Un peu plus de six mois après sa nomination à la présidence du directoire de la Société du Grand Paris, Thierry Dallard fait le point sur le « chantier du siècle » en France.

Décideurs. Où en est le projet du Grand Paris Express aujourd’hui ?

Thierry Dallard. Le projet monte en puissance, comme en témoigne la multiplication des chantiers et des appels d’offres. En un an, le Grand Paris Express a franchi des étapes importantes qui concrétisent de plus en plus le projet. Trois tunneliers sont déjà en place et 65 chantiers de gares ou d’ouvrage de service sont en cours. D’ici la fin de l’année 2019, une quinzaine de machines creuseront les tunnels du nouveau métro ; ils seront une vingtaine l’année suivante en 2020. C’est un projet d’une complexité inouïe. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il est beaucoup plus facile de percer un tunnel sous la Manche, où le sol est composé de craie homogène, cohérente, prévisible, que de conduire des travaux souterrains en Île-de-France, où la géologie est très contrastée et complexe, avec des problèmes de venue d’eau, de carrières, de sous-sols encombrés… Au creusement des tunnels s’ajoute le défi de la construction des gares, également complexe dans cet environnement géologique particulier, mais également dans un espace urbain dense et très contraint.

Ainsi le Grand Paris Express est un projet exceptionnel qui rend fiers toutes les femmes et les hommes qui travaillent à sa réalisation. D’autres métropoles mondiales ont conduit un projet d’une telle ampleur comme Singapour et Riyad, mais en Europe et plus largement dans le monde occidental, c’est inédit. Pourtant ce nouveau réseau n’est pas un luxe, c’est le minimum requis pour que Paris tienne sa place dans la compétition des villes-monde, et conserve son attractivité, après de ses habitants et pour le monde économique.

Quelle est votre feuille de route pour 2019 ? 

Accompagner la mise en œuvre du projet, notamment anticiper les centaines de chantiers à venir et préparer l’entreprise à changer d’échelle puisque nous allons enfin pouvoir recruter les collaborateurs dont nous avons besoin. Surtout, en filigrane de toutes ses actions, l’enjeu sera d’entretenir des relations de travail confiantes et loyales avec tous les élus concernés par notre projet notamment les maires, la présidente du conseil régional, Valérie Pécresse, ainsi que les présidents des huit départements. J’ai pris cet engagement de constance et de sincérité dans le dialogue, il sera tenu.

Nous allons être confrontés à des dizaines de crises, qu’il s’agisse des calendriers, du budget, des aléas, des risques et des accidents potentiels. Face à la crise, ma méthode est claire, elle s’appuie sur le consensus et sur la transparence. Le consensus, c’est de toujours rappeler le sens de nos actions, pour que tous les acteurs soient mobilisés par les immenses avantages que le réseau va apporter. La transparence, c’est de communiquer avec tous, en sincérité, à chaque fois qu’une nouvelle information viendra impacter le déroulement de la vie du projet.

Selon cette logique, dès qu’un aléa se produira, j’expliquerai son impact à tous les partenaires concernés. Il pourra aussi y avoir de bonnes nouvelles si nous trouvons des méthodes constructives qui permettent de gagner du temps par exemple. Les conférences de tronçons seront, au printemps, le point d’orgue de cette méthode. Avec Patrick Braouezec qui préside le conseil de surveillance de l’entreprise, nous aurons ainsi un dialogue continu avec les élus des territoires concernés. Le collectif, c’est la condition absolue de la réussite du projet.

"Nous allons être confrontés à des dizaines de crises, qu’il s’agisse des calendriers, du budget, des aléas, des risques et des accidents potentiels."

Après la révision des coûts du chantier, la création par le législateur de nouvelles taxes pour financer la SGP, l’émission de la première obligation verte par la Société du Grand Paris et le contrat de financement de 500 millions d’euros avec la BEI, comment va s’organiser le financement du Grand Paris Express ? 

La Société du Grand Paris doit financer un montant total de 38,5 milliards d’euros (en valeur 2012) dont 35 milliards d’euros de coût du Grand Paris Express et 3,5 Mds€ de contribution au financement de la modernisation des réseaux existants. Cet investissement important sera amorti autour de 2070 car il est juste qu’un projet utile pour plusieurs siècles soit financé par plusieurs générations. La fiscalité que vous évoquez est uniquement francilienne et s’ajoutera aux redevances commerciales que nous percevrons lorsque le réseau sera en service. Ces « revenus » nous permettront alors de rembourser la dette contractée, soit auprès de prêteurs classiques comme la Caisse des Dépots et la BEI, soit auprès des investisseurs sur les marchés.

Å ce sujet, le programme d’émission obligataire que nous proposons est le premier, au monde, à être 100 % green ! Cette labellisation est la reconnaissance par les acteurs financiers et par les experts du développement durable, du caractère vertueux exemplaire du Grand Paris Express : il ne s’agit pas seulement de reporter de la route vers les transports publics des millions d’usagers, il s’agit également de désenclaver des dizaines de quartiers défavorisés d’Île de France, de reconstruire la ville sur la ville et cela en permettant de booster notre économie nationale, avec une estimation de plus de 10 milliards de PIB supplémentaire par an à partir de 2030.

Je vous rappelle en effet que financer le Grand Paris Express, ce n’est pas simplement financer un métro, c’est investir dans un projet d’aménagement du territoire d’une ampleur inédite. Le Grand Paris Express n’est pas, comme le métro de Fulgence Bienvenüe, un réseau qui s’insère dans un urbanisme existant pour en fluidifier les mobilités. Autre contraire, la structure en rocade du Grand Paris Express va permettre de requalifier 140 km2 de zone urbaine vers davantage de densité. C’est une fois et demie la superficie de Paris intramuros qu’il faut transformer, moderniser ou refabriquer – sans consommer de nouvelles terres agricoles. En outre, les bénéfices socio-économiques liés à la mise en service du réseau sont gigantesques. Les meilleurs économistes mondiaux prévoient qu’il générera 100 milliards d’euros de valeur et au moins 115 000 emplois qui s’ajouteront à la croissance naturelle de la région. Le Grand Paris Express est le premier projet en Europe pour gagner la guerre contre le réchauffement climatique, un investissement qui conjugue soutenabilité écologique, rééquilibrage social et rentabilité économique.

 "Financer le Grand Paris Express, c’est investir dans un projet d’aménagement du territoire d’une ampleur inédite"

Quid des pistes d’économies ?

Le gouvernement a confirmé le projet dans son intégralité. Nous réaliserons donc toutes les lignes et toutes les gares. Un travail d’audit a permis de dégager près de 1 200 pistes d’économies possibles en auscultant chaque paramètre de réalisation du Grand Paris Express. Les économies vont se faire en continu au fil de l’eau sur tous les projets, sans remettre en cause le tracé du métro, ni aucune gare, ni la longueur des quais. Les économies peuvent aller d’un montant à trois chiffres à un million d’euros. Certaines devront faire l’objet de discussions avec nos partenaires : RATP, Île-de-France Mobilités, et chacun des maires des communes concernées. Par ailleurs, le budget du projet prévoit aujourd’hui environ 20 % de provisions pour risques et aléas. Les 10 % d’économie que le Premier ministre nous a demandé de chercher auront également vocation à constituer une part complémentaire d’aléas si cela s’avérait nécessaire.

Le calendrier prévisionnel de mise en service des lignes du Grand Paris Express pour les Jeux olympiques de 2024 sera-t-il tenu ?

Les Jeux olympiques ne sont pas l’alpha et l’oméga d’un projet qui soutient le développement de toute la région Capitale pour le XXIe siècle. Je souligne d’ailleurs que la candidature de Paris a séduit d’abord par l’excellence des transports qui existent aujourd’hui, le nouveau métro n’étant qu’un complément bienvenu à une offre de mobilités parmi les meilleures du monde. Ceci étant rappelé, nous devons mettre en service en 2024 la partie de la ligne 16 qui sera utile aux Jeux olympiques, c’est-à-dire la gare de Saint-Denis Pleyel et sa connexion aux gares du Bourget. Aujourd’hui, nous sommes dans les délais mais les marges techniques sont étroites. Qu’il s’agisse de la ligne « olympique » comme des autres lignes, et j’insiste sur ce point, notre mobilisation est totale. Les collaborateurs de l’entreprise sont convaincus que chaque jour compte et ils donnent le meilleur d’eux-mêmes pour livrer ce projet tant attendu par les Franciliens.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

Cette interview est extraite du guide Construction Promotion & Infrastructures 2019

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