Premier rapport bisannuel 2022/2023 sur la protection des lanceurs d’alerte en France : ses rédactrices, la défenseure des droits Claire Hédon et son adjointe Cécile Barrois de Sarigny, souhaitent améliorer le soutien apporté aux lanceurs d’alerte et la visibilité du dispositif.

Assurer l’effectivité du dispositif des lanceurs d’alerte, “c’est tout l’enjeu d’une société qui a compris que la protection des lanceurs d’alerte était devenue un nouveau pilier de notre édifice démocratique,” explique Sylvain Waserman le député qui a donné la loi qui améliore le système français. La défenseure des droits Claire Hédon et son adjointe Cécile Barrois de Sarigny l’ont passé au crible dans le premier rapport bisannuel 2022/2023. But de l’exercice : faire le point sur les forces et les faiblesses du dispositif hexagonal. Comme elles l’indiquent dans leur édito, s’assurer du respect des droits et libertés des lanceurs d’alerte est un défi récent pour le défenseur des droits. Et si “un tournant a été pris par le droit des lanceurs d’alerte”, il y a encore du travail. À commencer par une problématique redondante du rapport : l’insuffisance persistante de la communication sur le dispositif et la promotion du statut de lanceur d’alerte.

Une position partagée par Laurence Fabre, responsable du secteur privé et des programmes de l'enseignement supérieur à Transparency international France, qui pointe le manque de visibilité et de pédagogie du dispositif “pour en faire un véritable outil citoyen et responsable au service de l’intérêt général”. Depuis que l’ONG est habilitée à recevoir des signalements, elle n’a pas vu son nombre d’alertes croître, à l’opposé de celles portées à des autorités externes comme l’Agence française anticorruption. La loi ne suffit pas à instaurer la culture de l’alerte. Il faut instaurer “une pédagogie grand public (…) plus haut niveau de l’exécutif, dans le cadre d’un pilotage global de la lutte contre la corruption”. A fortiori à l’heure où les sociétés européennes connaissent une vague inédite d’un narcotrafic surpuissant, facteur de corruption et de blanchiment.

 

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“Pour les associations, dont le rôle joué dans la dénonciation des problèmes environnementaux ou de santé publique est considérable, cette possibilité pourrait revêtir une importance primordiale”

En deuxième place des onze recommandations préconisées par le duo Claire Hédon-Cécile Barrois de Sarigny pour améliorer le dispositif, celle d’étendre la protection aux personnes (syndicats, associations ou les organisations non gouvernementales) qui lancent l’alerte. Refus de subvention, d’agrément, engagement de leur responsabilité civile ou pénale… Les potentielles représailles dissuadent des organismes pourtant dotés d’une connaissance aiguë de leur domaine d’action, qui pourraient devenir des lanceurs d’alerte redoutablement efficaces selon la défenseure des droits. “Pour les associations, dont le rôle joué dans la dénonciation des problèmes environnementaux ou de santé publique est considérable, cette possibilité pourrait revêtir une importance primordiale.” Le statut de facilitateur ouvert aux personnes morales depuis 2022 pêche par manque d’efficience. Il n’a d’ailleurs jamais été utilisé. Le facilitateur n’existe qu’aux côtés de celui qui lance l’alerte et qui assume les risques de représailles. Laurence Fabre considère toutefois le statut de facilitateur créé par la réforme de 2022 comme “essentiel”, les syndicats et les associations constituant “un appui indispensable qui rompt [l’]isolement” du lanceur d’alerte. Pour elle, leur formation mérite d’être renforcée.

Autre réclamation : prévoir un dispositif d’alerte propre aux domaines de la sécurité nationale et au secret défense. La loi Sapin 2, qui les exclut du champ d’application de la loi, est allée à contre-courant de la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui estime que la divulgation d’informations sur les pratiques des forces armées est valable si elle préserve l’intérêt général. Privés du cadre protecteur des lanceurs d’alerte, les individus qui voudraient tirer la sonnette d’alarme en matière de sécurité ne pourraient le faire qu’en révélant au grand public des informations qui devraient rester secrètes. Ce qui expose à la fois les lanceurs d’alerte et les autorités publiques.

Soutien financier pas à la hauteur

En tout, la défenseure des droits a enregistré 394 demandes de lanceurs d’alerte pour 2023, dont la moitié venait du secteur privé. Elle n’en avait reçu que 127 en 2022. L’an dernier, elle a reçu 168 demandes de défense contre les représailles, contre 60 pour 2022. Preuve que le défaut de visibilité du dispositif n’a pas fait obstacle à l’épanouissement de l’institution dans les missions qu’elle a obtenues de la réforme de 2022 de transposition de la directive européenne (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 (possibilité d’intervenir au bénéfice de tous les lanceurs d’alerte, les facilitateurs, de rendre un avis sur la qualité de lanceur d’alerte afin de le protéger en amont contre les représailles, d’orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes, traitement d’alertes qui relèvent de sa compétence…).

Claire Hédon et Cécile Barrois de Sarigny insistent tout au long du rapport sur la nécessité d’apporter un réel soutien financier et psychologique aux lanceurs d’alerte par, notamment, la création d’un fonds de soutien des lanceurs d’alerte et la mise en place d’un accompagnement psychologique. “L’aide financière prévue par la loi, hors contexte contentieux, ne couvre que les situations les plus tragiques (‘gravement détériorées’).” Laurence Fabre est du même avis : le soutien financier et psychologique, prévu par la loi, “fait cruellement défaut”. “La figure du lanceur d’alerte ne pourra émerger que si, au plus haut niveau, les leviers de sa protection financière et psychologique sont activés.” La France devrait prendre exemple sur ses voisins européens comme la Belgique qui oriente les lanceurs d’alerte vers des psychologues partenaires et règle les frais de consultation, ou l’Irlande où Transparency International assure le soutien moral des lanceurs d’alertes.

Gage de crédibilité

Une fois n’est pas coutume, le millefeuille législatif et réglementaire est également pointé du doigt. Pour l’ancienne journaliste et l’ancienne maître des requêtes au Conseil d’État, il faudrait coordonner le dispositif du lanceur d’alerte à l’obligation faite aux dirigeants des grandes sociétés et des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) de mettre en place des procédures pour prévenir et détecter la commission en France ou à l’étranger des faits de corruption ou de trafic d’influence. En plus d’être un outil précieux pour prévenir les atteintes à la probité, c’est “un gage de crédibilité, souligne l’AFA, les lanceurs d’alerte pouvant être tentés de saisir une autorité externe de recueil des signalements si le dispositif d’alerte interne n’inspire pas confiance”. Le rapport recommande un suivi des dispositifs Sapin notamment avec l’évaluation du taux des entreprises et des administrations à jour de leurs obligations de mise en place d’un dispositif de recueil des alertes internes. Et pourquoi pas, d’assortir ce contrôle de sanctions.

Du côté des 41 autorités externes de recueil des signalements (AERS), Claire Hédon et Cécile Barrois de Sarigny suggèrent de revoir les dispositions relatives aux conditions d’organisation et de fonctionnement des AERS et celles du recueil et du traitement des alertes. Chez certains, les moyens font défaut. C’est le cas de la Haute Autorité de santé qui n’a ni compétences d’investigation ni pouvoir de sanction. À l’inverse, la désignation de l’Établissement français du sang, opérateur avant tout, questionne. D’autres relais mériteraient leur place dans la liste des AERS : les agences régionales de santé, les caisses primaires d’assurance maladie ou l’Agence nationale de sécurité du médicament. Point positif à noter sur la désignation de cette quarantaine d’autorités : elle s’est traduite par une augmentation sensible du nombre des alertes. Un “signe encourageant pour le fonctionnement du dispositif”.

Depuis qu’elle peut répondre à des demandes de certifications – qui revient pour elle à donner un avis au lanceur d’alerte sur son statut et la protection dont il peut bénéficier –, la défenseure des droits a reçu 120 demandes (80 rien que pour 2023). Parmi elles, celles de deux infirmières qui avaient remonté à leur employeur des faits de maltraitance commis sur les résidents d’un Ehpad, celle d’un agent public inquiet des conditions dangereuses de stockage de produits chimiques au sein d’un établissement scolaire ou celle encore du fils d’une résidente d’un Ehpad qui avait dénoncé à plusieurs reprises des faits de maltraitance et des défaillances dans la prise en charge des résidents de cet établissement. Des Snowden tous les jours.

Anne-Laure Blouin

Crédit photo : art-institute-of-chicago-8GnB_yOShaU-unsplash

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