French Tech : l'important n'est pas la chute mais l'atterrissage
Mais que se passe-t-il dans la tech ? Sujet de tous les fantasmes il y a encore quelques mois, le secteur connaît depuis la fin d’année 2022 un hiver qui n’en finit plus. Instabilité géopolitique, hausse des prix de l’énergie et des matières premières qui en ont découlé, hausse des taux d’intérêt pour tenter d’endiguer une inflation galopante difficilement maîtrisable, les raisons sont légion. Au vu de ces conditions macroéconomiques délicates, les fonds d’investissement et leurs LP’s se trouvent dans une logique de gestion de leurs portefeuilles plutôt que dans une frénésie d'investissement. La preuve avec les chiffres des levées de fonds en 2023. En France, les montants levés ont baissé de 34% et la valeur du ticket moyen de 36%. À l’échelle européenne, ces baisses sont respectivement de 28% et 31%. Au sein de l’Hexagone, la start-up Verkor, productrice de batteries pour voiture électrique, représente avec son tour de table de 800 millions d’euros, 45% des montants levés au second semestre.
Défaillances à la pelle
Selon la Banque de France, les défaillances des petites entreprises ont augmenté de 63,8% entre décembre 2022 et décembre 2023 et celles des moyennes entreprises de 64,8% sur la même période. Pêle-mêle, dans la tech, on peut citer les sociétés Luko, Bioserenity, Frichti- Gorillaz ou encore Masteos toutes placées en redressement judiciaire. Le cas de cette dernière est symptomatique. Après avoir levé 50 millions d’euros depuis sa création en 2019, l’entreprise spécialisée dans l’investissement locatif pour particuliers a subi de plein fouet la crise de financement et celle de tout le secteur de l’immobilier. Entre 2022 et 2023, elle a licencié 64% de ses effectifs, avant de demander son placement en redressement judiciaire pour tenter d’éponger ses dix millions d’euros de dette. À l’aune de cette nouvelle année, c’est un tout nouveau paradigme que doit apprendre la tech.
Des entreprises comme les autres ?
Plus qu’un marché en perte de vitesse ou une crise latente, c’est un contexte inédit auquel est confronté le secteur, comme d’autres ont connu dans le passé avant de rebondir. Après avoir couru après les levées de fonds, dans une frénésie de "cash à gogo", les start-up doivent apprendre à délivrer leur business model avant de trouver d’autres financements. Pour Clément Petit, directeur financier de Back Market, champion français du reconditionnement, qui fait partie du cercle convoité des licornes françaises, ces entreprises doivent adopter une vision à plus large échéance : "Nous passons d’une économie de croissance à outrance à une période plus modérée, où les entreprises doivent être profitables. Il ne suffit pas de briller à court terme, il faut voir à long terme pour se pérenniser et trouver un équilibre entre croissance et profitabilité."
Les start-up doivent désormais apprendre à délivrer leur business model avant de trouver d’autres financements
Un travail de sensibilisation auprès de ces jeunes entrepreneurs est aussi indispensable. Ces derniers peuvent voir les procédures amiables comme une antichambre du dépôt de bilan, alors qu’environ 70 % de ces mesures ont une finalité positive selon la Banque de France. C’est ce que confirme Juliette Bour, counsel dans le cabinet d’avocats Bersay et experte en procédures préventives et collectives complexes : "Nous devons dialoguer avec ces jeunes structures pour leur expliquer que les procédures préventives confidentielles ou publiques ne sont pas une fin en soi mais un outil pour favoriser le rebond. Notre objectif n’est pas d’ajouter de la complexité à celles existantes mais bien de les aider à surpasser leurs difficultés en leur permettant de leur donner les moyens d’y parvenir." Après avoir profité d’un marché euphorique qui permettait des levées de fonds exceptionnelles, ces chefs d’entreprises modernes doivent aujourd’hui apprendre à piloter au milieu des turbulences en actionnant les leviers à leur disposition. Un effort d’autant plus important que les experts du secteur prévoient plutôt une débâcle de la tech qu’une accalmie pour 2024.
Tom Laufenburger