Les entreprises familiales sont une aubaine pour de nombreuses villes. Elles peuvent compter sur des dirigeants à la conscience sociale affirmée qui dynamisent des bassins d’emploi, évitent l’exode rural, célèbrent les identités régionales, réindustrialisent le pays et améliorent notre balance commerciale.

Le cauchemar d’un élu local ou national ? Un plan social qui laisse des dizaines voire des centaines de salariés sur le carreau. Ceux qui comptent des entreprises familiales dans leur commune ou leur circonscription peuvent globalement dormir sur leurs deux oreilles.

Des patrons responsables

C’est le cas de Charles Sitzenstuhl, député Renaissance de la cinquième circonscription du Bas-Rhin qui comporte un nombre important d’entreprises familiales. "C’est lié à l’histoire de l’Alsace dont la culture imprégnée de capitalisme rhénan garde encore un fort terreau chrétien et social ayant permis l’essor de nombreuses structures de ce type", explique l’élu. Sur son territoire, les plus gros employeurs privés sont des entreprises familiales. Parmi elles, Schmidt Groupe ou Jung Logistique à Sélestat, Socomec à Benfeld ou encore les charpentes Mathis à Muttersholtz, site visité par Emmanuel Macron en avril 2023.

"Pour un élu, c’est rassurant, glisse le député. On sait que le dirigeant n’est pas uniquement motivé par le gain immédiat. Il a un regard sociétal sur les activités qu’il mène." En somme, ce n’est pas ce type de patron qui va faire du chantage aux subventions ou aux passe-droits pour garder une usine sur place.

Georges Maregiano, directeur national du marché ETI chez KPMG France, admire lui aussi la mentalité des dirigeants de sociétés familiales : "Durant les périodes de turbulence, ils sont les premiers à vouloir maintenir leur activité et à ne pas supprimer de postes". Anne Leitzgen, CEO de Schmidt Groupe, est la première à le reconnaître : "Si demain nous n’étions plus là, ce serait une catastrophe économique."

Un patron d’entreprise familiale est attaché à son territoire, des générations d’une même famille ont parfois travaillé sur le même lieu, ce qui lui donne une responsabilité plus grande. "Bien souvent, le PDG est allé dans la même école ou a joué dans la même équipe de sport que ses employés, les enfants du patron et des ouvriers se côtoient au quotidien, sont attachés à la même identité locale", note le député qui ajoute : "Pour un élu, c’est du pain béni, ce type d’entrepreneur est proactif, force de proposition, prêt à travailler avec les pouvoirs publics." Georges Maregiano abonde : "On peut les qualifier d'acteurs clés, ils ne se contentent pas de gérer les comptes mais sont investis dans les Medef locaux, les clubs de dirigeants et autres cercles économiques."

"Bien souvent, le PDG est allé dans la même école ou a joué dans la même équipe de sport que ses employés"

Protéger et faire rayonner l’identité

Logiquement, un patron d’entreprise familiale est très engagé pour protéger l’identité régionale et améliorer la qualité de vie dans son bassin d’emploi. Une aubaine pour les élus locaux, les clubs sportifs ou les lieux culturels particulièrement soutenus. "À Sélestat, Schmidt Groupe sponsorise le club de handball qui est une institution locale, Socomec, grâce à ses activités de mécénat, soutient la bibliothèque humaniste." De son côté, Georges Maregiano évoque l’entreprise marseillaise Onet qui a fédéré un collectif d'entrepreneurs dans le fonds de dotation Entreprendre pour Toi afin de lutter contre le mal-logement dans le sud de la France.

Dynamiser un territoire

Si la philanthropie et l’évergétisme apportent beaucoup, le principal atout des entreprises familiales est avant tout économique. Elles permettent de créer des milliers d’emplois sur des territoires parfois éloignés des grandes métropoles avec des retombées positives à la clé. "Cela contribue à garder les jeunes diplômés issus de la région, d’offrir des emplois demandant tout type de qualification", se réjouit le député. Résultat, une petite ville peut préserver ses racines et son identité en évitant l’exode rural, y compris des Bac+5. Mieux encore, les entreprises familiales dynamiques attirent des nouveaux venus qui font grandir et prospérer le territoire. Reposant sur des racines profondes, dotées de profils qualifiés, elles n’hésitent pas à utiliser le terroir comme base de départ pour s’internationaliser et partir à la conquête d’autres continents.

Grâce aux entreprises familiales, une petite ville peut garder ses racines en évitant l’exode de sa jeunesse, qu’elle soit diplômée ou non

Nouvelle génération : perpétuer les traditions

Charles

Faire en sorte que la transmission se passe au sein de la même famille est donc stratégique pour l’entreprise et le bassin d’emploi dans lequel elle est implantée : "Les générations passent mais la conscience locale et sociale se maintient toujours", observe Georges Maregiano qui note tout de même que la jeune génération cherche à investir de nouveaux terrains. Parmi eux, la digitalisation, l’internationalisation et plus récemment la philanthropie ainsi que la maîtrise de l’impact environnemental. "On vit ici, nos enfants sont scolarisés dans l’école du village, on ne pourrait pas supporter que notre entreprise soit polluante", témoigne Anne Leitzgen pour légitimer son action en faveur d’un capitalisme durable et le moins néfaste possible pour la planète et le bassin d’emploi.

Dans l’air du temps

Le dirigeant de KPMG n’hésite pas à qualifier les entreprises familiales de "tigres dans le moteur des territoires", il insiste également sur leur importance à l’échelle de l’économie du pays. Un des grands défis de la France consiste à préserver un tissu industriel. Or "le pays compte 6 000 ETI, plus de la moitié d’entre elles sont à dominante familiale et une ETI sur deux est industrielle". Point loin d’être négligeable, les 2/3 se situent en dehors de l’Île-de-France. La plupart d’entre elles sont prospères, ouvertes sur le monde et à la pointe en matière de R&D. Une aubaine pour équilibrer notre balance commerciale. Du reste, si des pays comme l’Italie ou l’Allemagne ont une industrie plus développée et une balance commerciale plus équilibrée, c’est grâce à leurs ETI industrielles au fonctionnement encore familial. "L’Allemagne recense 12 000 ETI et l’Italie 8 000, ce qui constitue un avantage compétitif certain", constate Georges Maregiano.

Si notre pays demeure en retard, c’est notamment lié aux difficultés de transmission qui ont constitué un handicap durant de longues années. "Pendant longtemps, la fiscalité était confiscatoire, le passage d’une génération à l’autre difficile", explique le dirigeant de KPMG. Résultat, de nombreuses entreprises ont été revendues à des personnes externes qui ont parfois entravé le développement. Les choses ont changé en 2003 avec le Pacte Dutreil qui doit plus que jamais être sanctuarisé. Ce dispositif fiscal est une arme de premier choix pour maintenir un tissu industriel, éviter l’exode rural et assurer la prospérité de nombreuses petites villes dans tout le pays.

Lucas Jakubowicz

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