans l’article unique de sa proposition. “Si un producteur dépasse le seuil de mille nouveaux modèles par jour, ses contributions financières seront modulées en conséquence”, peut-on lire dans les motifs. Rien de nouveau sous le soleil pour Sarah Becker, si ce n’est qu’on supprime la limite de 20 % du montant des primes ou pénalités fixé par l’éco-organisme. Derrière un exposé des motifs très politiques et très ambitieux, il n’y a finalement qu’un article qui vient modifier un texte bien connu de la REP résume-t-elle.

Le non‑respect de la REP par une entreprise étrangère n’interdit pas la mise sur le marché des produits en France” 

Les députés l’avaient annoncé en toute transparence : ces propositions de loi ont vocation à s’appliquer à des firmes étrangères ultra polluantes qui inondent le marché avec des produits non conformes aux normes de sécurité et sanitaires européennes. Des produits pointés du doigt pour leur fabrication dans des pays dépourvus de protection des travailleurs et de l’environnement. Au Bangladesh, dont 59% des exportations textiles arrivent sur le marché européen, le salaire avoisine les 0,32 cents US$/heure. Ce pays fut d’ailleurs le théâtre du drame du Rana Plaza en 2013 à l’origine du devoir de vigilance. À l’Assemblée, des noms sortent : Shein, Temu, Primark, Uniqlo, H&M et Zara. Quoique ce dernier aurait rehaussé la qualité de ses produits et lancé une seconde main pour se démarquer des mastodontes asiatiques. Emmanuelle Brunelle se dit “circonspecte” sur l’application effective du dispositif d’écomodulation aux entreprises étrangères compte tenu de l’obligation, dans la version actuelle du texte, de désigner un mandataire en France pour assurer le respect de ses obligations en matière de REP. La rapporteure de la proposition adoptée le 14 mars prévoit de renforcer les pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRG).

Quant à la direction générale de la prévention des risques (DGPR), elle a confié lors de son audition par la rapporteure de la proposition de loi visant à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile qu’un certain nombre d’entreprises installées à l’étranger respectaient leurs obligations en matière de REP en France, mais qu’à défaut, il était impossible pour les autorités françaises de les poursuivre. “Le non‑respect de la REP par une entreprise étrangère n’interdit pas la mise sur le marché des produits en France. Une telle interdiction nécessiterait une disposition juridique au niveau européen”, peut-on lire dans le rapport de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur la proposition de loi. Faut-il en conclure que la France pourrait adopter un nouvel instrument juridique qu’elle n’a pas les moyens de faire fonctionner ?

Changer les habitudes de consommation

L’objectif du texte est louable : le système de primes a vocation à valoriser l’industrie propre et la bonne gestion des déchets, selon Emmanuelle Brunelle. Mais dans les faits, ce ne sont pas les entreprises de la fast fashion qui y seront effectivement soumises ni les habitudes du consommateur qui s’en trouveront modifiées, perdant de vue l’objectif initial”. Les consommateurs, c’est d’ailleurs la ligne de défense de Shein. Sa porte-parole en France, Marion Bouchut déclare que le seul impact de cette proposition de loi, c’est de dégrader le pouvoir d’achat des Français. Côté législateur, on assume sa position. L’idée derrière ces mesures c’est de “créer des incitations au changement à la fois de la part des producteurs s’ils internalisent la hausse de l’écocontribution et pâtissent d’une augmentation de leurs coûts et de la part des consommateurs s’ils voient les prix de vente augmenter”. Comprendre : il faut pousser les consommateurs à acheter moins et mieux (français notamment). Seulement 3 % des 9 millions de produits textiles vendus chaque jour en Hexagone sont made in France. Cela représente moins de 1,5 article sur les 48 achetés en moyenne par chaque français en 2022.

Anne-Laure Blouin

 

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