Bruno Chabas a été patron de SBM Offshore pendant douze ans. Avant de passer trente années à la direction générale de boîtes internationales, il a été joueur de basket en espoir d’une équipe de Pro A, puis joueur en première division de basket. Gérald Bouhourd a été expatrié sur différents continents au cours de sa carrière. Il y a maintenant six ans, il a co-fondé C&S Partners, cabinet de conseil en leadership. Dans sa jeunesse, il a été sportif de haut niveau et espoir. Il continue de vivre sa passion pour le golf en s’impliquant d’auprès d’une équipe de joueurs professionnels : la C&S Golf Team. Les deux amis reviennent ensemble sur les similitudes entre le sport et la direction d’entreprise.

Vous qui avez été sportifs de haut niveau et dirigeants en entreprises, quelles similitudes et différences avez-vous pu constater ?

Gérald Bouhourd. Parmi les principaux traits communs entre les dirigeants et les sportifs, je citerais l’esprit de compétition, la capacité d’apprendre et la nécessité de prendre des décisions. La différence majeure concerne la gestion des échéances : les sportifs passent beaucoup de temps à s’entraîner avec finalement très peu de moments de compétition qui sont planifiés à l’avance alors que les dirigeants sont toujours sur le terrain avec beaucoup moins de temps pour se préparer, notamment pour des activités qui n’étaient pas planifiées. Toutefois, si le dirigeant n’a pas le luxe de s’entraîner autant qu’un sportif, il y a tout de même une logique d’apprentissage qui permet de progresser et de se démarquer.

Bruno Chabas. Au travail comme dans le sport, avoir un esprit de compétition est un atout qui nous pousse à être meilleur et se surpasser. La fonction de dirigeant est à mon sens plus diversifiée que celle de sportif qui requiert une préparation centrée sur la répétition, ce qui peut parfois s’avérer répétitif même s’il faut pouvoir apprendre en toute circonstance. C’est cette part d’apprentissage, dans des domaines très variés, qui m’a intéressée en tant que dirigeant : découvrir de nouvelles façons de surmonter les difficultés constitue indéniablement la partie la plus valorisante du métier.

Qu’en est-il de la notion de performance ?

B.C. Que ce soit en tant que sportif ou dans la vie professionnelle, la mesure de la performance par la donnée est essentielle. L’usage des statistiques s’est beaucoup développé avec la puissance informatique qui a permis de rendre les performances plus transparentes. Au basket, les données statistiques des joueurs et de l’équipe sont relevées et utilisées depuis très longtemps et je me souviens que nous nous appuyions beaucoup dessus pour progresser.  Je pense que le sport a été précurseur sur le sujet par rapport à l’entreprise.

G.B. Je suis d’accord avec Bruno sur le fait que l’entreprise s’est inspirée du sport. Les sportifs bénéficient d’un nombre de statistiques impressionnant qui leur permet de savoir comment ils se situent par rapport au champ de joueurs, si on prend l’exemple du golf. Et ces data sont cruciales tant pour les joueurs que les coachs. Il y a toutefois une différence entre les sports individuels comme le golf et collectifs comme le basket, où l’exploitation des données est encore plus complexe car devant prendre en compte une dimension de dynamique d’équipe – et donc une certaine dose de subjectivité.

B.C. Effectivement, si les données sont importantes, il faut tout de même garder à l’esprit que la culture de la structure dans laquelle les individus évoluent est essentielle, que ce soit dans le sport ou le travail. Même s’il est possible d’obtenir de bons résultats avec une mauvaise culture, l’esprit d’équipe permet aux membres d’un collectif de se dépasser en se dépensant les uns pour les autres.

Vous évoquez tous les deux l’importance du collectif : peut-on faire un parallèle entre la fonction de dirigeant d’entreprise et celle de coach ?

G.B. Le sport collectif fonctionne comme un comité exécutif. Le dirigeant d’entreprise, à l’image du coach, joue un rôle essentiel. C’est à lui de sélectionner les bons individus pour chaque mission afin d’obtenir les meilleurs résultats en intimant à chacun de travailler sur tel ou tel point. Dans un article publié il y a quelque temps, Hogan évoquait Didier Deschamps en parlant de son coaching moderne car, en tant que sélectionneur de l’équipe de France, ce dernier a réussi à créer une interdépendance où chaque membre de l’équipe apporte ses qualités tout en se rendant dépendant des autres.

B.C. La mission du coach, comme celle du dirigeant, est de composer la meilleure équipe possible et de la faire progresser. En tant que dirigeant d’entreprise, j’ai beaucoup appris de mes entraîneurs qui, de façon contre-intuitive, nous faisaient travailler sur nos points forts plutôt que sur nos points faibles. Le reste de l’équipe était chargé de compenser les faiblesses pour se tirer les uns et les autres vers le haut. Il faut évidemment prendre en compte les performances individuelles mais surtout les qualités et les défauts des membres du collectif ainsi que les affinités respectives. L’exemple le plus parlant qui me vient en tête est celui de la coupe du monde de football en 1998 pour laquelle Éric Cantona, alors meilleur joueur du monde, n’est pas sélectionné par le staff technique pour faire primer l’esprit d’équipe. Un choix qui s’est avéré payant…

Quelle est, selon vous, la qualité primordiale à avoir dans les deux cas ?

B.C. Dans les deux fonctions, c’est à mon sens la capacité à prendre des décisions, surtout concernant l’humain. Même si c’est difficile à accepter, ne pas faire jouer un joueur ou ne pas promouvoir un collaborateur peut être une bonne chose à faire, pour l’équipe comme pour l’individu lui-même, qui n’a aucun intérêt à jouer un rôle pour lequel il n’est pas fait ou prêt. La prise de risque est toujours délicate et doit inévitablement être compréhensible pour tous mais elle constitue aussi la part de plaisir que je ressentais dans le sport.

G.B. Je suis d’accord dans la mesure où ce qu’on reproche souvent à un dirigeant c’est de ne pas prendre de décision. Je pense qu’il vaut mieux prendre une mauvaise décision maintenant qu’une bonne longtemps après. Il faut savoir prendre des risques au bon moment, que ce soit pour le sportif, le coach ou le dirigeant.

En quoi le fait d’avoir été sportif de haut niveau peut aider à mieux gérer les défaites ?

G.B. Dans le golf, j’ai souvent entendu qu’il est impossible de gagner sans avoir appris à perdre. L’échec ne doit pas être une fin en soi et le sport peut aider à avoir la bonne attitude dans ces situations, à savoir chercher en soi les raisons de la défaite plutôt que de blâmer les circonstances ou des facteurs extérieurs.

B.C. Les défaites permettent d’être résilient, une qualité fondamentale dans le sport comme dans la vie professionnelle. Le basket m’a aidé à développer ma capacité à me remettre de mes échecs afin de pouvoir rapidement en tirer les bonnes leçons.

Nombre de sportifs de haut niveau traversent des épisodes dépressifs après avoir décroché le titre majeur dans leur discipline. Comment maintenir l’envie de performer sur la durée ?

B.C. Sur cette question aussi c’est au coach d’intervenir pour entretenir l’esprit de compétition en apportant du changement. Le turn over qui est omniprésent et que j’ai beaucoup connu dans le sport comme en entreprise, implique de devoir s’adapter à un nouvel environnement et permet de stimuler l’envie de performer.

G.B. Dans le golf ou le tennis, les meilleurs joueurs sont ceux qui ne connaissent pas de phénomène de décompression après une grosse victoire. Ce n’était pas mon cas puisque je vivais une période de relâchement après chaque bonne performance - c’est d’ailleurs à partir de ce critère que j’ai compris que je ne ferai pas de carrière de sportif.

Une défaite et une victoire sportives marquantes ?

B.C. Avec mon équipe de basket de l’époque, nous avons perdu un match qui permettait de passer en Pro B. Je m’en suis voulu parce que je n’étais pas en forme physiquement, je me suis reposé sur mes acquis sans me dépasser. La victoire qui me vient à l’esprit est celle en minime au championnat de rugby en Provence. Nous avons gagné avec un groupe de copains, un moment chargé d’émotions avec un plaisir inimaginable. Ces matchs ponctués d’intenses batailles physiques restent gravées dans nos mémoires, tout comme l’esprit de corps et d’équipe qui se dégageaient.

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