Le 8 novembre dernier, Didier Migaud listait à Marseille les mesures de son ministère pour muscler la lutte contre la corruption et le narcotrafic en France. Augmentation du nombre de magistrats, création d’un parquet national, d’un statut de repenti… Le garde des Sceaux reprend les engagements de son prédécesseur.
Crime organisé : le garde des Sceaux veut renforcer de 40 % les effectifs du parquet de Paris
Selon Europol, 60 % des réseaux de la criminalité organisée passent par le chemin de la corruption pour infiltrer le secteur public et les entreprises privées. Et in fine poursuivre des activités légales, blanchir leur argent sale et “exercer une influence sur certains secteurs économiques et sur les décisions des administrations publiques en leur faveur” selon un rapport sénatorial du 14 février 2024 sur la corruption dans l’Union européenne. Le 8 novembre, à Marseille, le garde des Sceaux a annoncé une série de mesures pour renforcer la lutte en la matière. Avec la montée des faits divers liés à la criminalité organisée, les équipes de la place Vendôme planchaient sur le sujet depuis quelques mois. Au programme : plus de juges, des dispositifs carcéraux, et une amélioration du régime des “balances” avec un statut de collaborateur de Justice.
Langage de vérité
“La criminalité organisée est multiforme, grandissante, tentaculaire… Elle touche des innocents et sape les fondements de notre République.” Didier Migaud donne le contexte avant d’annoncer la couleur aux côtés du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau : le dispositif de lutte contre la criminalité comportera un grand nombre de mesures, la plupart se situant dans la droite ligne de ce que proposait son prédécesseur Éric Dupond-Moretti. Des mesures de prévention de la corruption, notamment, pour éviter que les trafics ne “prennent appui sur les entreprises comme sur les administrations”. Pour de plus amples informations, il faudra attendre la publication du nouveau plan anticorruption élaboré par l’Agence française anticorruption (AFA) dirigée par Isabelle Jégouzo. Autre axe : les outils numériques “qu’il faut bien plus utiliser et développer” pour muscler les moyens d’enquête. Il y a aussi les investigations financières, qu’il faut rendre systématiques, pour permettre aux enquêteurs de démanteler les rouages financiers des organisations criminelles. L’ancien patron de la Cour des comptes fait un appel du pied à ses partenaires européens et internationaux, qu’il faut mobiliser davantage pour ne pas perdre la piste des criminels qui franchissent les frontières de France. Le ministre jette une œillade aux États refuges – comme Dubaï – pour obtenir davantage d’entraide notamment en matière d’extradition, et promet de leur parler “un langage de vérité”, comprendra qui pourra. En tout cas, les magistrats de liaison en poste à l’étranger devraient bénéficier du renfort d’assistants dédiés à la saisie des avoirs criminels. La France va envoyer un quatrième magistrat consacré à la criminalité organisée au sein de la machine de l’Union européenne.
De la base au sommet
Didier Migaud poursuit l’ambition d’Éric Dupond-Moretti de créer un parquet national spécialisé. Il faudra toutefois en passer par le Parlement, qui devra légiférer pour donner naissance à cette nouvelle juridiction. Aujourd’hui, le contentieux de masse de la criminalité organisée concerne tous les parquets. Didier Migaud dénonce l’inefficacité de l’organisation existante, le triptyque de la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et de toutes les autres juridictions (InfraJIRS). C’est un manque de communication qui sabote leur travail. Le ministre annonce donc une obligation de chaînage et de transmission systématique de l’information de “la base au sommet” – des parquets locaux, jusqu’aux JIRS au niveau régional et à la Junalco au niveau national. Cela passera par un système d’information appelée Sirocco. Le tout chapeauté par un une cellule de coordination nationale installée au “sommet” – le parquet de Paris aujourd’hui le futur parquet national demain. Cette cellule comptera des magistrats et des représentants des ministères de l’Intérieur, des Finances, et des analystes criminels. À Paris, le parquet devrait voir ses équipes travaillant sur la lutte contre la criminalité organisée au niveau national augmenter de 40 %. Une hausse en phase avec les annonces de Dupont-Moretti, qui avait obtenu dans la loi de programmation pour la justice adoptée en octobre 2023 la création de 1 500 postes de magistrats, 1 800 greffiers ou personnels de greffe et 1 100 attachés de justice. Le budget raccourci par le projet de loi de finances de près 500 millions – plafonnant alors à 10,24 milliards d’euros, en dessous des objectifs de la loi de programmation de la justice –, Didier Migaud avait brandi la menace de la démission. Il a finalement récupéré 250 millions pour son ministère début novembre.
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Saisir plus
Le ministre ancien député socialiste a également promis la création de cinq postes de juges supplémentaires à Paris avec en prime une consolidation de l’équipe autour des magistrats. “Je veux donner les moyens de juger.” Il veut également se donner les moyens de punir avec la mise en place d’un dispositif de détection fine des profils de détenus du haut du spectre. Toujours dans les prisons, on prévoit la création de quartiers spécifiques pour empêcher la poursuite de l’activité criminelle depuis les murs des cellules. L’ancien ministre de la Justice expliquait dans un entretien à la Tribune en avril 2024 que sur plus de 120 cellules fouillées – soit 250 détenus –, 72 téléphones portables, 16 cartes SIM, 750 grammes de stups et 25 clés USB avaient été dénichés. Enfermer les criminels ne suffit pas, pour le ministre, il faut les frapper au portefeuille, en renforçant les possibilités de saisie et confiscation judiciaire pour rendre le crime moins rentable. Avec les opérations “Place Nette” – jugées décevantes sur le plan judiciaire par le rapport sénatorial sur la lutte contre la criminalité organisée – lancées à la fin 2023, les autorités avaient saisi plus de 20 millions d'euros. Ce rapport pointe une “décorrélation entre le chiffre d'affaires du narcotrafic et les confiscations”. Les saisies ne représentent que 14 % du total des saisies opérées par la police et la gendarmerie en 2023. Ce qui revient à quelque 117 millions d'euros, si peu face aux 3,5 milliards d'euros annuels (estimation basse) que le trafic représente.
Dans le sillon de son prédécesseur, là encore, Didier Migaud propose d’améliorer le régime des repentis et de leur fournir un nouveau statut de collaborateur de Justice, qui couvrirait de nouvelles infractions, avec des niveaux de peine plus incitatifs. Éric Dupond-Moretti, inspiré par nos voisins italiens dont le statut de repenti a octroyé de grandes victoires judiciaires contre la mafia, l’avait proposé au printemps dernier.
Côté avocats, on s’inquiète de la mise en place des “dossiers coffres”, déjà évoqués devant la commission sénatoriale sur le sujet et qui questionnent sur les droits de la défense. Ces dossiers permettraient de passer sous silence à la Défense certains éléments du dossier pénal.
Anne-Laure Blouin