Caroline Merle est avocate associée au sein du cabinet en droit social Vivant Avocats. Pour Décideurs RH, elle prend la parole sur la santé des salariés et pointe la façon dont les entreprises pourraient davantage se saisir de l’accompagnement en santé de leurs équipes, tant au stade de la prévention que lors de leurs maladies ou absences.

DÉCIDEURS. La reconnaissance de certaines formes d’endométriose comme affection de longue durée représente un progrès pour les femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Caroline Merle. C’est effectivement une avancée significative pour les femmes qui souffrent d’endométriose. Cela permet de supprimer le délai de carence et d’éviter les pertes financières en cas d’arrêt de travail. Mais si elle est bienvenue, la reconnaissance de cette maladie reste insuffisante au regard de l’enjeu de la santé des femmes. Il existe pourtant de nombreuses propositions, comme celle d’instaurer un congé menstruel, mais elles sont parfois inadaptées. En effet, en réalité, ces mesures risquent une fois encore de stigmatiser les femmes et de les éloigner de leur milieu professionnel sans toutefois s’intéresser au traitement de la douleur.

"Il s’agit de réfléchir au rôle de l’employeur en tant qu’accompagnateur des salariés au long de leurs parcours de santé et de soin, tout en prenant en compte les moyens à la disposition des entreprises"

Que manque-t-il, selon vous, pour que ces mesures soient réellement efficaces ?

Elles sont encore incomplètes, notamment parce qu’elles ne s’attaquent pas réellement à l’amélioration concrète de la santé et des traitements. Par exemple, le congé menstruel n’est qu’un palliatif qui ne traite pas la racine du problème. L’enjeu doit être plus large : il s’agit de réfléchir au rôle de l’employeur en tant qu’accompagnateur des salariés au long de leurs parcours de santé et de soin, tout en prenant en compte les moyens à la disposition des entreprises.

Quels sont, selon vous, les principaux enjeux de la santé au travail ?

Je dirais qu’il y a trois grands enjeux. D’abord, il faut réduire l’absentéisme. La durée moyenne d’un arrêt de travail en 2023 s’élève à 34 jours, contre 26 jours en 2022. La réduction de l’absentéisme passe d’abord par une meilleure prévention, domaine négligé par rapport aux soins curatifs, secteur sous-financé avec seulement 2,2 % du budget de la santé.

Il faut faciliter l’accès à des campagnes de dépistage pour des maladies comme l’endométriose, le cancer ou l’hypertension, et promouvoir des actions de sensibilisation, comme l’arrêt du tabac ou la prévention des troubles musculosquelettiques. Des bilans de santé pourraient être proposés à certaines catégories de salariés identifiés comme étant à risque, comme les fumeurs ou les plus de 55 ans.

Ensuite, il faut s’interroger sur le lien à l’entreprise en cas de longue maladie. Le maintien du lien est important afin de préserver le sentiment d’appartenance. Par exemple, il est possible d’encourager l’accès aux communications marquantes de l’entreprise, voire la possibilité de se rendre aux événements, etc. De même, dans certaines entreprises novatrices, les collaborateurs atteints de longue maladie qui le souhaitent peuvent continuer à travailler, avec bien entendu une organisation de travail flexible et adaptée. Enfin, il est crucial de mieux accompagner les collaborateurs lors de leur retour au travail après une maladie. Cela passe par la formation des managers, afin de les rendre capables de soutenir les salariés sans les stigmatiser, ainsi que par la flexibilité dans l’organisation du temps de travail en cas de traitements médicaux.

Quels rôles concrets les entreprises peuvent-elles jouer dans la santé de leurs salariés ?

Les entreprises sont en mesure de devenir véritablement actrices de la santé de leurs équipes. Par exemple, elles pourraient organiser des campagnes de vaccination sur le lieu de travail, proposer des bilans de santé en partenariat avec des centres médicaux et/ou pris en charge par l’organisme de prévoyance, ou offrir des autorisations d’absences rémunérées ou non pour se rendre à des dépistages médicaux.

Mais elles doivent aussi penser à long terme et anticiper le vieillissement de la population active. Avec le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, les employeurs seront confrontés à une augmentation des cas de maladies chroniques ou de cancers. Une réflexion plus large est donc nécessaire pour aider à prévenir et détecter ces maladies et accompagner les salariés touchés.

Pensez-vous que les employeurs devraient devenir des acteurs clés de la santé publique ?

Oui, je pense qu’ils peuvent assumer un rôle plus actif dans la prévention et la promotion de la santé. Actuellement, leur rôle se limite souvent au financement d’organismes comme les mutuelles, mais ils pourraient faire bien plus. Ils pourraient s’impliquer dans la prévention de certains risques professionnels spécifiques, comme le cancer du sein chez les travailleuses de nuit, les troubles musculosquelettiques qui apparaissent à la ménopause, ou les pathologies cardiovasculaires, qui sont plus fréquentes chez les femmes.

À l’avenir, comment voyez-vous la gestion de la santé des salariés par les entreprises ?

Une politique de santé proactive au sein des entreprises constituera sans aucun doute un facteur d’attractivité et de rétention des talents, mais sera aussi vectrice d’économies par la réduction de l’absentéisme. Elle améliorera également la performance des entreprises. Les employeurs doivent s’associer avec les partenaires sociaux, les médecins et les organismes de prévoyance pour mettre en place des actions ciblées et mesurables. Ensemble, ils peuvent véritablement contribuer à améliorer la santé des salariés, tout en favorisant un environnement de travail sain et inclusif.

Entretien avec Caroline Merle, avocate associée chez Vivant Avocats

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