Face à la recrudescence des fonds ISR et des démarches vertes, essayons d’y voir plus clair avec Nicolas Mottis, Professeur à l’X, administrateur du FIR (Forum pour l’investissement responsable), membre de la commission Climat et Finance Durable de l’AMF, et coordonnateur de l’ouvrage ISR et Finance responsable (Ellipses, 2ème édition, 2022).
Nicolas Mottis (École polytechnique) : "La finance durable est un vecteur fort de soutien à l’innovation"
Décideurs. Comment définiriez-vous l'ISR à quelqu'un qui n'est pas familiarisé avec ce concept ?
Nicolas Mottis. L’ISR concerne des choix financiers, des produits d’investissement, prenant plus fortement en compte les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance, faisant ainsi un effort particulier sur des considérations autres que financières. Pour illustrer les critères ESG, nous pouvons citer les émissions carbones ou la biodiversité pour le "E", le bien-être des salariés et les accidents du travail pour le "S", la lutte contre la corruption et les pratiques du Board pour le "G".
Vous avez publié un ouvrage sur l'ISR et la finance responsable, quels en sont les principaux enseignements ?
Il s’agit de la deuxième édition de cet ouvrage, initialement publié en 2013. Depuis, le champ a explosé, tous les acteurs financiers se sont rués sur le domaine et ont contribué à le développer, ce qui est positif. En revanche, nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas actuellement dans une phase de dilution du concept. Qu’est-ce que l’ISR recouvre aujourd’hui ? On y trouve parfois tout et n’importe quoi.
"La sophistication du champ a énormément progressé, le secteur s’est beaucoup professionnalisé"
Cela étant dit, il faut admettre que certains points ont bien avancé, comme la capacité à disposer de données extra-financières précises, même si c’est encore insatisfaisant. La sophistication du champ a énormément progressé, le secteur s’est beaucoup professionnalisé.
Quels sont ses axes de travail de la Commission Climat et Finance Durable de l'AMF ?
C’est une Commission consultative dont l’objectif est de guider le Collège – l’instance de gouvernance de l’AMF – sur une réglementation qui permettrait de financer les enjeux de transition vers une économie plus durable. Les marchés financiers ont un rôle clé à jouer pour accompagner ce mouvement. Plusieurs travaux ont été menés afin d’éclairer des zones techniques, telles que le reporting carbone pour une entreprise cotée : au-delà de la notion de "Net zero", l’accent est mis sur l’importance de réduire en priorité les émissions brutes. Un autre Mémo a été produit sur les "Say on climate", c’est-à-dire les résolutions soumises au vote des actionnaires sur les trajectoires climat des entreprises. Ces notes sont votées en commission et deviennent publiques si approuvées. Le Collège peut ensuite entériner les recommandations ou pas.
Comment intégrez-vous les concepts de finance durable dans le cursus académique de l’X ?
Je travaille principalement sur le management de l’innovation et le développement de start-up et sur les questions de performance et de gouvernance des entreprises. Les sujets de finance durable et de transition se recoupent souvent avec les innovations technologiques. La finance durable est un vecteur fort de soutien à l’innovation et un outil majeur de pérennité et de compétitivité des entreprises.
Comment voyez-vous l'évolution de la finance durable et de l'ISR dans les prochaines années ?
La France est un des pays à l’écosystème le plus développé et en pointe en matière de finance durable, avec un ensemble d’acteurs présents : asset managers, agences de notation, institutionnels, ONG, laboratoires de recherche… Nous avons beaucoup d’atouts et un vrai potentiel bien qu’un peu plus de volontarisme politique ne ferait pas de mal.
"Du côté de l’épargnant la demande est forte"
Nos responsables politiques ne veulent pas prendre de risques et certains grands groupes restent très frileux sur ces sujets. Du côté de l’épargnant la demande est forte. Il est urgent de répondre plus pertinemment à leurs attentes, notamment à travers des labels qualité ambitieux et à la gouvernance robuste, comme le sont les labels Greenfin et Finansol, mais pas encore le principal, le Label ISR.
Propos recueillis par Marc Munier