Prendre le bus ou le train plutôt que l’avion pour partir en vacances chez nos voisins européens : l’idée séduit de plus en plus. Le but ? Contribuer, à une échelle individuelle, à la lutte contre le dérèglement climatique. Certaines entreprises ont elles aussi été convaincues de l’importance d’une telle démarche, et octroient des congés Temps de trajet responsable (TTR) à leurs équipes. Décryptage.

Alors qu’un trajet Paris-Barcelone, soit environ 1 000 kilomètres, consomme en moyenne 190 kilos de CO2 par personne en avion, le même voyage en train n’en consomme que trois. Une empreinte carbone divisée par 63, à condition de sacrifier un peu de temps. Mais voyager de manière écoresponsable est-il aisé lorsque les jours de congés sont comptés ? Certaines entreprises s’efforcent de faire rimer vacances et préoccupations écologiques. Conscientes du poids que représente le déplacement des salariés dans leur bilan carbone, elles ont souhaité encourager des solutions écologiques pour les temps de loisir de leurs salariés.

L’entreprise au service de la mobilité durable ?

Les engagements environnementaux des employeurs – incontournables alors que la directive CSRD a été mise en vigueur en janvier 2024 –, font dorénavant partie des attentes des salariés comme des candidats à l’embauche. C’est du moins ce qu’illustrait l’enquête réalisée par Harris Interactive pour Mouvement Impact France en janvier 2022. Plus de huit répondants sur dix estimaient en effet que les entreprises devaient considérer prioritairement leurs actions sociales et environnementales.

Sans surprise, la réduction du bilan carbone figure en bonne place parmi les engagements environnementaux qu’attend l’opinion publique (et les marchés financiers, au travers des reporting CSRD) de la part des entreprises. En l’occurrence, l’une des pistes envisagées par certains acteurs économiques pour limiter les émissions générées par les collaborateurs concerne la promotion de la mobilité durable grâce au congé Temps de trajets responsable.

Ubiq, plateforme d’immobilier de bureaux qui compte une trentaine de collaborateurs, a été la première à lancer, en janvier 2023, les congés TTR, soit deux jours de congé supplémentaires par an pour les salariés qui optent pour un trajet de plus de six heures en train ou en covoiturage. Ubiq a ainsi souhaité répondre aux convictions écologiques de ses équipes et les aider à franchir le cap. Un réel succès : près d’un tiers des collaborateurs y ont eu recours cette année.

Si le congé TTR a un coût – entre 600 et 700 euros par jour et par collaborateur selon la direction d’Ubiq –, il ouvre indéniablement de nouvelles perspectives en termes de culture d’entreprise, de marque employeur, d’attractivité et de recrutement des talents.

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Les collaborateurs peuvent ainsi bénéficier d’un jour par an, sécable en deux, pour des trajets de plus de six heures en train, en bus ou en covoiturage

Une initiative qui séduit de plus en plus

Plusieurs entreprises, telles que La Fresque du Climat, Home Exchange et Vendredi, ont emboîté le pas à Ubiq. Selon Julian Guerin, directeur général de Vendredi, “il était évident de soutenir les déplacements responsables de notre équipe composée d’une cinquantaine de salariés”. Les collaborateurs peuvent ainsi bénéficier d’un jour par an, sécable en deux, pour des trajets de plus de six heures en train, en bus ou en covoiturage. Si les conditions le permettent, la personne est invitée à travailler depuis son moyen de transport, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué pour autant.

Julian Guerin se réjouit du succès du dispositif, déjà adopté par plus d’un salarié sur trois : “C’est très bien perçu et cela a un fort poids symbolique. L’entreprise, en octroyant ces congés, montre où se situe sa préoccupation.”

Malcom Ouzeri, directeur du marketing de Vendredi, a utilisé son congé TTR pour son voyage en Norvège cet été, et se dit “très fier que [son] entreprise figure parmi les pionniers de cette démarche en France”, insistant sur le fait que “cela joue assurément dans [son] bien-être et [son] envie de rester dans la société”. Héloïse Arnold, responsable RSE de Vendredi, s’est rendue en Écosse cet été grâce au congé TTR. Elle salue “une initiative très cohérente avec les valeurs de Vendredi, et qui renforce l’alignement entre ce que nous prônons et nos actions concrètes”.

Un engouement des salariés qui devrait inspirer d’autres organisations. C’est le souhait de Julian Guerin, qui “incite toutes les directions RH, RSE et les directions générales à instaurer ce dispositif”.

Mettre en place une telle mesure au sein de plus grands groupes susciterait néanmoins d’importantes réflexions concernant les aspects juridiques, budgétaires et de négociations sociales. Comme le souligne Antoine Poincaré, Directeur d’Axa Climate School, “les congés TTR posent de nombreuses questions en matière de droit du travail, et de la responsabilité de l’entreprise dans le cas où un salarié se blesserait, durant une journée de congé TTR notamment”.

Les déplacements personnels des salariés - excepté les trajets domicile travail - ne peuvent pas faire partie du bilan carbone de l’entreprise

Stéphane Marchal, partner au sein du cabinet de conseil en transformation Julhiet Sterwen, suggère également que généraliser un tel dispositif pose des questions d’équité. Il craint un “aspect punitif” pour les collaborateurs qui n’opteraient pas pour des trajets “bas carbone”, dans le cas d’un déplacement intercontinental par exemple, ainsi qu’une “immixtion excessive de l’entreprise dans le domaine privé”.

Une mesure alignée sur la CSRD ?

Actuellement, l’impact du congé TTR sur les critères extrafinanciers reste mineur. En effet, il ne peut entrer dans le volet quantitatif du reporting de la CSRD, dont le périmètre inclut le scope 3 du protocole GHG, relatif aux émissions de gaz à effet de serre indirectes des entreprises. Antoine Poincaré explique ainsi que “les déplacements personnels des salariés - excepté les trajets domicile travail - ne peuvent pas faire partie du bilan carbone de l’entreprise“, rappelant que le congé TTR “ne fera pas pencher la balance et aura au mieux un impact minime sur l’aspect qualitatif du reporting”. Il salue toutefois “la capacité d’influence d’une telle mesure et les enjeux d’ordre RH” qu’elle soulève.

Stéphane Marchal abonde en ce sens, indiquant que “les données relatives aux congés TTR ne pourront apparaître dans le référentiel propre de la CSDR, dont le modèle de données est très codifié”. Elles pourront toutefois figurer, à la marge, dans l’aspect qualitatif du reporting lié au pilier sociétal, qui concerne notamment la gouvernance de l’entreprise, les relations sociales et l’engagement collaborateur. “Ce type de congés peut avoir un impact sur les collaborateurs en matière de qualité de vie au travail, d’engagement et de fierté“, nuance Stéphane Marchal. Il ajoute :  “Cela peut jouer sur le taux d’engagement des salariés, bien que cela reste une information marginale dans le cadre de la CSRD.”

Si l’enjeu n’est donc pas à placer du côté de l’analyse des critères extrafinanciers, le congé TTR reste un marqueur de l’engagement d’une entreprise et de la mobilisation de ses collaborateurs en faveur de la transition écologique. La clé pour attirer les jeunes talents ?  

Caroline de Senneville

 

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