La jeune pousse des multi-family offices fait de la philanthropie l’un de ses piliers. Virginie Duffour, fondatrice de Beelong Family Office, partage sa vision et explique comment les familles peuvent utiliser les outils patrimoniaux afin de souder leur clan, soutenir les œuvres philanthropiques qui leur sont chères, tout en maîtrisant leur fiscalité.
Décideurs. Comment voyez-vous l'évolution de la philanthropie dans le contexte des multi-family offices ?
Virginie Duffour. Nous observons une forte augmentation du nombre de fondations et fonds de dotation en France depuis vingt ans. Les actifs et les dépenses des structures ont été multipliés par quatre, pour atteindre 32 milliards d’euros d’actifs et 14 milliards dépensés pour l’intérêt général, ce qui est très encourageant. Nous constatons en parallèle une volonté grandissante des familles de s’engager. D’un côté, les entrepreneurs ressentent le besoin de "rendre" et de "contribuer" à la société après la cession de leur entreprise, avec le désir de s’engager dans des œuvres philanthropiques. De l’autre, les familles souhaitent créer un projet intergénérationnel et construire une aventure commune afin, entre autres, de souder des liens familiaux.
Quel est votre rôle dans ce contexte ?
Ces aspirations correspondent tout à fait à notre ADN et à nos valeurs et se retrouvent d’ailleurs dans notre nom "Beelong", où l’abeille représente une volonté de s’inscrire dans un environnement plus durable et ainsi de participer au déploiement d’investissements responsables et de projets philanthropiques. Notre rôle est de valoriser ces actions et de faire émerger les désirs philanthropiques de nos clients, puis de les démultiplier grâce à de bonnes stratégies fiscales. Nos clients savent très bien ce qu’ils veulent. Nous pouvons également les orienter vers des associations fédérant d’autres philanthropes et réalisant des opérations de transmission communes.
À quel moment de la relation avec les familles le sujet de philanthropie est-il abordé ?
Nous en parlons le plus souvent possible afin d’arriver au bon moment dans le cheminement de la famille. Concrètement, des opportunités sont à saisir en matière de philanthropie, par exemple au moment d’une cession d’entreprise. Ce moment de vie est charnière pour l’entrepreneur et il peut à cette occasion réaliser un projet philanthropique tout en y associant sa famille.
Le sujet de la philanthropie peut globalement être abordé à tout moment car le droit offre de nombreux outils de structuration pour mettre en place un accompagnement sur mesure des familles. On pourrait notamment citer les donations d’usufruit temporaire, les donations d’usufruit ou de nue-propriété d’immeuble ou le mécanisme du legs avec charge de redonner à un neveu ou une nièce. Les donations de titres de holdings patrimoniales peuvent aussi être des voies privilégiées pour les entrepreneurs. En effet, en fonction de l’objet social des holdings et des montants que l’entrepreneur veut allouer à des projets philanthropiques, il peut être plus intéressant de donner des titres de société à un fonds de dotation plutôt que de réaliser ces dons en numéraire, afin d’optimiser la surface financière du fonds pour remplir sa mission d’intérêt général.
Comment accompagnez-vous vos clients sur leurs projets ?
Nous intervenons sur l’ensemble des dimensions d’un projet afin de trouver le meilleur chemin et réaliser le souhait de notre client, tel qu’il l’a pensé. Notre connaissance approfondie du patrimoine et de la philosophie de la famille nous permet d’être moteur dans l’élaboration de la stratégie globale que nous structurons de concert avec les autres conseils de la famille. Ensuite, nous intervenons dans la construction de la gouvernance et la définition des investissements à réaliser par le fonds de dotation.
Nos clients recherchent pour la plupart des investissements responsables, dont les fruits pourront ensuite nourrir des œuvres philanthropiques. Nous avons le sentiment de contribuer doublement, à la fois en permettant le financement de projets entrepreneuriaux à impact positif, mais aussi par l’utilisation de ces fruits pour faire vivre le projet philanthropique de la famille.
Quel est le type d’investissement d’un fonds de dotation ?
Un fonds de dotation peut réaliser des investissements de manière très large. Néanmoins, le capital n’est pas censé être mis trop à risque, les futurs revenus étant destinés à réaliser des dons. Il n’y a pas d’exigence de rendements élevés. En revanche, la préservation du capital reste prioritaire. Un exemple pourrait être un placement obligataire dans une foncière d’immobilier durable et louant des espaces de co working à des sociétés à impact. Nous rédigeons des chartes d’investissement pour les fonds de dotation afin d’encadrer les pratiques et de faire des appels d’offre auprès de sociétés de gestion.
Comment se structure et fonctionne une action philanthropique ?
Un client peut soit simplement faire des dons réguliers à des associations de son choix, soit créer son propre véhicule. Il existe trois véhicules principaux : la fondation reconnue d’utilité publique - relativement complexe à mettre en place et à faire vivre pour une famille-, les fondations abritées -sous l’égide de fondations abritantes s’occupant de tous les aspects juridiques et comptables - et le fonds de dotation, qui existe depuis 2008 et qui a connu un essor important. On en compte aujourd’hui environ 3 800. Un fonds de dotation est simple à créer, facile à opérer au quotidien et sans contraintes majeures pour les familles, dont c’est le véhicule philanthropique privilégié.
Pourquoi créer sa propre structure ?
C’est un outil intergénérationnel qui permet à une famille de se réunir autour de valeurs fortes et d’un projet commun. Au cœur d’un fonds de dotation se trouvent une gouvernance, des équipes, une stratégie. Des dons isolés, divers et variés, auront beaucoup moins d’impact et la famille aura alors une sensation moins forte d’accomplissement. Par ailleurs, certaines familles communiquent autour de leur fonds de dotation, entraînant avec elles d’autres familles ou organismes. Cet effet boule de neige n’est possible qu’en manœuvrant son propre véhicule.
Comme évoqué plus haut, certains événements patrimoniaux se prêtent particulièrement à la création d’un fonds de dotation, telle une cession, où le client a un intérêt fiscal à donner en une fois un montant élevé, et un intérêt stratégique afin de déployer ces dons et investissements dans la durée. Créer un fonds de dotation nous semble faire sens à partir de 500 000 euros alloués aux œuvres philanthropiques.
Quel conseil donneriez-vous à une famille cherchant à s’ouvrir à la philanthropie ?
Il est important de connaître en premier lieu la part globale de leur patrimoine qu’ils souhaitent allouer à la philanthropie, puis de savoir s’ils souhaitent y consacrer du temps. Est-ce que cela s’inscrit dans un projet familial global ? Combien de membres de la famille souhaitent s’y investir personnellement ? Est-ce un simple véhicule de transmission ? De quel type de patrimoine s’agit-il ? En fonction de ces éléments, nous construisons une stratégie et sollicitons des experts pour la mettre en place.
Comment Beelong s'implique-t-il dans la philanthropie ?
Nous reversons au moins 1 % de notre chiffre d’affaires à des associations et œuvres philanthropiques, choisies par nos collaborateurs, en privilégiant actuellement l’efficacité des dons. À terme nous pourrons envisager de créer notre propre véhicule afin de fédérer autour de nous d’autres acteurs et ainsi démultiplier l’impact de nos actions. Nous faisons d’autre part du mécénat de compétence auprès de fonds de dotation.
Que faire pour améliorer davantage l’accès à la philanthropie ?
L’économie d’impôt sur le revenu est de 66 % du montant des dons dans la limite de 20 % du revenu imposable. Malheureusement les plus-values à la flat tax ne sont pas comprises dans ce revenu imposable, il serait bon de les y intégrer. Pour mémoire, les dons IFI permettent une réduction de l’IFI à hauteur de 75% des sommes versées dans la limite de 50 000 euros : quand on bénéficie du mécanisme du plafonnement de l’IFI, le don ne permet aujourd’hui aucune réduction, ce qui est dissuasif pour des donateurs potentiels. Ces quelques mesures incitatives permettraient de faciliter les dons des particuliers.
Propos recueillis par Marc Munier