Diplômée en psychologie, littérature comparée et management, Valérie Gauthier,  professeure associée à HEC, ancienne directrice du MBA d’HEC, développe depuis trente ans une méthode permettant de faciliter le dialogue. Le "Savoir-Relier" permet d’apprendre à mieux se connaître afin de mieux comprendre l’autre.

Décideurs. Vous vous intéressez à la réinvention du dialogue. En quoi celui-ci est-il différent de la conversation ou du débat ?

Valérie Gauthier. Le dialogue consiste en quelque chose de construit et de conscient. Pour qu’il y ait dialogue, des conditions doivent être réunies. Les personnes font un effort sur elles-mêmes pour ne pas juger les autres et les échanges se déroulent dans un respect mutuel. Cela diffère du débat, où les protagonistes exposent leurs positions et les défendent sans chercher à s’inspirer ou à réellement rebondir sur ce que dit la personne en face. Alors que dans le dialogue, il y a une remise en question et la volonté de tenir compte de l’avis de l’autre d’une façon qui n’est pas artificielle. Le dialogue ne relève pas non plus de la conversation comme on peut en avoir une avec un ami dans un bar.

Comment se construisent les relations sociales ?

Nous avons tendance à nous entourer de personnes qui nous ressemblent, et ce d’autant plus avec les réseaux sociaux. Il est difficile d’aller vers des gens qui proposent différentes façons de voir le monde. Or les relations sociales commencent quand on est confronté à la différence. Cet effort d’aller vers l’autre, je l’ai vécu en tant que directrice du MBA d’HEC qui réunit des personnes issues de tous horizons, qui doivent très souvent travailler ensemble sur des projets. C’est un véritable laboratoire humain avec lequel j’ai compris l’importance du dialogue social. Parfois, certains étaient en désaccord permanent. Il a fallu trouver les leviers pour collaborer.

Vous mettez en avant "les 3G" nécessaires à un dialogue vertueux. Quels sont-ils ?

Trois mots en anglais commençant par "Gen" traduisent l’attitude qui permet de transformer en profondeur la manière dont nous percevons le dialogue. Il s’agit de l’authenticité (genuine), de la générosité (generous) et de la volonté d’être générateur (generative). Nous devons être authentiques et vrais mais aussi généreux en acceptant les paroles de l’autre sans les juger tout en construisant de la valeur. C’est ce que l’on voit, par exemple, dans l’émission C Politique de Thomas Snégaroff où il est frappant de constater que chaque interlocuteur prendre en compte réellement le point de vue des autres en se remettant en question.

"Les relations sociales commencent quand on est confronté à la différence"

Vous écrivez que l’acte de dialoguer n’est pas naturel pour tous et que le véritable dialogue requiert non seulement une technique à maîtriser mais aussi une posture à adopter…

Oui. Ce n’est pas naturel car nous avons plutôt tendance à être dans le réconfort et la reconnaissance. À 9 mois, l’enfant développe la peur de l’étranger. Petit à petit, il va aller davantage vers l’autre mais, pour cela, il doit être en confiance. Je ne peux pas faire confiance à quelqu’un si je n’ai pas confiance en moi. Parfois, on se dit également que l’on connaît bien l’autre. "C’est mon collègue depuis dix ans, je le connais par cœur", croit-on ! Pourtant, on peut être surpris lorsqu’on utilise la méthode du "Savoir-Relier".

livre valérie gauthierCette méthode s’appuie sur quatre outils. Quels sont-ils ?

La première étape est ce que j’appelle le "Solo". Il s’agit d’un travail individuel de prise de recul, par écrit, grâce à des questions imposées sur ce qui nous relie à nous, aux autres, à la communauté et au monde. Par exemple : en qui avez-vous absolument confiance et pourquoi, quelles sont les limites de votre compassion, comment vivez-vous les différences, etc. Au départ, cet effort peut engendrer du scepticisme ou du rejet. Le meilleur moyen de convaincre les gens de se lancer, ce sont les retours d’expériences. Plus de 160 000 personnes ont testé cette méthode et toutes se sont senties mieux après. Cette réflexion, qui n’est pas naturelle, permet d’enclencher le "Duo". Deux personnes sont invitées à échanger de façon bienveillante à partir de la lecture réciproque du "Solo" de l’autre. L’important n’est pas le niveau d’intimité partagée mais le niveau de réflexion. Chacun découvre des choses sur lui-même et sur son interlocuteur. Dans le cadre d’une relation conflictuelle entre deux individus, cela ne va pas résoudre les désaccords, mais permettre de mieux se comprendre et éviter que la situation ne dégénère sur la performance.


Il y a également le Cores et le Codev…

Le Cores est un exercice collectif. Une personne partage une expérience difficile dans laquelle elle a rebondi, ce qui va engendrer des échanges sur la manière dont les uns et les autres gèrent l’adversité. Pour le Codev, nous avons repris ce concept du codéveloppement qui existait déjà mais en le structurant. En première partie, le client présente un défi. Ensuite, les consultants peuvent lui demander des clarifications. Puis, le client se retourne ou coupe la caméra (afin d’éviter que son langage corporel n’influe sur les propos de ses interlocuteurs). Les consultants peuvent alors envisager librement des pistes d’améliorations. Enfin le client résume les principaux points sans commenter ni justifier et s’engage à lancer une action à partir des idées émises.

Le dialogue collectif est-il possible alors que le dialogue individuel est déjà compliqué ?

J’ai vu la méthode du "Savoir-Relier" en action et je sais qu’elle fonctionne individuellement et collectivement. C’est d’ailleurs ce qui me frustre parfois car j’aimerais qu’elle soit davantage adoptée. Outre mes livres, j’essaie de faire distribuer un jeu de société sur le dialog’ et l’esprit 3G qui pourra toucher davantage de personnes. Ces différents outils ramènent de la confiance en soi et en l’autre. C’est efficace en entreprise mais peut aussi l’être pour prévenir le harcèlement scolaire par exemple. Tout le monde a besoin de cette nouvelle forme de dialog’.

jeuvalériegauthier

Éviter qu’un conflit ne dégénère, est-ce suffisant pour être satisfait de la méthode du Savoir-Relier ?

Je vous donne l’exemple d’une équipe de vente dans une société d’horlogerie de luxe où le numéro 2 espérait devenir numéro 1. L’entreprise a finalement choisi quelqu’un d’extérieur. Le conflit entre le nouveau numéro 1 et le numéro 2 n’était pas traité par le dialogue et l’équipe commençait à être en déroute. La méthode du Savoir-Relier a permis de trouver des pistes d’entente et de les conserver dans la durée entre les deux dirigeants, indépendamment du fait qu’ils étaient très différents en tous points. Il faut aborder les sujets difficiles très tôt et y faire face grâce au dialogue en construisant quelque chose. Le duo qui sous-tend ce dialogue réinventé ne cherche pas à résoudre un conflit mais à permettre de mieux se connaître et de se comprendre pour construire une équipe ou un projet.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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