À la fin des années soixante-dix, sur les quais du port norvégien de Molde, un jeune homme rêve de devenir riche. Mais Kjell Inge Røkke, c’est son nom, a peu de cartes en mains. Dyslexique, il arrête l’école à 14 ans, son père ébéniste n’est guère prospère, la Norvège de l’époque n’en est qu’au début de son boom pétrolier et le pays offre peu d’opportunités pour un self-made-man.

De matelot…

Alors, le jeune Kjell Inge Røkke prend le large. Dès ses 18 ans, il s’engage comme matelot sur des chalutiers. En 1980, c’est à Seattle qu’il développe son sens de l’entrepreneuriat. Deux ans plus tard, alors qu’il n’a que 23 ans, il achète son premier chalutier et s’endette sur des années. L’homme venu du pays des fjords remboursera rapidement ses traites car il dispose d’un vrai sens des affaires. Très vite, il acquiert un second navire, puis un troisième et ainsi de suite, au point de constituer une véritable armada, l’American Seafoods, qui pêche du colin au large de l’Alaska. Une pêche si fructueuse que des associations environnementales l’accusent de piller les océans. …

Capitaine d’industrie

Las de la pêche mais des billets plein les poches, le fils prodigue rentre au pays dans les années quatre-vingt-dix. Peu à peu, il se constitue un véritable empire basé sur deux grands secteurs d’activité. D’un côté la construction navale, de l’autre, l’or noir grâce à l’achat en 2001 de Kværner, leader norvégien de l’offshore pétrolier alors en quasi-faillite, puis de Marathon Oil Norway en 2014. Poissons, pétrole, bateaux-usines permettent au Norvégien de devenir milliardaire et d’être propulsé au rang de personnalité publique controversée.

Bling-bling

De ses années américaines, l’entrepreneur a gardé un goût pour le bling-bling qui heurte une nation encore imprégnée de valeurs luthériennes. Ses propos présentant sa villa comme plus belle que le palais royal choquent le pays. Autre bad buzz, en 2002, il est condamné à 23 jours de prison pour avoir voulu corrompre des fonctionnaires afin d’accélérer l’obtention de la licence de son yacht de 17 mètres baptisé Celina Bella. Les anti-Røkke condamnent également son exil suisse en 2022 afin d’échapper à la hausse de la fiscalité norvégienne.

Bling-bling, évadé fiscal, corrupteur, spécialiste du greenwashing: le milliardaire a une image controversée dans son pays natal

Philanthrope ?

Kjell Inge Røkke s’enrichit à mesure que les ressources naturelles s’amenuisent. D’où un début de mea culpa. "Je n’ai investi dans aucune infrastructure, je n’ai pas construit de route. En gros, je suis un moissonneur", déclarait-il à regret. Pour se racheter, il promet de verser à sa mort une partie de sa fortune à des actions philanthropiques en faveur des océans.

D’ici là, il lance en 2018 le chantier du REV Ocean, plus gros yacht du monde. Estimé à 400millions d’euros, ce navire pas comme les autres met des laboratoires à la disposition de scientifiques pour tracer les zones de déchets océaniques, mesurer l’acidité de l’eau ou évaluer les stocks de poissons. Le magnat rêve d’y vivre plusieurs mois par an lors de sa mise en service en 2026. Ce qui explique la présence d’une piscine intérieure, de bains à remous ou d’un sous-marin de loisir. Il pourra ainsi s’afficher auprès de scientifiques et d’écologistes tout en continuant à investir dans le pétrole ou les bateaux-usines. Un bel exemple de greenwashing

Lucas Jakubowicz

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