[Impacts en série] Régulièrement, 100 Transitions met en avant l’un des membres du Collège des directeurs du développement durable (C3D). Épisode 5 : Marie-Céline Plourin, directrice RSE de Oodrive.
Pouvez-vous présenter Oodrive ?
Oodrive est un éditeur de logiciel français, créé en 2000, spécialisé dans les suites collaboratives. Nous fournissons des solutions qui permettent aux utilisateurs d’éditer des documents, de les partager, les faire signer, les sauvegarder ou même de voter. Le tout dans un espace ultra-sécurisé. Nous sécurisons le cycle de vie complet des données. Ce qui nous distingue cependant d’autres solutions du même genre, c’est l’attention que nous portons aux questions de confidentialité, de conformité et de souveraineté numérique.
Nous souhaitons donner aux organisations les moyens d’établir une confiance numérique durable. Nous nous appuyons sur les plus hautes qualifications en la matière telle que SecNumCloud pour sécuriser nos logiciels collaboratifs et protéger les données sensibles des entreprises françaises et européennes, avec des clients comme Dassault Aviation, Orange, la Société Générale, le ministère des Armées ou MBDA.
Quelles sont les particularités des enjeux RSE pour une entreprise de tech comme Oodrive ?
Ce sont des sujets qui avaient été peu traités. Il y avait bien eu des initiatives en interne mais elles étaient, in fine, limitées par le manque de temps ou de qualifications des employés volontaires pour les mener. Les dirigeants ont bien compris qu’il était temps d’agir plus fort et ont eu l’humilité d’admettre qu’il fallait recruter un expert dont c’était le métier à part entière. Ils ont créé un poste dédié et alloué les moyens nécessaires pour, au-delà d'une simple remise au niveau, devenir exemplaire en Numérique Responsable.
Le numérique est une filière particulière à adresser dans le sens où il demeure une profonde méconnaissance, voire une ignorance des problématiques environnementales liées à la digitalisation. Les trajectoires de numérisation sont constamment conçues en parallèle des stratégies environnementales et de décarbonation, alors que celles-ci sont fondamentalement liées. Ma mission principale est, en définitive, d’allier ces deux approches. Ce projet est d’autant plus marquant lorsqu’on sait une entreprise de logiciels B2B touche plus d’un million utilisateurs finaux chez près de 3500 clients européens. Nos choix ont des conséquences directes sur leur propre impact environnemental.
Une autre particularité majeure est le manque criant de données liées à l’impact réel du numérique, d’un point de vue environnemental. Le premier signal d’alarme conséquent est venu début 2023 d’un rapport de l’Ademe et de l’Arcep, qui ont finement analysé et rendu visibles les impacts de notre industrie.
Quelles sont les actions concrètes que vous avez mises en place ?
Le chantier est vaste ! Avant mon arrivée ; les éléments de langage liés au numérique responsable n’étaient pas mis en place. Et même au niveau national, les acteurs du numérique ne sont pour le moment pas inclus dans les stratégies de décarbonation. Une absence qui devrait heureusement être corrigée en 2024.
Mon plan d’actions s’est tout d’abord construit autour de l’adoption du label sur le numérique responsable, un choix sur lequel les fondateurs et le comex m’ont suivi. Ce label est particulièrement structurant, avec 52 critères qui mobilisent 100% de l’entreprise, depuis les RH qui aident à la montée en compétence jusqu’au marketing qui audité et repris le développement de notre site pour le rendre moins énergivore et accessible. Bien évidemment, les choix technologiques faits à la DSI et nos décisions de conception et de code sont centraux. Ce mouvement a entraîné une réflexion générale à tous les niveaux qui reste pour le moment le fil conducteur de notre action.
Sur le plus long terme, nous intégrons des processus de conception technologique plus sobres et plus responsables mais aussi des actions de sensibilisation vis-à-vis de nos clients et partenaires. Leur faire par exemple comprendre que le stockage illimité ce n’est pas durable et qu’il doit être pensé raisonnablement, mais aussi leur partager des bonnes pratiques pour modifier la façon d’utiliser les services numériques. C’est simple à dire mais c’est un changement de paradigme profond.
"Nous devons aller au-delà des grands engagements sur le papier et savoir comment impliquer plus directement les employés"
Comment ce changement a-t-il été reçu par les équipes ?
Une entreprise est un mini-monde, la réponse n’a donc pas été monolithique, mais d’une manière générale beaucoup de gens sont tombés de leur chaise. Pourquoi ? Parce que ce sont des personnes, passionnées, qui aiment leur métier qui ont été surprises par la découverte de leur propre impact. Avec une question sous-jacente évidente : « Mais qu’est-ce que l’on peut faire ? » Une fois chaussées leurs « lunettes RSE », ils perçoivent leur domaine d’une manière différente et intègrent ces problématiques dans leurs réflexions. Ils s’emparent du sujet dans leurs domaines respectifs et nous les accompagnons dans leurs initiatives. Cela passe parfois par un cadrage pour éviter le hors-sujet, mais pour le moment, notre objectif est de balayer devant notre porte en nous concentrant sur les points sur lesquels nous pouvons avoir le plus d’impact. Par exemple, la DSI a choisi de prolonger la durée de vie de notre parc informatique, mais également de mettre en place une véritable traçabilité des déchets électroniques qui sont particulièrement polluants.
À lire aussi Régis Castagné (Equinix) : "J'ai foi en l'IT même si elle ne suffira pas à elle seule à nous sauver"
Les employés ont-ils des attentes en matière de questions RSE ?
Oui, c’est un cercle vertueux qui se met en place assez rapidement. Après certaines des actions que j’ai mis en place comme la fresque du climat ou du numérique, les employés nous demandent maintenant d’aller plus loin. Ils sont force de proposition sur des points techniques ou de vie de bureau, comme d’organiser des événements de manière plus responsable par exemple. Il existe un effet boule de neige, même si l’on doit bien avouer que tout le monde ne se sent pas toujours concerné, quand bien même tout le monde est désormais informé. D’une manière plus générale, nous devons aller au-delà des grands engagements sur le papier et savoir comment impliquer plus directement les employés. Pour cela, nous devons identifier les compétences et centres d’intérêts de chacun qui peuvent être utilisés, partagés et mis en œuvre.
Quels sont les forces du C3D pour vous ?
J’ai rejoint le C3D depuis 2015 et c’est une structure de référence incroyablement utile. Si vous avez un questionnement, il y a de grandes chances que l’un de vos pairs se soit déjà posé la question et puisse partager ses apprentissages avec vous. Ce qui est incroyable avec le C3D, c’est que les personnes sont collaboratives. Nous ne sommes pas dans la compétition et nous partageons les ressources et connaissances pour progresser. C’est un peu le cercle des directeurs du développement durable anonymes, ou nous partageons aussi bien nos succès que nos grandes déceptions. C’est un état d’esprit trop rare qui mérite d’être salué !
Propos recueillis par François Arias