Connue pour Too Good To Go, Lucie Basch est de retour sur le devant de la scène avec l’ouverture de Climate House. Installé dans le Sentier à Paris, ce lieu accueille entreprises et acteurs de la transition. Elle revient avec nous sur la genèse de l’un des projets les plus en vue du moment dans le petit monde de la transition écologique.
Pourriez-vous commencer par nous pitcher la Climate House ?
L’idée était de se réunir à 80 entrepreneurs en se disant que nous partagions une conviction commune : la prise de conscience sur le changement climatique a eu lieu, et le temps est maintenant venu de passer à l’action ! Nous nous sommes donc dit que nous allions investir un peu de temps, d’argent et de compétences pour faire naître une dynamique et accélérer la transition de l’économie au service du changement climatique. Et nous avons donc créé ce lieu, assez emblématique dans Paris puisque c’était l’ancien immeuble du NUMA [ndlr : incubateur de start-up historique du Sentier]. Eux sont intervenus à l’époque où la révolution digitale était nécessaire ; aujourd’hui nous intervenons à un moment où la révolution écologique est indispensable.
L’idée est de tout mettre sous un même toit pour faire avancer concrètement l’écologie au service du climat. Cela veut dire beaucoup de choses, à commencer par le renforcement d’un écosystème déjà bien existant. Cette transformation globale commence vraiment avec l’humain, et nous avons donc mis en place une programmation au sein du lieu qui intervient à trois échelles : des individus, de l’entreprise et des alliances. Nous utilisons ce terme pour désigner les différentes entreprises d’une même filière qui se mobilisent pour faire avancer concrètement un sujet commun.
Et quelle a été la genèse de ce projet ?
Cela fait un peu plus d’un an que nous travaillons sur le projet avec trois autres entrepreneurs : Jack Habra, Claire Bretton et Clément Alteresco. Nous avions passé pas mal de temps à nous poser des questions à propos de ce que qu’il fallait faire exactement sur ce projet, et nous avons ensuite commencé à réunir, pendant trois ou quatre mois, les 80 entrepreneurs le soutenant. Ce sont 40 femmes et 40 hommes qui apportent une vraie représentativité de ce qu’est l’entrepreneuriat aujourd’hui. C’est une fois réunis qu’a commencé la phase de réflexion sur le lieu et les trois principaux piliers du projet. Le premier est la collocation : il y a 300 personnes qui travaillent au quotidien dans ce lieu. Le second pilier est la transformation que j’évoquais plus tôt, et le troisième est l’Impact Factory. Il s’agit de la façon dont les entreprises sont transformées au sein du lieu.
Pouvez-vous justement nous en dire un peu plus sur le lieu lui-même ?
Le projet a avancé très rapidement, et lorsque nous avons récupéré cet immeuble il a fallu trouver le juste milieu entre faire assez de travaux pour qu’il soit adapté au projet et à nos enjeux écologiques et ne pas retarder l’ouverture. Parce qu’un immeuble vide, c’est encore pire d’un point de vue écologique. Au final, nous avons trouvé un compromis en ouvrant le lieu rapidement, même s’il est encore work in progress – nous attendons toujours des huisseries, et le double vitrage sera posé courant décembre. Nous voulons continuer à le rendre plus inspirant, plus vivant !
Mais nous sommes déjà très contents qu’il soit déjà habité. Pas moins de 300 personnes viennent y travailler au quotidien, et nous avons commencé les conférences. C’est important en ce qui concerne l’impact, même si le lieu a vocation à être en évolution constante.
Qui sont ces 300 personnes ? Quels profils avez-vous retenus ?
Les « colocs », ce sont 40 organisations du nouveau monde, qui sont en train de penser les modèles économiques de demain. Ils déploient des mesures de performance extrafinancière, repensent la gouvernance des entreprises. Ils constituent un ensemble d’entreprises qui vont pouvoir nous permettre d’embarquer de plus grandes structures – celles issues de ce que nous appelons l’ancien monde –, et de les aider à opérer leur transformation. Le but de la Climate House est de construire des ponts entre l’ancien et le nouveau monde et d’accélérer la transition pour la collectivité.
La sélection a été compliquée. Beaucoup nous ont contactés juste après l’officialisation du projet. Nous avions 700 candidatures avant même l’ouverture, et ce nombre a depuis dépassé les 3 000. Cela a représenté un gros travail de tri et de choix, avec une double matrice économique et d’impact. Comment payer le loyer d’un immeuble de 2 000 mètres carrés au centre de Paris tout en maximisant l’impact du projet ? C’est à cette étape que nous avons choisi des acteurs capables de payer le loyer – même s’il est ajusté en fonction des profils –, qui apportaient des synergies et un vrai plus à l’écosystème.
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Pour ce qui est des durées, il n’y a pas de règle particulière. Nous sommes dans des contrats à durée indéterminée, mais avec des préavis de quatre mois de chaque côté. L’idée est d’être transparents des deux côtés, de se tenir informés mutuellement de l’évolution de nos projets respectifs. Les occupants ont des profils très variés, allant de structures de 30 personnes à des start-up en duo, en passant par des indépendants sans poste fixe, mais qui peuvent profiter de tous les espaces. Ainsi que des associations, des fonds à impact… Vraiment, tous les types d’acteurs sont représentés.
Comment se répartissent ces six étages ?
Deux d’entre eux sont réservés à l’accueil du public et à l’organisation de conférences. Viennent ensuite trois grands plateaux au format open space en collocation, conçus pour maximiser les synergies entre les occupants. Pour finir, les cinquième et sixième étages sont des bureaux plus petits et intimes, tandis que le sous-sol est occupé entièrement par des salles de réunion. Certains espaces sont par ailleurs partagés, comme la bibliothèque, et nous mettons en avant beaucoup d’artistes dans la Climate House.
Pourquoi avoir monté un espace de bureau, à une époque où le télétravail n’a jamais été aussi populaire ?
Pour nous, le télétravail est évidemment plaisant dans beaucoup de situations, mais il ne remplace pas pour autant la rencontre physique. Cette dernière a besoin de mieux pour se réaliser. L’idée est que quand tout le monde est dans la même pièce, il se passe concrètement des choses nouvelles. Mais nous ne sommes pas partisans d’une présence dans les bureaux 100 % du temps. C’est pour cela que nous avons 200 postes pour 300 personnes. Nous ne voulons surtout pas d’espaces de coworking toujours à moitié vides, comme c’est trop souvent le cas.
Il y a également un aspect psychologique. Beaucoup de gens nous disent que cela leur fait du bien de venir parce que l’écoanxiété est très répandue et que le fait de pouvoir se soutenir et de se donner mutuellement de l’espoir est très appréciable.
Vous évoquiez également la composante événementielle du projet. En quoi consiste-t-elle ?
Nous voulons une programmation vraiment multiformat. Par exemple, toutes les semaines, un petit-déjeuner est organisé avec un coloc et un cofondateur, où l’un des 80 entrepreneurs vient nous raconter son parcours pour nous inspirer. Des débats sont organisés avec l’Institut des futurs souhaitables, que nous appelons « La Controverse ». Deux personnes aux points de vue radicalement opposés viennent débattre d’un sujet et des points sur lesquels ils se retrouvent. Nous avons aussi des masterclass hebdomadaires. L’idée est de pouvoir discuter de tous types de sujets, dans n’importe quel format, et que chacun y trouve son compte. Certains événements sont payants, d’autres gratuits, mais ils sont toujours ouverts à tous.
Comment s’organise la gouvernance de la Climate House ?
Nous avons monté une gouvernance partagée, ce qui n’est pas simple quand on réunit 80 entrepreneurs avec de fortes personnalités ! Nous avons donc créé une SAS ESUS, dont chacun des fondateurs possède des parts – selon un mode une personne/une voix. Et un comité éthique et scientifique vient chapeauter tout cela. Je le préside avec les trois autres cofondateurs d’origine, qui sont élus pour les deux premières années du projet. À cela s’ajoutent un représentant scientifique et deux représentants extérieurs, qui représentent l’écosystème.
Nous suivons un processus qui consiste à donner et à prendre, où chacun des membres est en mesure de contribuer d’une manière ou d’une autre. Que ce soit par des conférences, des perspectives qu’il ouvre, de la mise en commun… Ils doivent aussi pouvoir prendre, c’est-à-dire y trouver leur compte. Ce qui fait la beauté du projet, c’est que ces besoins varient énormément d’une personne à l’autre.
D’un point de vue plus fonctionnel, nous avons quatre personnes en CDI et trois en alternance – et moi qui suis également très impliquée au quotidien. Nous allons d’ailleurs ouvrir trois postes supplémentaires pour enrichir un peu l’équipe, parce qu’aujourd’hui nous sommes complètement sous l’eau ! Nous sommes un peu victimes de notre succès, beaucoup sont ceux qui veulent faire des choses. Cela nous rend confiants quant à la durabilité financière du projet, mais cela nous rend aussi responsables et nous oblige à nous mettre au service de cette ambition partagée.
Comment est conçue la partie financière ?
L’idée que nous avons depuis le début est d’aligner enjeux économiques et enjeux d’impact. Nous souhaitons un modèle économique solide, reposant à 85 % sur la collocation et les loyers qu’elle apporte. La programmation évoquée plus tôt apporte également du chiffre d’affaires, grâce à certains événements payants. De plus en plus de grandes entreprises veulent privatiser l’espace, pour y organiser des événements sur place et être en contact direct avec l’écosystème.
Notre dernier flux de revenu provient de ce que nous appelons les Impact Factory, des programmes de transformations pour des entreprises ou des filières. Ils peuvent durer six mois, un an ou même deux, pour être transformés au sein de la Climate House. Nous constituons un programme, mais l’idée n’est pas d’être prestataires, car il existe déjà un écosystème très riche sur le sujet. En revanche, nous venons encore une fois créer des ponts, par exemple avec l’Institut des futurs souhaitables, qui interviendra auprès de LCL dans le cadre d’un programme Climate House. Nous venons piocher à chaque fois dans un écosystème de plus de 400 partenaires. Ces derniers récupèrent donc du business, tandis que les grandes entreprises bénéficient d’une offre bien plus qualitative.
Quels sont les objectifs à plus long terme, maintenant que vous avez ouvert les portes ?
Nous allons commencer par renforcer l’équipe et essayer de répondre à la demande à laquelle nous faisons face, à la fois de la part des entreprises et des professionnels qui veulent organiser où assister à des conférences. Beaucoup de villes nous contactent également pour mettre en place des initiatives similaires, en France ou à l’étranger.
L’idée est de trouver le bon modèle pour le déployer le jour où nous serons prêts. Mais nous ne voulons surtout pas construire une multinationale ! Au contraire, nous voulons construire un réseau d’entreprises se retrouvant dans un modèle de collaboration gagnant-gagnant plutôt que dans la concurrence. Si un concept similaire se monte ailleurs, nous serons ravis ! Notre devise est « collaboration is the new competition ». S’il y a plus de Climate House dans le futur, nous aurons tous gagné !
Vous êtes très impliquée dans la Climate House. Qu’est-ce que cela change dans votre position chez TooGoodToGo ?
Cela a un peu changé mon organisation quotidienne ! Chez TooGoodToGo, nous sommes désormais 1 400 salariés répartis dans 19 pays à lutter contre le gaspillage alimentaire. C’est l’une de mes grandes fiertés, mais la réalité est que je suis beaucoup moins indispensable que je ne l’étais au début, et heureusement ! Je me suis retirée de l’organigramme opérationnel, et suis donc toujours impliquée stratégiquement et dans la représentation publique. Mais je n’ai plus d’équipe dépendant de moi pour avancer. C’est ce qui me permet d’avancer sur d’autres projets comme la Climate House.
Propos recueillis par François Arias