Depuis près de trente ans, SQORUS, société de conseil, accompagne ses clients sur l’ensemble de leurs projets de transformation digitale. Mathieu Flaig, directeur stratégie RH & transformation, et Dounia Aizel, senior manager data, analytics & IA, font le point sur la gestion de la data RH au sein des entreprises.

Décideurs : Pourquoi vous êtes-vous emparés de la thématique des ressources humaines et de la gestion des data RH ?

Dounia Aizel. Nous accompagnons nos clients dans la transformation de leur fonction RH depuis plusieurs années et nous avons vite compris que la data devenait un pilier central dans cette transformation. De ce fait, nous avons effectivement une spécialisation concernant la data RH. Depuis quatre ans, nous élaborons des cas d’usage incluant l’IA pour les ressources humaines sur des thématiques comme l’attrition des talents, l’analyse des écarts de rémunération entre hommes et femmes, et l’analyse des comportements pour améliorer l’expérience utilisateur. Nous sommes actuellement en train de développer une solution consacrée à la Gestion des emplois et des parcours professionnels (Gepp).

Mathieu Flaig. Il est rare que les entreprises maîtrisent suffisamment la gestion de l’analyse de la data. Nous avons rapidement été convaincus qu'elles avaient besoin d’être accompagnées pour choisir et travailler leur modèle de data RH. Nous traitons ces problématiques tant du côté fonctionnel que technique, avec nos équipes conseil RH et IT.

Décideurs : Où en sommes-nous actuellement ? Percevez-vous des freins à l’appropriation de la data RH au sein des entreprises ?

M. F. La première étape pour les entreprises concerne l’acculturation à la data. Les directions des ressources humaines n’ont pas systématiquement été formées à l’adoption d’une culture inspirée par la data. Par la suite, il y a un enjeu de formation des opérationnels, mais aussi de vision. Les ateliers de formation doivent répondre aux défis d’une acculturation globale, mais aussi à des besoins précis au sein des entreprises, selon leur culture, leur business model, leur structure organisationnelle…

D. A. Ce que je constate, c’est la tendance à confier le sujet de la data aux opérationnels, qui ont en plus dans leur fonction une partie data. Cela limite énormément l’usage qu’il est possible d’en faire. La première étape est l’organisation de la fonction RH autour du sujet. Ensuite, il faut bien responsabiliser les équipes et s’assurer que la politique adoptée imprègne l’ensemble de l’organisation pour être influente et impactante. Il faut également s’assurer d’avoir des données de qualité afin de pouvoir les traiter par la suite. Quelles données sont nécessaires ? Comment assurer le suivi de celles-ci ? Ce sont des étapes clés.

"Le sujet de la data RH est l’occasion pour les DRH de renforcer leur place stratégique au sein du comité de direction" - Dounia Aizel

M. F. Il existe en effet un cloisonnement au sein des organisations, souvent très silotées, et qui n’ont pas forcément un SIRH unifié. Même pour les structures décentralisées, la gouvernance de la donnée doit être centralisée pour avoir un impact sur la performance de l’entreprise.

Décideurs : Quels conseils donnez-vous à vos clients ?

M. F. Beaucoup de croyances persistent autour de la donnée et de l’intelligence artificielle. Il faut développer un esprit critique sur ce qu’il est possible de lui attribuer. Un partenariat entre l’IA et l’humain doit se créer. L’IA offre la possibilité de réaliser d’autres choses, d’être augmenté dans ses capacités quotidiennes, mais cela ne doit pas se faire aux dépens de l’intuition et de la vision. Le traitement des data offre certains indicateurs qui favorisent la performance et le retour sur investissement, mais le business se fait également par ce qui relève de l’intuition et de la vision humaine.

D. A. Je conseille d’adopter une approche très pragmatique dès le début de la mise en place d’une stratégie de gestion de data RH. Il faut créer une feuille de route avec des objectifs clairs. Pour que les RH trouvent, via la gestion de la data, une place stratégique en entreprise, il est nécessaire de pouvoir apporter rapidement à la data de la valeur sur des cas concrets mais aussi sur le long terme. Il ne s’agit pas uniquement de produire des dashboards, qui peuvent rester inutiles s’ils ne sont pas adressés à la bonne cible.

M. F. Connaître ses objectifs est la première étape indispensable. Si le big data a beaucoup occupé le débat public ces dernières années, nous constatons aujourd’hui une approche plus pragmatique et centrée sur un objectif à réaliser : améliorer l’expérience collaborateur, le recrutement, etc. La finalité du traitement de la data n’est pas son analyse mais le besoin de performance auquel elle répond. Nous travaillons donc avec nos clients sur des solutions sur mesure et lisible.

Décideurs : Comment percevez-vous l’IA générative ?

M. F. Nous utilisons l’IA depuis de nombreuses années. Ce qui change quand elle est générative est notre interaction avec elle, avec sur le chemin un risque d’"hallucinations IA". Le taux d’erreur de ChatGPT 3.5 était particulièrement important. Actuellement, le taux d’erreur de ChatGPT est d’environ 10 %, ce qui soulève de nombreuses questions quant à son utilisation dans la vie professionnelle. Il faut en faire un outil accessible et cadré, conditionné à certains usages. Concernant le risque qu’elle remplace des salariés, ce n’est pas nécessairement l’objectif des entreprises que nous accompagnons. Mais cela peut par contre freiner des recrutements à venir, du fait des gains de productivité qu’elle promet.

"Face à l’intelligence artificielle et ses errements, il est impératif de renforcer notre pensée critique" - Mathieu Flaig

D. A. Il faut également éviter de croire que le traitement de la data RH et de l’IA est réservé spécifiquement aux grandes entreprises. Toutes les entreprises peuvent créer de la valeur avec de la data et de l’IA, et des solutions sont actuellement disponibles pour correspondre aux besoins spécifiques d’organisations de toutes tailles.

M. F. En complément, nous avons les sujets de la qualité de la donnée et de sa sécurisation, qui sont centraux dans les réflexions actuelles. Par exemple, Copilot, développé par Microsoft, ne peut pour le moment garantir à 100 % le respect de la propriété intellectuelle, même si en contrepartie il promet un environnement sécurisé et maîtrisé par rapport aux autres solutions d’IA. Un regard critique doit aussi être posé sur les éditeurs qui utilisent l’IA, car leurs usages et niveaux de réflexion sont très divers : certains intègrent en réalité des modèles type ChatGPT, d’autres développent leurs propres modèles, et ce n’est pas toujours parfaitement transparent.

Il ne faut pas à mon sens courir inutilement derrière l’IA sans savoir ce qu’il est souhaitable d’en faire. Le sujet de la data RH est stratégique et doit être abordé ainsi.

E.G.

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